Bouillet: Tratado 42 (VI, 1) – DES GENRES DE L’ÊTRE I

(I) Il y a des opinions très différentes sur le nombre des êtres et sur les genres qu’ils forment. Nous allons commencer par examiner la doctrine que les Péripatéticiens professent à ce sujet.

CRITIQUE DES DIX CATÉGORIES D’ARISTOTE

(II-III) Les dix catégories d’Aristote ne sauraient s’appliquer également aux êtres intelligibles et aux êtres sensibles.

Pour commencer par la Substance, la substance intelligible et la substance sensible ne peuvent former un seul genre : car la seconde procède de la première. Ensuite, on ne voit pas bien ce qu’il y a de commun soit entre la matière, la forme et le composé, dont Aristote fait la catégorie de la substance, soit entre les substances premières et les substances secondes. La définition qu’on donne de cette catégorie est si vague qu’elle s’applique à tout.

(IV-V) La catégorie de la Quantité comprend le nombre ou quantité discrète, et l’étendue ou quantité continue. Cette théorie soulève plusieurs objections. D’abord, l’étendue n’est une quantité qu’à condition d’être évaluée par le nombre. Ensuite, pour le nombre lui-même, il faut distinguer le nombre intelligible et le nombre sensible; le second seul est une quantité. Enfin, la parole, le temps et le mouvement ne sont des quantités que par accident.

(VI-IX) La catégorie de la Relation n’est pas assez nettement déterminée ; elle comprend des choses fort différentes. Dans certains cas, elle suppose quelque chose de réel dans les objets; dans d’autres cas, elle paraît n’être qu’une simple conception de notre âme. Pour sortir de celle indétermination, il faut appeler relatives uniquement les choses qui doivent leur existence à leur corrélation, comme le double et la moitié, l’activité et la passivité. Leur réalité consiste soit dans une efficacité, dans un acte, comme la science, soit dans une participation à une forme, comme le double.

(X-XII) Le même vague se retrouve dans la catégorie de la Qualité, qui comprend la capacité et la disposition, la puissance physique, la qualité affective, la figure. Les différences qui distinguent les essences les unes des autres ne sauraient être appelées qualités que par homonymie. Les propriétés qui méritent vraiment le nom de qualités sont celles qui qualifient les choses et qui sont des puissances et des formes soit de l’âme soit du corps. Par cette définition on comprend comment les impuissances et les défauts constituent des qualités : c’est que ce sont des dépositions et des formes imparfaites. Par là, on voit également qu’il est inutile de distinguer, comme le fait Aristote, quatre espèces de qualités. Enfin, par là on sépare nettement les qualificatifs des relatifs. — Outre toutes ces critiques, il en est encore une que l’on est en droit d’adresser à la doctrine d’Aristote, et qui s’applique à toutes ses catégories : c’est qu’il ne distingue pas le sensible d’avec l’intelligible; ici, par exemple, il réunit dans une même catégorie la qualité intelligible qui est proprement l’essence, et la qualité sensible, qui seule doit porter le nom de qualité et qui consiste dans une disposition soit adventice soit originelle.

(XIII-XIV) Les catégories désignées par les mots Où et Quand indiquent qu’un objet se trouve dans un temps ou un lieu déterminé. Il aurait donc mieux valu prendre ici pour catégories les pures notions de lieu et de temps.

