Excertos de Paul Bastid, Proclus et le crépuscule de la pensée grecque
Ce dialogue, on le sait, met en présence Socrate et le jeune Alcibiade qui se dispose à suivre la carrière des affaires publiques.
Au début de son commentaire, Proclus explique longuement l’utilité de l’Alcibiade, la place qu’il occupe parmi les dix principaux dialogues de Platon, son but et ses divisions.
Le principe de la doctrine platonicienne et de toute philosophie est la connaissance de notre nature. Cette connaissance une fois acquise, nous pouvons mieux juger ce qui est pour nous un bien et ce qui est un mal, mesurer le genre de perfection que le Bien en soi procure aux différentes essences. Ici donc est déjà mise en vedette par Proclus cette idée du Bien suprême, couronnement de l’édifice métaphysique, dont à vrai dire l’Alcibiade, qui porte sur des questions concrètes, ne parle pas expressément. Mais c’est, nous dit Proclus, ce que Jamblique a le mieux expliqué.
Il s’agit de la contemplation de nous-mêmes, mentionnée pour la première fois et dont le Parménide parlera pour la dernière. Jamblique, qui a vu dans l’Alcibiade toute la philosophie de Platon, divise à juste titre le dialogue en trois parties : la première prouve par plusieurs raisonnements la double ignorance dont souffre l’âme humaine ; la seconde tend à empêcher qu’un sujet pourvu de grands avantages naturels ne méprise les études qui pourraient l’amener à la vertu parfaite ; la troisième enfin montre notre véritable nature, apporte un remède approprié aux vices et conduit au but essentiel du dialogue.
On a ici un exemple, qui pourrait être multiplié à propos d’autres cas, de la méthode de Proclus, cherchant a diviser et subdiviser les textes. Effort qui se poursuit sans désemparer, puisqu’il distingue jusqu’à dix raisonnements (baptisés syllogismes sans l’être en forme) qui répondent à cette fin. Nous les citerons, en les résumant, que comme un objet de curiosité, qui nous dispensera de rapporter plus tard d’autres dissections analogues. Il va sans dire que leur énumération est tout artificielle. Le premier montre que nous sommes tous dès l’enfance ignorants du juste parce que nous ne nous connaissons pas et qu’en conséquence nous devons nous retourner vers nous-mêmes (formule essentiellement néoplatonicienne), de manière à ne pas penser savoir ce que nous ne savons pas. Le second fait voir que la foule n’est pas un bon arbitre du juste et qu’il faut, en repoussant les opinions de la multitude, chercher à cet égard une science qui réside en nous-mêmes. Le troisième établit que dans une discussion c’est le répondant qui affirme, en tirant toutes ses notions de lui-même ; il montre qu’apprendre est en réalité se ressouvenir. Le quatrième que le propre de cette science est de convaincre un et plusieurs (à l’image de l’intelligence divine, qui est présente à la fois à chacun et à tous). Le cinquième qu’il y a identité entre le juste et l’utile et qu’il faut poursuivre seulement ce qui est honnête, en oubliant toutes les circonstances extérieures qui se rapportent au corps. Le sixième qu’il y a identité entre ce qui est beau et ce qui est bon et qu’il faut élever l’âme de la forme sensible à la contemplation de la beauté intelligible. Le septième que celui qui s’ignore lui-même souffre du plus grand des maux. Le huitième que celui-là est le plus malheureux qui ne connaît pas les forces propres de l’âme et ducorps et qui est ainsi dominé dans tous les domaines par ses rivaux. Le neuvième que chacun doit se guérir lui-même et que le principe de cette guérison est la connaissance dLe l’essence humaine. Le dixième que l’hommet est une âme se servant du ministère d’un corps.
Mais les six premiers de ces raisonnements sont seuls développés dans l’ouvrage inachevé de Proclus. Les quatre derniers ne figurent en détail que dans les scolies d’Olympiodore.
Le commentaire circonstancié commence tout de suite après cette énumération. Bref, on voit ici Proclus dégager les principes d’une explication scolaire minutieuse du texte de Platon, à l’instar d’un professeur analysant dans sa chaire l’anatomie d’un ouvrage classique avant d’en examiner les particularités une à une. Nous ne pouvons d’ailleurs que schématiser rapidiment sa pensée. Notons que chemin faisant il fait appel non seulement à d’autres dialogues, mais aux poètes, à Orphée et aux oracles.