(I) Dans les œuvres de l’art, la beauté provient de la forme que l’artiste donne à la matière pour y représenter l’idéal qu’il a conçu : car il ne se borne pas à imiter la nature ; il remonte aux idées munies desquelles dérive la nature des objets.
(II-III) Dans les œuvres de la nature, la beauté provient également de la forme qui passe du principe créateur dans la chose créée. Elle ne se trouve pas dans la masse corporelle, en tant que masse : car la forme seule pénètre l’œil. D’ailleurs la beauté que nous reconnaissons aux sciences, aux vertus et à l’âme elle-même est évidemment immatérielle. Il faut donc admettre que la beauté du corps a pour archétype la beauté qui réside dans la nature et dont elle provient. Celle-ci à son tour a pour archétype la beauté qui réside dans l’âme et dont elle procède. Enfin la beauté de l’âme a elle-même pour principe la perfection de l’Intelligence en qui réside la Beauté absolue.
(IV) Dans le monde intelligible, tous les êtres sont beaux parce qu’ils brillent d’une clarté infinie, que chacun d’eux se contemple lui-même et contemple tous les autres. La vie se passe là dans une contemplation perpétuelle et tranquille qui est la sagesse, et comme l’intelligence est tous les êtres qu’elle pense, l’Essence, la Sagesse et l’Intelligence sont identiques dans le monde intelligible.
(V) Toutes les œuvres de l’art ou de la nature ont une certaine sagesse pour principe. La sagesse de l’artiste se ramène à celle de la nature qui lui sert de règle. Celle de la nature se ramène elle-même à celle de l’Intelligence, en qui la vraie sagesse et la vraie essence ne sont qu’une seule et même chose. Aussi possède-t-elle les idées, c’est-à-dire les formes substantielles ou essences, types vivants de tout ce qui existe dans le monde sensible.
(VI) Les sages de l’Égypte faisaient preuve d’une science consommée en employant des signes symboliques par lesquels ils désignaient les objets intuitivement en quelque sorte, sans avoir recours à la parole. En représentant les images des objets individuels, ils permettaient de saisir les choses dans leur totalité naturelle que la science doit reproduire. La science, en effet, n’est pas une pensée, un raisonnement; elle est l’image complète des types individuels qu’elle contemple.
XXV (VIl) Voilà pourquoi l’Intelligence divine a conçu et réalisé le monde tout entier d’un seul coup par le ministère de l’Âme universelle : car le monde est du commencement à la fin contenu et limité par les idées, et l’Intelligence, possédant les idées, possède à la fois les modèles, les formes et les essences de toutes les choses qui sont produites ici-bas.
(VII-IX) Le monde intelligible est le type de la Beauté parce qu’il est une forme et l’objet de la contemplation de l’Intelligence divine. C’est pourquoi, dans le Timée, Platon nous montre le Démiurge admirant son œuvre, afin de nous faire juger de la perfection du modèle par celle du monde sensible qui n’en est que l’image. En effet, dans le monde intelligible, chaque essence est distincte des autres sans en être séparée par aucune distance locale; chacune est toutes les autres, parce qu’elle possède une puissance infinie; enfin, chacune est parfaite, parce qu’en elle l’essence et la beauté ne forment qu’une seule et même chose.
(X-XI) Tel est le spectacle que contemplent Jupiter (l’Âme universelle) avec les dieux secondaires, les démons et les âmes supérieures. Dans cette contemplation sublime, celui qui contemple s’identifie avec l’objet qu’il contemple, et il possède toutes choses en renonçant à avoir conscience de lui-même pour ne pas demeurer distinct de Dieu.
(XII) Quand on a l’intuition de Dieu (c’est-à-dire de l’Intellect divin), on le voit engendrer un fils plein de beauté, dont la grandeur peut faire juger de celle de son père. Ce fils, qui est Jupiter, produit à son tour le monde sensible, œuvre aussi belle et aussi parfaite que le comporte sa nature : car il offre une image de l’essence et de la beauté, et, comme son modèle est éternel, il ne doit jamais cesser d’exister.
(XIII) Les mythes reconnaissent trois grands dieux, Coelus, Saturne et Jupiter: Coelus est l’Un absolument simple; Saturne enchaîné est l’Intelligence immuable, type de la Beauté ; Jupiter est l’Âme universelle, qui mutile son père en scindant l’unité primitive, administre le monde sensible et tient sa beauté de Saturne.