PHILOSOPHIE ET POLITIQUE
HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE, TOME I: L’ANTIQUITÉ ET LE MOYEN AGE
C’est seulement par abstraction que l’on peut séparer la politique de Platon de sa philosophie. Ses plus grandes œuvres sont du même coup des œuvres philosophiques et politiques. Le Gorgias, où il montre les dangers d’une politique non fondée en raison, la République, où la philosophie est utilisée comme le seul moyen d’arriver à une politique viable. La trilogie Sophiste, Politique et Philosophe , dont le dernier dialogue est resté en projet, tendait sans doute à montrer les capacités politiques du philosophe. La trilogie Timée, Critias, Hermocrate, dont Platon n’a écrit que le premier dialogue et le début du deuxième, devait, après la formation du monde, décrite dans le Timée, traiter des révolutions des cités, de leur ruine et de leur rétablissement. Les Lois enfin sont un véritable manuel du législateur. Il n’est pas plus légitime de séparer la philosophie de la politique chez Platon que chez un Auguste Comte. Comment oublier que l’élan vers la philosophie lui vient de Socrate, qui insiste avec une telle force dans l’Apologie sur sa mission sociale ?
Platon, comme Socrate, croit fermement à la mission sociale du philosophe. Après avoir dépeint, dans la République, le régime de la cité idéale, il se demande à quelle condition un régime approchant pourra passer dans les faits ; il suffirait d’un seul changement « mais qui n’est point petit, ni facile, quoiqu’il soit possible…, c’est que les philosophes soient rois dans les cités, ou que les rois et les dynastes soient de bons philosophes, c’est que autorité politique et philosophie coïncident » (473b). Il faut donner à cette exigence un sens tout à fait pratique ; c’est au moment même où Platon passe de la théorie à la pratique, qu’il fait intervenir l’autorité politique du philosophe. Platon ne se lasse pas d’insister sur le rôle actif qui convient au philosophe : il faut le forcer à descendre de la contemplation des choses intelligibles pour s’occuper des affaires de la cité (519d) ; il faut aussi préparer à cette réforme l’opinion du vulgaire, porté, à cause même des vices du gouvernement, à considérer la philosophie comme inutile à la cité (500b). La philosophie procédera sur la cité comme le peintre sur la muraille qu’il orne ; il la nettoiera d’abord soigneusement, puis il y dessinera la forme de la cité, en comparant à chaque instant son dessin au modèle du juste qu’il est capable de contempler (501a).
Comment Platon est il arrivé à cette vue célèbre, qui paraît être l’utopie sociale par excellence ? D’où vient cette idée d’une reconstruction rationnelle de la cité ? Quelle en est la signification exacte ?