« Le mythe est un récit qui mêle dans la même représentation imaginative une histoire de dieux, de demi-dieux, de héros et remonte à une sorte de temps primitif, archaïque, à un temps originaire avant le temps; le mythe se rencontre dans toutes les cultures révélant ainsi un état imaginatif, nocturne mais peut-être faussement naïf de la pensée. Mythe exemplaire, ce récit de l’ancienne Egypte qui raconte comment le monde est né, de la larme d’un dieu.
La philosophie contemporaine réhabilite volontiers le mythe. Réaction heureuse contre un positivisme plat qui voyait dans la prolifération des mythes une maladie de jeunesse de l’humanité, la fable évidemment dépourvue de tout sérieux étant aussi négligeable et vaine qu’un rêve d’enfant. On sait de mieux en mieux aujourd’hui que le mythe ne peut être rejeté hors de la pensée; œuvre de l’homme le mythe doit nous éclairer sur l’homme et dans la mesure où la philosophie est de plus en plus une anthropologie, un discours sur l’homme, comme on le voit dans nos phénoménologies et nos existentialismes, elle ne peut pas se passer d’une doctrine du mythe.
Si le mythe est incontestablement de la pensée, cette pensée est de la pensée confuse et d’une confusion sans doute irréductible à la clarté : v le superstitieux et le magique s’y mêlent au religieux, l’esthétique au philosophique : par-delà le déroulement du récit, la série des apparences liées comme par une étiquette de cour, se devine un tumulte de passions dont on ne sait si elles appartiennent à la chair ou à l’esprit…
Nos philosophies y trouvent sans se fatiguer le noir comme le blanc. Du mythe, un Valéry tire une leçon de scepticisme universel : « Mythe, écrit-il, est le nom de tout ce qui n’existe et ne subsiste qu’ayant la parole pour cause ». Le mythe c’est l’erreur ou l’illusion, mais bien habillées, et il faut alors confesser que tout est mythe, c’est-à-dire vanité; Alain connaît par leur nom toutes les passions et toutes les pensées qui se sont faites mythes pour grimacer et pour séduire. Chez Valéry comme chez Alain, le mythe s’est laissé capturer et réduire en esclavage. Nos deux ». esprits forts vident le sac jusqu’au fond et la pêche sans miracle des monstres et des dieux se montre tout entière étalée sur la plage. Il n’y manque que l’ampleur de la mer et du ciel.
…Le mot de Plutarque : celui qui connaîtrait les mythes saurait toutes choses, est vrai d’une vérité d’abord ironique. Tout est dans les mythes, les débris méconnaissables ou reconnaissables d’une révélation primitive comme le pressentiment d’une pensée rationaliste à venir, toute la piété et toute l’impiété dont l’homme est capable. Énigme toujours forcée et qui défend bien son mystère.
Une doctrine du mythe ne devrait donc nourrir aucune ambition théorique ou interprétative, ne pas chercher à le capturer ou à le réduire, comme un chasseur s’empare de sa proie ; elle se contenterait de le dévisager naïvement, de le regarder en face, et de le décrire tel qu’il est dans sa confusion et dans son ambiguïté. »
E. Borne, Le Problème du mal, PUF, 1958, p. 38-42.
« Au commencement était la fable, écrit Valéry. Il suffit de renverser la formule pour la sauver de la littérature et pour la rendre à la philosophie. Toute fable remonte à des commencements et cherche à scruter des origines. Non pas qu’elle cherche un point zéro métaphysique à partir duquel se déroulerait le temps ; le mythe est plutôt hanté par l’idée d’un commencement pur, antérieur à tous les surgissements historiques et qu’aucun mal ne saurait atteindre — mais le mal vivement écarté de l’origine vient aussitôt le corrompre, comme s’il y avait un mal antérieur au mal. » E. Borne, ib., p. 44-45.