Bouillet: Tratado 22 (VI, 4) – L’ÊTRE UN ET IDENTIQUE EST PARTOUT PRÉSENT TOUT ENTIER. I

(I) La question traitée dans ce livre est : Comment se fait-il que l’Âme universelle, qui est incorporelle, inétendue, puisse se répandre dans l’espace, soit avant que les corps soient formés, soit en même temps qu’ils sont formés?

(II-III) L’Être premier est le véritable universel. Principe qui fait subsister et qui meut le monde sensible, il est partout; mais, comme il est lui-même ce qu’on nomme partout, il n’existe qu’en lui même. Trompés par une illusion grossière, nous disons partout en parlant du monde sensible, et nous le croyons grand ; mais il est réellement petit. Aussi a-t-il besoin de la présence de l’Être premier, qui n’est jamais ni près ni loin de lui, puisqu’il n’est pas contenu dans un lieu déterminé, qu’il est toujours présent aux choses qui peuvent le recevoir. L’Être premier se répand en effet partout par ses puissances, il les communique à chaque chose dans la mesure où chaque chose peut y participer. Il est ainsi partout présent, tout en demeurant séparé : car il ne serait plus le principe universel partout présent tout entier, s’il devenait l’essence d’un être particulier et s’il était circonscrit dans un lieu déterminé. Il serait alors divisible. Mais on ne saurait diviser la vie, l’essence, l’intelligence, parce qu’elles ne sont pas une quantité comme le corps.

(IV-V) L’Être premier est un et identique partout, mais son unité n’empêche pas la pluralité des êtres. L’Être premier engendre cette pluralité sans sortir de lui-même ni rien perdre de son universalité. De même, l’Âme universelle est une, malgré la pluralité des âmes, et chaque âme est une, indivisible, présente dans tout le corps, malgré la pluralité des organes. Cette pluralité des âmes ne résulte pas de la divisibilité propre aux corps. Avant qu’il y eût des corps, il y avait déjà l’Âme universelle el les âmes particulières. D’un côté, les âmes particulières existent en acte dans l’Âme universelle, et elles sont distinctes les unes des autres, non par la place qu’elles occupent, mais par leur différence essentielle. D’un autre côté, elles sont toutes contenues dans l’Âme universelle, parce qu’elle est infinie. Or l’Âme universelle est plus grande que le monde sensible sous le rapport de la puissance, mais non sous celui de la quantité : car elle n’est pas une grandeur.

(VI) L’Âme universelle vivifie, concurremment avec les âmes particulières, les corps qui sont dans le monde sensible. Dans chacun d’eux l’Âme universelle et l’âme particulière diffèrent par leurs actes intellectuels.

(VII-VIII) L’Âme universelle, tout en contenant et en vivifiant la pluralité des âmes, reste une, identique, indivisible, comme l’est la force motrice de la main, si on la considère indépendamment de l’organe sur lequel elle exerce son action, ou bien encore comme l’est la lumière considérée indépendamment des corps qu’elle éclaire. Mais la lumière, étant relative aux corps, a une origine locale qu’il est facile d’indiquer. Il n’en est pas de même de l’Âme universelle : étant immatérielle, elle n’occupe pas de place déterminée ; antérieure au corps, elle n’appartient ni à l’un d’eux, ni à eux tous, soit comme mode, soit comme forme; par conséquent, elle est indivisible puisqu’elle n’a pas d’étendue. Pour comprendre la présence de l’unité dans la pluralité, il faut bien concevoir que l’unité subsiste tout entière el en elle-même et dans chacune des choses où on l’aperçoit.

(IX-X) Il a été dit ci-dessus que l’Être universel est partout présent par ses puissances. Or la puissance étant inséparable de l’essence, les âmes qui forment les parties de l’Âme universelle sont à la fois des puissances et des essences conformes entre elles, mais inférieures au principe dont elles procèdent. Comme elles ne sauraient subsister si elles se trouvaient séparées de lui, il en résulte qu’à ce point de vue encore, l’Âme universelle est partout présente tout entière, sans subir aucune division. Elle est avec les âmes individuelles dans le même rapport que le modèle avec les images qu’il produit, et le modèle étant ici éternel, les images sont elles-mêmes immortelles.

(XI) Quoique l’Être intelligible soit partout présent tout entier, il se communique à des degrés divers, et sa présence n’est pas locale, mais intelligible, comme celle de la science dans l’âme. Comme d’ailleurs les essences sont suffisamment distinguées les unes des autres par leurs différences, rien n’empêche qu’elles ne subsistent ensemble, et l’Être intelligible qui les contient toutes est tout à la fois simple et varié, un et multiple.

(XII-XIII) De même qu’une voix se fait entendre tout entière partout, l’Âme universelle pénètre et vivifie tout, sans avoir d’extension locale. Elle est identique et en elle-même et dans les choses; elle leur communique sa puissance une et indivisible dès qu’elles en approchent pour y participer, pour entrer dans le monde de la vie. Ce monde n’a point d’étendue. S’il était étendu, les corps n’auraient pas besoin d’y participer.

(XIV-XV) L’existence de l’Âme universelle ne détruit pas l’individualité des âmes particulières. L’Âme universelle embrasse dans son unité toutes les âmes, toutes les intelligences particulières, mais celles-ci sont distinguées les unes des autres par leurs différences essentielles, sans aucune séparation locale. Voilà pourquoi, avant de tomber dans la génération, nous étions des âmes pures, des intelligences unies au monde intelligible. Aujourd’hui même nous n’en sommes pas séparés; mais le corps qui nous a été donné, étant disposé pour être animé, a reçu la chose à laquelle il était apte. Quoique l’Âme universelle soit présente tout entière à notre corps, il ne l’a pas reçue tout entière; il y a participé selon sa capacité naturelle. Il n’a pas en lui une partie de l’Âme universelle, mais une puissance qui en dérive, qui constitue la nature animale et qui engendre les passions produites par l’union de l’âme et du corps.

(XVI) Il reste à montrer que cette doctrine est d’accord avec celle des anciens. Dire que l’âme descend dans le corps signifie que celui-ci participe à l’âme et à la vie, quel que soit d’ailleurs le mode de cette participation. Dire que l’âme sort du corps signifie qu’elle cesse de le faire participer à sa nature. Si l’on affirme que l’union de l’âme et du corps est mauvaise, c’est que d’universelle qu’elle était, l’âme devient particulière et n’applique plus son activité au inonde intelligible, quoiqu’elle continue d’y appartenir; comme celui qui, possédant la science entière, arrêterait son esprit sur une des notions particulières qu’elle contient, au lieu d’en considérer l’ensemble. Enfin, quand on dit que l’âme est aux enfers, cela signifie que l’âme est séparée de l’Âme universelle et unie au corps. Mais, après la destruction du corps, l’âme, revenue à sa pureté première, vit tout entière dans le monde intelligible, son image seule descend aux enfers.