Bouillet: Tratado 19,1 (I, 2, 1) — A virtude consiste em se tornar semelhante ao deus

[1] Puisque le mal règne ici-bas et domine inévitablement en ce monde, et puisque l’âme veut fuir le mal, il faut fuir d’ici-bas. Mais quel en est le moyen? C’est, dit Platon, de nous rendre semblables à Dieu. Or nous y réussirons en nous formant à la justice, à la sainteté, à la sagesse, et en général à la vertu1.

Si c’est par la vertu qu’a lieu cette assimilation, le Dieu à qui nous voulons nous rendre semblables possède–t–il lui–même la vertu? Mais quel est ce Dieu? Sans doute c’est celui qui semble devoir posséder la vertu au plus haut degré, c’est l’Âme du monde, avec le principe qui gouverne en elle et qui a une sagesse admirable [l’Intelligence suprême]. Habitant ce monde, c’est à ce Dieu que nous devons chercher à ressembler. Et cependant, on peut douter à la première vue que toutes les vertus puissent convenir à ce Dieu, qu’on puisse par exemple lui attribuer la modération dans les désirs ou le courage : le courage, puisqu’il n’a aucun danger à craindre, étant à l’abri de toute atteinte; la modération, puisqu’il ne peut exister aucun objet agréable dont la présence excite ses désirs, dont l’absence excite ses regrets. Mais si Dieu aspire comme nous-mêmes aux choses intelligibles, c’est évidemment de là que nous recevons l’ordre et les vertus.

Dieu possède-t-il donc ces vertus?

Il n’est pas convenable de lui attribuer les vertus qu’on nomme civiles (politikai) : la prudence, qui se rapporte à la partie raisonnable de notre être, le courage, qui se rapporte à la partie irascible, la tempérance, qui consiste dans l’accord et l’harmonie de la partie concupiscible et de la raison, la justice enfin, qui consiste dans l’accomplissement par toutes ces facultés de la fonction propre à chacune d’elles, soit pour commander, soit pour obéir2. Mais si ce n’est pas par les vertus civiles que nous pouvons nous rendre semblables à Dieu, n’est-ce pas par des vertus qui sont d’un ordre supérieur et qui portent le même nom? Dans ce cas, les vertus civiles sont-elles complètement inutiles pour atteindre notre but? Non : on ne peut pas dire qu’en les pratiquant on ne ressemble en aucune manière à Dieu: car la renommée proclame divins ceux qui les possèdent. Elles nous donnent donc quelque ressemblance avec Dieu, mais c’est par les vertus d’un ordre supérieur que nous lui devenons complètement semblables.

Il semble que de l’une ou de l’autre façon on est conduit à attribuer à Dieu des vertus, quoique ce ne soient pas des vertus civiles. Si l’on accorde que, bien que Dieu ne possède pas les vertus civiles, nous pouvons lui devenir semblables par d’autres vertus (car il peut en être autrement pour des vertus d’un autre ordre), rien n’empêche que, sans nous assimiler à Dieu par les vertus civiles, nous devenions, par des vertus qui cependant sont nôtres, semblables à l’être qui ne possède pas la vertu. Comment cela peut-il avoir lieu? Le voici : quand un corps est échauffé par la présence de la chaleur, est-il nécessaire que le corps d’où provient la chaleur soit échauffé lui-même par un autre? Si un corps est chaud par l’effet de la présence du feu, faut-il que le feu soit lui-même échauffé par la présence d’un autre feu? On dira peut-être d’abord : il y a de la chaleur dans le feu. mais une chaleur innée; d’où l’on doit conclure par voie d’analogie que la vertu, qui n’est qu’adventice dans l’âme, est innée dans Celui de qui l’âme la tient par imitation [dans Dieu]. A l’argument tiré du feu, on répondra peut-être encore que Dieu possède la vertu, mais une vertu d’une nature supérieure3. Cette réponse serait juste, si la vertu à laquelle l’âme participe était identique au principe dont elle la tient ; mais il y a tout au contraire opposition complète : quand nous voyons une maison, la maison sensible n’est pas identique à la maison intelligible, quoiqu’elle lui soit semblable. En effet la maison sensible participe à l’ordre et à la proportion, tandis que l’on ne saurait attribuer à l’idée de cette maison ni ordre, ni proportion, ni symétrie. De même nous tenons de Dieu l’ordre, la proportion, l’harmonie, conditions de la vertu ici-bas, sans que l’Intelligence suprême ait besoin de posséder elle-même ni ordre, ni proportion, ni harmonie. Il n’est donc pas nécessaire qu’elle possède la vertu, quoique ce soit par la vertu que nous lui devenons semblables. Voilà ce que nous avions à dire afin de montrer qu’il n’est pas nécessaire que l’Intelligence divine possède la vertu pour que nous lui devenions semblables par la vertu. Mais il faut persuader cette vérité, sans se contenter de contraindre l’esprit à l’admettre.


  1. Théétète, p. 176 de l’éd. de H. Étienne, p. 247 de l’éd. de Bekker; t. II, p.132 de la trad. de M. Cousin : « Il n’est pas possible que le mal soit détruit parce qu’il faut toujours qu’il y ait quelque chose de contraire au bien… c’est donc une nécessité qu’il circule sur cette terre et autour de notre nature mortelle. C’est pourquoi nous devons tâcher de fuir au plus vite de ce séjour à l’autre. Or, cette fuite, c’est la ressemblance avec Dieu, autant qu’il dépend de nous, et on ressemble à Dieu par la justice, la sainteté et la sagesse.» 

  2. Ces définitions sont empruntées à Platon, République, liv. IV, p. 434 de l’édition de H. Étienne. 

  3. Tout ce passage est assez obscur. Nous suivons l’interprétation de Ficin qui, dans sa traduction, donne la forme interrogative à toute cette phrase, quoique le texte porte la forme affirmative, et qui justifie ce changement dans son Commentaire. – Du reste, le but de l’auteur ne peut être douteux : c’est d’établir que la cause ne possède pas nécessairement les mêmes qualités que l’effet. Voy. path:/Eneada-II-6-3|Enn. II, liv. VI, § 3.