Bouillet: Tratado 23 (VI, 5) – L’ÊTRE UN ET IDENTIQUE EST PARTOUT PRÉSENT TOUT ENTIER. II

(I) Tous les hommes admettent que l’Être un et identique est partout présent tout entier : car tous disent instinctivement que Dieu est présent en chacun d’eux un et identique. Si l’on considère d’ailleurs les êtres en général, on voit qu’ils aspirent tous à l’unité. Or cette unité, c’est l’Être universel; il est près de nous, et nous sommes en lui. Tous les êtres ne font donc qu’un, en ce sens qu’ils sont tous contenus dans l’Être un et identique, qu’ils l’ont pour principe unique de leur existence.

(II-III) Pour concevoir l’Être universel, il faut tirer de l’intelligence les principes de la démonstration qu’on veut donner : car toute démonstration rationnelle doit partir de la définition de l’essence. En appliquant ici cette méthode, on voit que l’Être intelligible, étant essentiellement être, ne saurait être dans aucune autre chose que lui-même, ni laisser rien écouler de sa substance. Il produit donc des êtres inférieurs sans sortir de lui-même, et ceux-ci participent à lui dans la mesure où ils en sont capables. C’est en ce sens qu’il est partout à la fois tout entier. Telle est la nature de l’Être intelligible déduite de la seule étude de son essence.

(IV-V) La raison nous conduit à admettre que Dieu est partout; donc il n’est pas divisé : car il s’anéantirait dans celle division. Il en résulte que sa nature est infinie puisqu’elle n’a pas de bornes et que rien ne lui manque. Tous les êtres dépendent de l’Un et se rapparient à lui comme des rayons au centre dont ils parlent. De même, les essences et les puissances intelligibles, qui n’admettent pas de séparation comme des rayons, sont autant de centres qui sont unis au centre commun, c’est-à-dire à l’Un, tout en restant distincts par leur essence.

(VI) Les intelligibles forment une multitude aussi bien qu’une unité parce que leur nature est infinie. il y a unité dans la multitude, et multitude dans l’unité. Ainsi l’existence de l’homme sensible a rendu multiple l’essence de l’homme idéal. Cette présence de l’unité dans la multitude n’est pas analogue à l’extension de la blancheur, mais à la présence de l’âme dans toutes les parties du corps.

(VII) Nous pouvons ramener à l’Être universel notre être propre, puisque nous tenons de lui l’existence. Ainsi, nous pensons les intelligibles sans nous les représenter par des images parce que nous sommes les intelligibles mêmes. Tous ensemble nous sommes cet Être universel. Dès que nous reportons nos regards sur lui, nous n’apercevons plus de limites à notre existence.

(VIII) Pour comprendre comment les choses sensibles participent du monde intelligible, il ne faut pas concevoir d’un côté la matière, de l’autre les idées, dont la lumière rayonne sur elle. Nous employons cette métaphore seulement pour faire entendre que les choses sensibles sont des images des choses intelli- XXXIX gibles. La matière embrasse de tous côtés l’idée, sans la toucher, et, en s’approchant d’elle, reçoit d’elle dans tout son ensemble ce qu’elle est capable d’en recevoir, sans que l’idée cesse d’exister en elle-même ou ait une extension locale. Ainsi l’idée est une, identique, indivisible, existe tout entière partout.

(IX) Qu’on se représente toutes les choses qui existent ramenées à une seule sphère : elle sera produite par un principe unique qui la tiendra suspendue à lui sans se répandre en elle. Ainsi, tout dépend d’une seule vie, et toutes les âmes ne sont qu’une seule me infinie, présente dans tout le monde pour le vivifier, quelle qu’en soit l’étendue. Par cela même qu’elle est une unité absolument simple, elle n’est susceptible ni d’augmentation ni de diminution. Et comme cette unité constitue son essence, l’Âme doit contenir aussi dans sa puissance la nature qui lui est opposée, être ainsi à la fois infinie et multiple. Aussi est-elle le principe sur lequel sont édifiées toutes les choses qui se trouvent dans l’espace.

(X) Les trois principes du monde intelligible, l’Âme universelle, l’Intelligence et le Bien, ont pour notre âme un puissant attrait. Par sa beauté, l’Intelligence excite notre amour; son unité et son universalité lui permettent de se communiquer à tous à la fois sans se donner à aucun exclusivement. De même, le Bien se laisse voir et embrasser par nos âmes quand nous nous identifions à lui par ce qu’il y a d’intelligible dans notre être.

(XI-XII) Pour concevoir comment peut s’établir une relation entre ce vaste corps du monde et l’Être intelligible qui n’a pas d’étendue, il faut considérer la nature de l’Être intelligible. Puisqu’il n’est pas une quantité, il est hors du temps et de l’espace: il possède à la fois l’ubiquité et l’éternité. L’éternité, qui est la puissance infinie de l’être identique et immuable, engendre le temps qui est incapable de l’égaler par son cours, parce qu’il implique succession. De même, l’ubiquité engendre et surpasse en grandeur l’espace parce qu’il est divisible. Le rapport du monde intelligible au monde sensible est un rapport de présence. La vie simple et universelle est partout présente, infinie, éternelle. Pour la saisir, il faut par la pensée embrasser la totalité des choses, se séparer des déments qui limitent l’Être en le particularisant, en un mol, devenir universel ; il faut fixer ses regards sur le principe toujours présent, mais souvent invisible, parce qu’on est distrait de sa contemplation. Si sa présence n’est pas toujours remarquée, elle n’en est pas moins efficace. Tout se tourne vers la source de l’existence; les cités, la terre, le ciel, la mer, tout est vivifié et animé par sa puissance.