Bouillet: Tratado 29 (IV, 5) – QUESTIONS SUR L’ÂME, III

(I-II) La perception de l’étendue tangible suppose contact entre le corps et l’objet extérieur. En est-il de même pour la vue et pour l’ouïe ? Y a-t-il un milieu entre l’œil et l’objet visible, entre l’oreille et l’objet sonore ?

S’il y a un milieu entre l’œil et l’objet visible, ce milieu n’est pas affecté, ou l’affection qu’il éprouve n’a aucune analogie avec la sensation de la couleur. En tout cas, celle-ci est plus nette quand il n’y a pas de milieu interposé : car, s’il est obscur, il fait obstacle à la vision ; s’il est transparent, il se borne à ne pas nuire.

On a besoin d’un milieu, si l’on admet, comme les Péripatéticiens, que la lumière est une affection du corps diaphane, ou si, comme les Stoïciens, on explique la vision par une réflexion du rayon visuel. — On n’a pas besoin d’admettre un milieu, si, comme Épicure, on rend compte de la vision par des images émanées des objets, ni si l’on admet avec Platon que la lumière émanée de l’œil se combine avec la lumière interposée entre l’œil et l’objet, ni si l’on explique la vision par une certaine sympathie entre l’œil et l’objet (ce qui est la doctrine propre à Plotin).

(III) La lumière n’est pas une affection de l’air, comme la chaleur : car, dans l’obscurité, on aperçoit les astres et les signaux de feu, sans voir les autres objets ; on voit, en outre, l’image tout entière de l’objet, tandis que, dans l’hypothèse d’une affection éprouvée par l’air, on ne devrait voir qu’une partie de cette image. C’est que la vision n’a pas lieu selon les lois de la nature corporelle, mais selon les lois supérieures de la nature animale. Entre l’œil et l’objet, il n’est pas besoin d’un autre milieu que la lumière : la vision s’explique par ce fait seul que le corps visible a le pouvoir d’agir et l’œil celui de subir son action.

(V) Quand on examine la sensation du son, on trouve que l’air est nécessaire pour le transmettre jusqu’à l’oreille, ou, dans certains cas, pour le produire par ses propres vibrations. Les différences qui existent entre les sons articulés ou inarticulés s’expliquent par la nature de l’action qu’exercent les objets qui résonnent. La perception du son suppose donc, ainsi que celle de la couleur, que les choses sont organisées de manière à entrer en rapport entre elles par la sympathie qui les unit comme les parties d’un seul animal.

(VI-VII) La lumière n’est ni un corps ni une modification de l’air : elle est l’acte du corps lumineux, sa forme et son essence. Elle apparaît et disparaît avec lui ; elle modifie les objets éclairés sans s’y mêler, comme la vie est l’acte que l’âme produit dans le corps par sa présence. Quant à la couleur, elle résulte du mélange du corps lumineux avec la matière. Donc, dans tous les cas, la lumière est incorporelle quoiqu’elle soit l’acte d’un corps : elle subsiste aussi longtemps que lui, et cesse de se manifester dès qu’il disparaît.

(VIII) Ce qui rend possible toute perception en général, et la perception de la couleur en particulier, c’est que l’objet sensible et le sujet sentant appartiennent au même monde, qu’ils sont faits l’un pour l’autre et qu’ils constituent des parties d’un seul organisme. Supposez détruite la conformité de l’objet et du sujet, et ils ne sauraient plus entrer en rapport ; par conséquent, dans cette hypothèse, la perception est impossible.