(XV-XVIII) La catégorie d’Agir devrait être remplacée par celle du Mouvement, dont l’action et la passion ne sont que deux modes. Il vaudrait mieux faire une catégorie de l’acte (energeia) que de l’action (poiesis) parce que l’acte s’affirme de la substance ainsi que de la qualité. Ensuite, le mouvement doit plutôt que l’acte lui-même former une catégorie. En vain on prétend que le mouvement est un acte imparfait, qu’il implique l’idée de succession et de temps, tandis que l’acte est en dehors du temps; cette assertion est fausse : la notion du temps n’est impliquée dans le mouvement que par accident. Ensuite, il est tout à fait arbitraire d’avancer que l’acte et le mouvement appartiennent au genre des relatifs; une pareille théorie conduit à faire de toutes choses des relatifs. Enfin, la distinction que les Péripatéticiens établissent entre l’acte et le mouvement soulève une foule de difficultés, comme on le voit en examinant les diverses clauses de verbes. Les uns, en effet, expriment une action parfaite ou un état, comme penser, et les autres une action successive, comme marcher. En outre, chacune de ces classes se subdivise en deux espèces : verbes exprimant une action absolue, par laquelle le sujet seul est modifié, comme marcher, penser; verbes exprimant une action relative à un autre objet et servant seuls à former les verbes passifs, comme diviser.

(XIX-XXII) Puisqu’en toutes choses Pâtir ne fait qu’un seul genre avec Agir, qu’il vient après, sans en être le contraire, on a tort de faire de Pâtir une catégorie à part. L’action et la passion doivent être placées dans un seul et même genre, celui du mouvement, dont elles ne sont que des points de vue corrélatifs. En effet, quand on étudie leur nature, on voit que l’action est un mouvement spontané, et que la passion consiste à éprouver, sans y contribuer en rien, une modification qui ne concoure pas à l’essence. Il résulte de là que les actes ne sont pas tous des actions; la pensée par exemple, s’exerce sur elle-même.

(XXIII) La catégorie d’Avoir est fort vague et s’applique à tout. Si l’on essaie d’en limiter l’application, on tombe dans l’arbitraire.

(XXIV) On peut en dire autant de la catégorie de la Situation. Elle a en outre le défaut de rentrer dans les précédentes.

CRITIQUE DES CATÉGORIES DES STOÏCIENS

(XXV) Les Stoïciens, ne reconnaissant que quatre catégories, divisent toutes choses en substances, qualités, modes et relations. De plus, ils embrassent tons les êtres dans un seul genre en leur attribuant quelque chose de commun.

Pour commencer par ce quelque chose de commun, on ne saurait comprendre en quoi il consiste, ni comment il pourrait s’adapter à la fois aux corps et aux êtres incorporels.

(XXVI-XXVIII) Par Substance, les Stoïciens entendent la matière, dont ils font le principe et l’essence de tous les êtres. Ils confondent ainsi un principe avec un genre, deux choses fort différentes. Ils ont d’ailleurs tort de prendre pour principe ce qui n’existe qu’en puissance et de faire de la matière un corps en lui attribuant l’étendue. Dieu, dans ce système, n’est que la matière modifiée ; mais on ne conçoit pas d’où vient à la matière la modification dont elle est le sujet, s’il n’y a pas hors d’elle un principe actif. Supposez que la matière et le principe actif qui la modifie constituent un seul sujet, les autres choses ne seront plus que la matière modifiée; elles n’auront plus d’existence réelle. Il résulte de là que l’être dérive du non-être, que l’acte dérive de la puissance, ce qui est absurde. Cette erreur des Stoïciens a pour cause qu’ils ont pris la sensation pour guide dans la détermination des principes.

(XXIX) Les Qualités des Stoïciens devraient être incorporelles et actives, puisque la matière est passive. Cependant leurs raisons séminales sont corporelles, de sorte qu’avant de former avec la matière un composé elles sont elles-mêmes déjà composées; elles n’ont donc aucune réalité par elles-mêmes, et elles constituent de simples modifications de la matière.

(XXX) Les qualités n’étant que des modifications de la matière, les Modes ne sauraient avoir plus de réalité puisqu’ils se rapportent eux-mêmes aux qualités. Ils ne sauraient d’ailleurs constituer un genre, parce qu’ils ne forment qu’un amas confus de choses complètement différentes les unes des autres

On trouve la même confusion et la même incohérence dans ce que les Stoïciens disent des Relations.