13. L’ENSEIGNEMENT ORAL DE PLATON

L’ENSEIGNEMENT ORAL DE PLATON
HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE, TOME I: L’ANTIQUITÉ ET LE MOYEN AGE

Les dialogues ne nous font pas connaître tout Platon. Aristote nous a heureusement conservé quelque chose de son enseignement oral, bien qu’il soit souvent difficile de démêler la pensée de Platon, dans cet exposé fait avec une intention critique, et souvent mélangé avec les thèses des successeurs de Platon à l’Académie. Il en résulte pourtant que, à la fin de sa vie, Platon a conçu les idées comme des nombres, mais comme des nombres différents de ceux qu’emploie le mathématicien. Que sont les nombres idéaux ? Pourquoi Platon les a t il substitués ou tout au moins superposés aux idées ? Et d’abord, comment se distinguent t ils des nombres mathématiques ? Les nombres mathématiques sont ceux qui sont formés d’unités toutes égales entre elles, et qui résultent de l’addition de ces unités. Or, nous voyons, dans le Philèbe et dans le Timée, que Platon a une prédilection manifeste pour la génération des nombres qui se fait autrement que par l’addition, et, spécialement, pour celle qui se fait par les progressions ou par l’insertion des trois espèces de moyennes proportionnelles, arithmétique, géométrique ou harmonique : son attention tend à se porter sur les rapports numériques plutôt que sur les nombres mêmes. La musique pythagoricienne lui fait voir l’essence des choses dans des rapports numériques, encore plus que dans les nombres. La théorie des nombres idéaux semblent bien être une tentative pour trouver les types de rapport les plus généraux. Ces nombres, nous dit Aristote, ne résultent pas de l’addition, puisque leurs unités ne peuvent s’additionner, mais de l’union de deux principes, l’Un et la dyade indéfinie du grand et du petit . Cette dyade n’est autre chose que le rapport pleinement indéterminé et fluent dont le Philèbe (24c-25a) nous donnait des exemples. Quant à l’Un, on sait, d’après une tradition célèbre, que Platon l’identifiait au Bien ; or la fonction du Bien, d’après le Philèbe, est d’introduire des rapports fixes entre les choses, ce qui est possible par la mesure. L’Un d’Aristote et le Bien de la leçon de Platon paraissent identiques à la mesure, que le Politique considère comme le point de départ de la dialectique. L’Un, c’est ce qui permet de mesurer, et c’est le terme inconditionné au delà duquel on ne remonte pas. C’est ainsi, d’après Aristote, que le grand et le petit, d’inégaux qu’ils sont, peuvent être égalisés par l’application de l’Un, et ainsi on obtiendra la dyade idéale, composée des deux termes du rapport, non pas en ajoutant une unité à une autre, mais en égalant le rapport indéterminé à l’unité. Sans poursuivre le mode compliqué de production des nombres idéaux, que Platon suit jusqu’à la décade idéale, on voit par l’exemple de la dyade idéale que les nombres idéaux sont avant tout des rapports fixes. Il est assez naturel de penser que ces nombres idéaux sont principe du modèle éternel du monde dont il nous est parlé dans le Timée (28b), comme l’âme faite de schèmes géométriques combinées selon certains rapports numériques est principe du monde sensible. Le Vivant en soi (30a) paraît désigner la réalité intelligible tout entière qui comprendrait au dessous des nombres idéaux, les espèces intelligibles, comme le monde, vivant, animé et intelligent, comprend au dessous de l’âme, le corps. Il reste en tout cas certain que Platon orientait ses recherches vers les lois de combinaison des mixtes.