Bouillet: Tratado 10 (V, 1) – DES TROIS HYPOSTASES PRINCIPALES

(I) Pour concevoir Dieu, il faut que l’âme, se détachant des objets extérieurs, rentre en elle-même et examine sa propre nature; par là, elle voit qu’ayant une étroite affinité avec les choses divines, elle peut et elle doit chercher à les connaître.

(II) Affranchie des liens du corps et plongée dans un recueillement profond, elle réfléchira alors que c’est l’Âme universelle qui, sans se mêler aux êtres contenus dans le monde, leur communique la forme, le mouvement et la vie. Elle se représentera donc la grande Âme, toujours entière et indivisible, pénétrant intimement le grand corps immense dont sa présence vivifie et embellit toutes les parties.

(III-V) Mais l’Âme elle-même, malgré sa dignité, procède d’un principe supérieur dont elle tient sa puissance intellectuelle: ce principe est l’Intelligence divine, parfaite, immuable, éternelle, qui renferme toutes les idées, et est ainsi l’archétype du monde sensible: car la nature de l’Intelligence est de penser, et, en se pensant elle-même, elle pense toutes les essences intelligibles, parce qu’elles ne font avec elle qu’une seule et même chose. Par là, l’Intelligence constitue les genres de l’être, principes de toutes choses, et les nombres, qui sont identiques aux idées.

(V-VII) Quoique, dans l’Intelligence, le sujet pensant et l’objet pensé soient identiques, il y a là encore une dualité, et notre âme, en remontant de cause en cause, ne peut s’arrêter qu’à la conception d’un principe parfaitement simple. Se recueillant donc dans son for intérieur, elle s’élèvera de l’Intelligence à l’Un absolu. L’Un est en effet le principe suprême. Il est le Père de l’Intelligence parce qu’il lui est supérieur, que celle-ci est son verbe, son acte et son image. L’Intelligence est l’image de l’Un en ce sens qu’en se tournant vers lui elle le voit, et que, par cette vision, elle se détermine elle-même, en vertu de la puissance qu’elle reçoit de son principe ; c’est encore par cette puissance qu’elle possède en elle-même toutes les idées, ainsi que le font entendre les mythes et les mystères dans ce qu’ils enseignent au sujet de Saturne, de Jupiter et de Rhéa.

II y a donc trois hypostases divines, qui sont, dans leur ordre de perfection, l’Un, l’Intelligence, l’Âme: de toute éternité l’Un engendre l’Intelligence, et l’Intelligence engendre l’Âme, parce qu’aucune puissance parfaite ne saurait rester stérile.

(VIII-IX) Cette théorie des trois hypostases est conforme à la doctrine des anciens sages, de Parménide, d’Anaxagore, d’Héraclite et d’Empédocle. Platon indique nettement les trois principes dans plusieurs de ses écrits. Quant à Aristote, il méconnaît la distinction de l’Un et de l’Intelligence, et la théorie qu’il donne des moteurs intelligibles soulève plusieurs objections. Cette question de la nature des intelligibles est de la plus haute importance ; c’est pour cela que Pythagore et ses disciples s’en sont tous occupés.

(X-XI) Les trois principes n’existent pas seulement dans l’univers; ils existent encore en nous, ils constituent en nous l’homme intérieur. En effet, notre âme est une essence immatérielle, et par là elle participe à l’Âme universelle. Ensuite, comme elle juge, comme elle raisonne, et qu’elle ne saurait raisonner sans avoir des principes immuables, il faut que nous ayons en nous l’Intelligence, parce que c’est d’elle que l’âme tire ces principes immuables. Enfin, comme nous ne saurions posséder en nous l’Intelligence sans posséder également en nous sa cause, qui est l’Un, nous jouissons de la présence de l’Un, nous le touchons en quelque sorte par le fond le plus intime de notre être, et nous sommes édifiés en lui dès que nous nous tournons vers lui.

(XII) L’Un et l’Intelligence exercent toujours leur action sur nous; mais il arrive souvent que leur action n’est point perçue parce que nous ne lui prêtons pas notre attention. Il faut donc fermer nos sens à tous les bruits qui les assiègent pour écouter les voix qui viennent d’en haut.

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