Vieillard-Baron (1988:39-41) – o microcosmo e sua imagem

La correspondance entre microcosme et macrocosme implique une notion déterminée de Dieu et de l’esprit. Il faut donc poser maintenant la question suivante : quelle est la nature de la connaissance humaine pour que le monde soit le reflet de l’homme ?

A cette question, Cudworth répond en écartant d’abord l’empirisme. Il y a en nous, dit-il, quelque chose de supérieur à tous les sens, qui juge des données sensibles et décide de ce que les corps ont ou n’ont pas. C’est seulement dans l’étude expérimentale des phénomènes naturels qu’on peut faire comme si les données sensibles pouvaient suffire ; Berkeley dit ainsi qu’il ” n’est pas nécessaire dans les arts du cadran ou de la navigation de mentionner le vrai système ni le mouvement de la terre “. Mais la correspondance entre microcosme et macrocosme ne peut apparaître si l’on n’a pas le souci de la vrai nature des choses. Pour Cudworth, cette correspondance joue dès le niveau de la représentation : les données des sens, images ou affections sensibles, ne sont pas des modifications des corps extérieurs à nous, mais des mouvements de l’esprit qui en nous pense et agit. Nos représentations sont donc des reflets, des modifications de la pensée et du sens interne, en correspondance avec les formes extérieures de la nature. Au niveau représentatif, il y a ainsi une sorte d’inversion de l’image et de son reflet : c’est en l’homme qu’il y a le reflet du monde.

Ceci ne signifie pas pour autant que l’homme est la copie du monde, ou a le monde pour modèle. La connaissance ne vient pas du monde, et les concepts et les perceptions qui nous renseignent sur le monde ont leur source dans l’esprit humain. C’est un présupposé de toute doctrine athée, selon Cudworth, que ce sont les choses qui font la connaissance, et non pas la connaissance qui fait les choses. L’athéisme inverse les rapports du microcosme et du macrocosme : il fait de l’esprit la créature de l’univers. Dans l’ouvrage le plus platonicien de Berkeley, la Siris, publiée plus de cinquante ans après les œuvres des Cambridgiens, mais fidèle à leur inspiration, on trouve à plusieurs reprises l’éloge de Plotin, qui a su voir que ” l’âme n’est pas dans le monde, mais le monde dans l’âme “.

Que Cudworth, Henry More et le Berkeley de la Siris aient une conception platonicienne de l’esprit et du monde intellectuel, c’est ce qui ne fait pas le moindre doute. Cudworth rappelle, dans un essai sur l’Union du Christ et de l’Église, la tradition à laquelle il se rattache : ” Ainsi les Platoniciens, lorsqu’ils parlent des choses matérielles comme des choses spirituelles, ont coutume de dire fréquemment : τὰ αισθητά τῶν νοητῶν μιμήματα, les choses matérielles et sensibles sont des images, éternelles et archétypes”. Cette correspondance d’un monde-copie et d’une pensée-modèle, justifie que par la pensée l’homme puisse rechercher dans l’image qu’il a du monde les signes qui renvoient à l’esprit. C’est ainsi que Cudworth interprète la pensée de Reuchlin.

Berkeley, dans la Siris, accorde une importance extrême à la notion de signe, en la replaçant lui aussi dans la lignée platonicienne : ” Les Pythagoriciens et les Platoniciens, dit-il, avaient une notion du véritable système du monde. Ils reconnaissaient des principes mécaniques, mais actués par l’âme ou par l’esprit… ils voyaient qu’un esprit d’une puissance infinie, inétendue, invisible, immortel, reliait et contenait toutes choses… que l’esprit ou âme existe véritablement et réellement ; que les corps existent seulement en un sens secondaire et dépendant… “. Et il conclut : ” Ils savaient… que les causes physiques ne sont que des instruments, ou plutôt des marques et des signes ”

La lecture physicienne du monde, dans un schéma mécaniste, n’est pas à proprement parler rejetée, mais elle est considérée comme partielle et insuffisante. C’est alors qu’une autre lecture du monde est possible : ce n’est certes pas ici celle de la magie poétique, célébrée plus tard par Novalis, c’est une lecture métaphysique et sacralisatrice. Si les apparences sensibles du monde sont susceptibles d’être sacralisées, c’est uniquement parce que l’homme peut y projeter son reflet.

Le caractère représentatif, puis proprement spirituel de la correspondance entre microcosme et macrocosme, nous indique maintenant l’aspect théologique du problème. C’est que l’homme, qui participe à la pensée archétype de l’univers, à savoir l’esprit en général, est conçu comme image de Dieu. C’est à Philon d’Alexandrie et à Origène que se réfèrent More et Cudworth à ce sujet, comme à ceux qui ont lié la correspondance entre microcosme et macrocosme à la théologie de l’image de Dieu. Mais il ne faut pas concevoir la correspondance d’une façon statique. En effet, Henry More rejette, dans sa Critique de la philosophie de Jacob Böhme, une conception de l’homme qui en ferait, plus qu’un petit monde, un petit Dieu, μικρόθεος. Il faut en effet respecter la différence entre l’homme, l’ange et Dieu ; comme chez Nicolas de Cues ou Pic de la Mirandole, la position d’une ressemblance entre l’homme et Dieu s’accompagne de l’affirmation d’une différence plus grande encore. C’est donc en un sens dynamique qu’il faut comprendre les similitudes : c’est parce qu’il doit ressembler à Dieu que l’homme peut voir dans le monde sa propre image, se présenter à Dieu comme le ministre qui consacre le monde.

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