Ce livre est le premier dans l’ordre chronologique. Il a été traduit en anglais par Taylor, Concerning the Beautiful, or a paraphrase translation from the Greek of Plotinus, London, 1787; en français par M. Auquetil, à la suite du livre de M. Théry De l’Esprit et de la critique littéraire chez les peuples anciens et les modernes, 1832, et plus récemment par M. Barthélemy Saint-Hilaire, De l’École d’Alexandrie, 1815, p. 178-197.
Pour avoir une connaissance complète de la doctrine professée par Plotin sur la nature du Beau, il faut, à la lecture de ce livre, joindre celle du path:/Eneada-V-8|livre VIII de l’Ennéade V : Du Beau intelligible. En effet, dans le traité que nous examinons ici, Plotin n’a pas tant pour but de faire connaître la nature du Beau que d’expliquer comment, par la vue du Beau, le Musicien et l’Amant, path:/Eneada-I-6-1|liv. VI, § 1, 3, p. 98-103) peuvent s’élever au-dessus du monde sensible et avoir l’intuition de Celui qui est l’auteur même du Beau, de Celui qui est le Bien (path:/Eneada-I-6-7|§ 7-9, p. 108-113). Ce livre se rattache donc à la Morale, en ce qu’il exhorte à purifier l’âme, enseigne à la séparer du corps, et à l’appliquer à l’étude de ce monde intelligible dont la contemplation doit la ravir et lui procurer une joie ineffable (path:/Eneada-I-6-4|§ 4-6, p. 104-108). Fuyons dans notre chère patrie (path:/Eneada-I-6-8|§ 8, p. 111), telle est, sous une forme poétique, la pensée qui résume ce livre et qui en est la 422 conclusion, comme saint Augustin l’explique fort bien dans la citation suivante:
« J’admire en vérité comment de si savants hommes, qui comptent pour rien les choses corporelles et sensibles au prix des choses incorporelles et intelligibles, nous viennent [comme le fait Apulée] parler de contact corporel [entre les dieux et les hommes] quand il s’agit de la béatitude. Que signifie alors cette parole de Plotin : « Fuyons, fuyons vers notre chère patrie. Là est le Père et tout le reste avec lui. Mais quelle flotte ou quel autre moyen nous y conduira? Le vrai moyen, c’est de devenir semblable à Dieu.» Si donc on s’approche d’autant plus de Dieu qu’on lui devient plus semblable, ce n’est qu’en cessant de lui ressembler qu’on s’éloigne de lui. Or l’âme de l’homme ressemble d’autant moins à cet être éternel qu’elle a plus de goût pour les choses temporelles et passagères. » (Cité de Dieu, t. X, 17; t. II, p. 166 de la trad. de M. Saisset.)
Le but de ce livre est de montrer comment, par la vue du Beau, on peut, en purifiant l’âme et en la séparant du corps, s’élever du monde sensible au monde intelligible et contempler le Bien, qui est le principe du Beau.
(§ I-III) La beauté ne consiste pas dans la proportion ni dans la symétrie, comme l’enseignent les Stoïciens, mais dans l’idée, la forme ou la raison. Un corps est beau quand il participe à une idée, quand il reçoit du monde intelligible une forme et une raison, quand les parties qui le composent sont ramenées à l’unité. À l’aspect de ce corps, l’âme reconnaît l’image visible de la forme invisible qu’elle porte en elle-même, et elle éprouve un sentiment de sympathie pour la beauté qui frappe ses sens.
(IV-VI) Au-dessus des objets sensibles, qui ne sont beaux que par participation, existent les objets intelligibles, qui sont beaux par eux-mêmes : telles sont la vertu et la science, dont la contemplation inspire des sentiments d’amour et d’admiration. C’est que, par le vice et l’ignorance, l’âme s’éloigne de son essence et tombe dans la fange de la matière, tandis que, par la vertu et la science, elle se purifie des souillures qu’elle avait contractées dans son alliance avec le corps, et elle s’élève à l’intelligence divine, de laquelle elle tient toute sa beauté.
(VII-IX) En examinant à quel principe chaque être doit la forme qui constitue sa beauté, on remonte du corps à l’âme, de l’âme à l’Intelligence divine, et de l’Intelligence divine au Bien. En effet, c’est au Bien que tout aspire, c’est du Bien que tout dépend, que tout tient la vie et la pensée ; c’est lui qui, tout en demeurant immobile en lui-même, fait participer à sa perfection les êtres qui le contemplent. Pour avoir l’intuition de cette Beauté ineffable, auprès de laquelle tous les biens de la terre ne sont rien, il faut détourner nos regards des choses sensibles, qui n’offrent que de pâles images des essences intelligibles, et retourner dans la région qu’habite notre Père. Pour atteindre ce but, nous devons rentrer en nous-mêmes, purifier notre âme par la vertu et l’orner par la science ; puis, après avoir rendu notre âme semblable à l’objet qu’elle aspire à contempler, nous élever à l’Intelligence divine, en qui résident les idées ou formes intelligibles : alors, au-dessus de l’Intelligence divine, nous rencontrerons le Bien, qui fait rayonner autour de lui la souveraine Beauté.