1. Platon et le platonisme

PLATON ET LE PLATONISME
Extrait de HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE, TOME I: L’ANTIQUITÉ ET LE MOYEN AGE

Dès l’époque qui a suivi immédiatement Platon, il y a eu désaccord sur la signification de ses dialogues. De l’antiquité jusqu’à nos jours, on voit se réclamer de lui des doctrines divergentes ; à l’époque de Cicéron, par exemple, les uns rattachaient au nom de Platon un dogmatisme analogue à celui des stoïciens, les autres voyaient en lui un partisan du doute et de la suspension du jugement. Un peu plus tard, à partir du 1er siècle, les mystiques et les rénovateurs du pythagorisme s’emparent du nom et des écrits de Platon, et le platonisme devient synonyme d’une doctrine irrationaliste qui élève l’âme au dessus de la pensée et de l’être et l’unit à un Bien qui est aimé et goûté plutôt que connu. En revanche, nous voyons au XIXe siècle se dessiner une tendance, encore très forte maintenant, à faire de Platon un pur rationaliste qui identifie la réalité véritable à l’objet de l’intelligence et enseigne à déterminer cet objet par une discussion raisonnée, dont le type est emprunté aux mathématiques .

Une pareille divergence entre les interprètes s’explique non seulement par la richesse exceptionnelle de sa pensée, dont il est peut être impossible et, en tout cas, très difficile de saisir d’ensemble tous les aspects, mais par la forme littéraire qu’elle revêt. Insistons d’abord sur ce second point. Le dialogue platonicien n’a rien de ces traités didactiques, dont les philosophes ioniens et les médecins de la collection hippocratique donnaient déjà le modèle. Dans les œuvres de vieillesse seulement, on voit quelque chose de semblable : toutes les considérations physiologiques de la fin du Timée et une bonne partie des Lois sont de simples exposés ; mais ce sont des œuvres auxquelles Platon n’a pas donné, sauf en certaines parties, leur forme définitive. Sauf ces exceptions, les œuvres de Platon ont un aspect qui les classe tout à fait à part ; car, si, dans les écoles socratiques, à peu près contemporaines de Platon, on écrit des dialogues, cette forme d’exposition a été presque complètement abandonnée de l’antiquité, malgré les quelques exemples sporadiques qu’on en peut donner, comme ceux de Cicéron ou de Plutarque ; il est particulièrement significatif que les néo platoniciens de la fin de l’antiquité n’imitent jamais les procédés littéraires du maître et s’efforcent par tous les moyens de retrouver dans le dialogue la substance dogmatique, et il est d’autant plus important de chercher à apprécier la forme littéraire de la pensée platonicienne, dans la mesure où elle intéresse l’interprétation de sa philosophie.