Chambry: Ion 530a-532b — Apresentação do problema

SOCRATE: I. – Salut à Ion. D’où nous reviens-tu cette fois ? d’Ephèse, ton pays ?

ION: Pas du tout, Socrate, d’Epidaure, des fêtes d’Asclèpios.

SOCRATE: Est-que les Epidauriens font aussi un concours de rhapsodes en l’honneur du dieu ?

ION: Mais oui, et de toutes les parties de la musique aussi.

SOCRATE: Et alors, tu as concouru ? et avec quel succès as-tu concouru ?

ION: Nous avons remporté le premier prix, Socrate.

SOCRATE: C’est bien, et maintenant il nous faut tâcher d’être vainqueurs aussi aux Panathénées.

ION: On le sera, s’il plaît à Dieu.

SOCRATE: C’est vrai, Ion, que je vous ai souvent envié votre profession à vous autres rhapsodes. Une profession où la bienséance veut qu’on soit toujours paré et qu’on paraisse en public avec les plus beaux habits, où l’on est obligé en même temps d’étudier une foule de grands poètes et principalement Homère, le meilleur et le plus divin de tous, et de connaître à fond sa pensée, et non pas seulement ses vers, une telle profession est digne d’envie. On ne saurait en effet devenir rhapsode, si l’on ne comprend pas ce que veut dire le poète ; car il faut que le rhapsode interprète la pensée du poète à ses auditeurs, et il est impossible de le faire convenablement, si l’on ne comprend pas ce qu’il veut dire. Tout cela est vraiment enviable.

ION: II. – Tu ne te trompes pas, Socrate ; en tout cas, pour moi, c’est cette partie de mon art qui m’a donné le plus de peine, et je ne pense pas qu’il y ait personne au monde qui parle d’Homère aussi bien que moi ; car ni Métrodore de Lampsaque, ni Stésimbrote de Thasos, ni Glaucon, ni aucun autre rhapsode qui ait jamais existé n’a su exprimer autant de belles pensées sur Homère que moi-même.

SOCRATE: J’en suis bien aise, Ion ; car tu ne refuseras pas de me donner un échantillon de ton talent.

ION: Ma foi, Socrate, il vaut la peine d’entendre comment je sais faire valoir Homère ; aussi m’est avis que ce serait justice si les Homérides m’offraient une couronne d’or.

SOCRATE: Ma foi, je veux me donner un jour le loisir de t’écouter. Pour le moment, je ne te demanderai qu’une chose : ta virtuosité se borne-t-elle à Homère ou s’étend-elle à Hésiode et à Archiloque ?

ION: Non, elle se borne à Homère, et cela me paraît suffisant.

SOCRATE:
Mais y a-t-il des sujets sur lesquels Homère et Hésiode disent les mêmes choses ?

ION: Il y en a, je pense, et beaucoup.

SOCRATE: Eh bien, expliquerais-tu mieux ce que dit Homère sur ces sujets que ce qu’en dit Hésiode ?

ION: J’expliquerais pareillement, Socrate, les sujets sur lesquels Homère et Hésiode sont d’accord.

SOCRATE: Et ceux où ils ne sont pas d’accord ? Par exemple, Homère et Hésiode parlent tous deux de la divination.

ION: Sans doute.

SOCRATE: Eh bien, qui, de toi ou d’un bon devin, expliquerait le mieux ce que ces deux poètes disent de pareil et ce qu’ils disent de différent sur la divination ?

ION: Un bon devin.

SOCRATE: Mais si tu étais devin, n’est-il pas vrai qu’étant capable d’expliquer ce qu’ils disent de pareil, tu saurais aussi expliquer ce qu’ils disent de différent ?

ION: Evidemment si.

SOCRATE: Pourquoi donc es-tu si entendu sur Homère, et pas sur Hésiode et les autres poètes ? Homère traite-t-il d’autres sujets que tous les autres poètes ? ne parle-t-il pas la plupart du temps de la guerre, des relations qu’ont entre eux les hommes, bons ou méchants, bourgeois ou artisans, et de celles que les dieux ont entre eux, et de celles qu’ils entretiennent à leur manière avec les hommes, et de ce qui se passe dans le ciel, et de ceux qui sont chez Hadès, et des généalogies des dieux et des héros ? N’est-ce pas là-dessus que roule la poésie d’Homère ?

ION: C’est vrai, Socrate.

SOCRATE: III. – Mais quoi ! les autres poètes ne traitent-ils pas de ces mêmes choses ?

ION: Si, Socrate, mais pas comme Homère.

SOCRATE: Comment donc ? plus mal ?

ION: Beaucoup plus mal.

SOCRATE: Alors Homère les traite mieux ?

ION: Mieux, sans nul doute.

SOCRATE: Hé ! mon bel Ion, quand plusieurs personnes parlent des nombres, et que l’une en parle pertinemment, il y aura quelqu’un, je suppose, pour reconnaître celle qui parle juste ?

ION: Oui.

SOCRATE: Sera-ce le même qui reconnaîtra aussi celles qui en parlent sans justesse, ou un autre ?

ION: Ce sera le même, je pense.

SOCRATE: Alors ce sera celui qui sait l’art de compter ?

ION: Oui.

SOCRATE: Mais quoi ! quand plusieurs personnes conversant ensemble se demandent quels sont les aliments bons pour la santé et que l’une d’elles en parle excellemment, l’un reconnaîtra-t-il celle qui en parle excellemment, et un autre celle qui en parle moins bien, ou sera-ce le même qui jugera des deux ?

ION: Ce sera le même, évidemment.

SOCRATE: Qui ? comment s’appelle-t-il ?

ION: Le médecin.

SOCRATE: En résumé, nous disons donc que le même homme reconnaîtra toujours, quand plusieurs personnes parlent des mêmes choses, qui en parle bien et qui en parle mal, et que, s’il ne reconnaît pas celle qui en parle mal, il est clair qu’il ne reconnaîtra pas non plus celle qui en parle bien, étant bien entendu qu’il s’agit du même objet.

ION: C’est cela.

SOCRATE: Donc le même homme s’entend à reconnaître l’un et l’autre ?

ION: Oui.

SOCRATE: Ne prétends-tu pas, toi, qu’Homère et les autres poètes, parmi lesquels Hésiode et Archiloque, parlent sur les mêmes matières, mais différemment, et que l’un en parle bien, et les autres moins bien ?

ION: Et je ne dis rien que de vrai.

SOCRATE: Si donc tu reconnais celui qui parle bien, tu pourrais également reconnaître l’infériorité de ceux qui parlent moins bien ?

ION: Il me semble.

SOCRATE: Alors, mon excellent ami, si nous disons qu’Ion s’entend aussi bien à expliquer les autres poètes qu’Homère, nous ne nous tromperons pas, puisqu’il convient lui-même que le même homme est juge compétent de tous ceux qui parlent des mêmes objets et que tous les poètes, ou peu s’en faut, traitent des mêmes objets.