Plutôt que des descriptions plotiniennes de l’Êxtase, l’enseignement d’Eckhart concernant le détachement peut donc sembler s’approcher de la doctrine stoïcienne de l’apathie. — D’un côté et de l’autre, en effet, on parle de sérénité, et d’un côté et de l’autre l’attachement est considéré comme son entrave la plus redoutable, comme « racine de la maladie ».
A quelqu’un qui avance les yeux bandés, on aura beau expliquer le chemin à suivre, il ne le trouvera jamais. Au malade d’esprit, les meilleures règles de conduite ne servent à rien. Celui qui veut guérir la maladie doit en éliminer la racine elle-même (cité par Max Pohlenz, Die Stoa, Göttingen, 1948, t. I, p. 151).
Ce texte d’Ariston, sorte de sermon sur l’affranchissement total à l’égard des affections en vue du libre exercice de la raison, décrit assurément certain trait commun entre l’apatheia et la gelâzenheit; mais Eckhart n’a pas pu avoir une connaissance bien grande des auteurs de la Stoa. Aussi, outre la difficulté historique d’une influence nette, on verra Maître Eckhart témoigner d’une joie errante assez éloignée de la mentalité stoïcienne. La voie de libération stoïcienne passe par un effort continu et constant de la volonté morale; on est loin du « laisser-être » de Maître Eckhart. Chez lui, la volonté cessera même de se vouloir elle-même.
Néoplatonisme et stoïcisme ont apporté certains éléments à la doctrine eckhartienne concernant le détachement et la gelâzenheit, mais elle ne se laisse pas résumer en des schèmes de pensée devenus d’ailleurs propriété commune de la culture occidentale. (Reiner Schürmann: MESTRE ECKHART OU A ALEGRIA ERRANTE)