Ce livre comprend deux parties : 1° De l’impassibilité de l’âme ; 2° De l’impassibilité de la matière et de la forme.
DE L’IMPASSIBILITÉ DE L’ÂME (I-III) Dans la sensation, il faut distinguer la passion et le jugement : la première appartient au corps : le second, à l’âme. Étant une essence inétendue et incorruptible, l’âme ne peut éprouver aucune altération qui impliquerait qu’elle est périssable. Si l’on dit qu’elle éprouve une passion, Il faut donner à ce mot un sens métaphorique, comme on le fait pour les expressions : arracher de l’âme un vice, y introduire la vertu, etc. En effet, la vertu consiste à ce que toutes les facultés soient en harmonie ; le vice n’est que l’absence de la vertu ; il en résulte que ni la vertu ni le vice n’introduisent dans l’âme quelque chose d’étranger à sa nature. En général, passer de la puissance à l’acte, produire une opération, n’a rien de contraire à l’inaltérabilité d’une essence immatérielle; pâtir en agissant n’appartient qu’au corps. Il en résulte que les opinions, les désirs et les aversions, et tous les faits qu’on appelle par métaphore des passions et des mouvements ne changent pas la nature de l’âme.
(IV) On nomme partie passive de l’âme celle qui éprouve les passions, c’est-à-dire les faits accompagnés de peine ou de plaisir. Il faut y bien distinguer ce qui appartient an corps et ce qui appartient à l’âme : ce qui appartient au corps, c’est l’agitation sensible qui se produit dans les organes, telle que la pâleur ; ce qui appartient à l’âme, c’est l’opinion qui produit la peine ou le plaisir et qui se rattache elle-même à l’imagination. La partie passive est donc une forme engagée dans la matière ; elle ne pâtit pas elle-même ; elle est seulement la cause des passions, c’est-à-dire des affections éprouvées par le corps.
(V) Si, quoique l’âme soit impassible, on dit qu’il faut l’affranchir des passions, c’est que, par ses représentations, l’imagination produit dans le corps des mouvements d’où naissent des craintes qui troublent l’âme. Affranchir l’âme des passions, c’est la délivrer des conceptions de l’imagination. La purifier, c’est la séparer du corps, c’est-à-dire l’élever d’ici-bas aux choses intelligibles.
DE L’IMPASSIBILITÉ DE LA FORME ET DE LA MATIÈRE. (VI) L’Être absolu est impassible : car, possédant de soi et par soi l’existence, il se suffit pleinement à lui-même, il est par conséquent parfait, éternel, immuable, possède la vie et l’intelligence. On se trompe quand on croit que le caractère de la réalité est l’impénétrabilité : cette propriété n’appartient qu’aux corps ; plus ils sont durs et pesants, moins ils sont mobiles, moins ils participent de l’être.
(VII) La matière est impassible, mais pour une autre raison que l’Être absolu ; elle est impassible, parce qu’elle est le non-être. N’étant ni être, ni intelligence, ni âme, ni raison séminale, ni corps, elle est une espèce d’infini; elle peut toujours devenir toutes choses indifféremment, parce qu’elle ne possède aucune forme, qu’elle n’est qu’une aspiration à l’existence. En recevant successivement des qualités contraires, elle n’est pas plus altérée qu’un miroir ne l’est par une image.
(VIII-X) Ce qui pâtit, c’est le corps, le composé de la forme et de la matière. Quant à la matière elle-même, elle demeure immuable au milieu des changements que les qualités contraires se font subir les unes aux autres, comme la cire garde sa nature en changeant de forme, comme un miroir reste toujours le même, quelles que soient les images qui viennent s’y peindre. En effet, étant le commun réceptacle de toutes choses, la matière ne peut être altérée en tant que matière.
(XI-XIII) Tout en participant aux idées, la matière reste impassible, parce que cette participation consiste dans une simple apparence : elle n’est affectée en aucune façon en recevant les formes ; elle en est seulement le lieu.
(XIV-XV) Ne recevant rien de réel quand les images des idées entrent en elle, la matière demeure toujours insatiable à cause de son indigence naturelle. Les raisons séminales qui sont dans la matière ne se mêlent pas avec elle ; elles y trouvent seulement une cause d’apparence.
(XVl-XVIII) La matière n’est pas la substance étendue. En recevant de la raison séminale la forme, elle en a reçu en même temps la quantité et la figure. Elle n’est grande que parce qu’elle contient les images de toutes les idées, par conséquent l’image de la grandeur même. Ne possédant pas réellement la forme, elle ne possède pas nos plus réellement la grandeur, elle n’en a que l’apparence. La grandeur apparente de la matière doit son origine à la procession de l’Âme universelle qui, en produisant hors d’elle l’Idée de grandeur, a donné à la matière l’extension qu’elle possède dans son état actuel.
(XIX) La quantité et les qualités auxquelles la matière sert de sujet y entrent sans lui faire partager les passions qu’elles subissent elles-mêmes. La matière reste donc impassible au milieu de tous les changements produits par l’action que les contraires exercent les uns sur les astres. Aussi est-elle complètement stérile. La forme seule est féconde.