Bouillet: Tratado 32 (V, 5) – LES INTELLIGIBLES NE SONT PAS HORS DE L INTELLIGENCE DU BIEN.

(I-II) L’intelligence véritable doit être infaillible et posséder la certitude. Pour cela, il faut qu’elle soit identique aux intelligibles afin de tirer sa science de son propre fonds. Si elle l’empruntait à autrui, elle n’aurait pas le droit de croire que les choses sont telles qu’elle les conçoit ; elle ressemblerait aux sens qui nous représentent les objets extérieurs, mais n’atteignent pas ces objets eux-mêmes: elle n’aurait que des connaissances incertaines et accidentelles, et elle manquerait de principes pour régler ses jugements. Si les intelligibles, l’intelligence et la vérité ne faisaient pas une seule chose, les intelligibles seraient privés d’intelligence et de vie, en même temps que l’intelligence ne percevrait que des images et se trouverait réduite à la condition de la faculté appelée opinion. Il est donc nécessaire d’attribuer à l’intelligence la possession intime de toutes les essences et de la vérité pour sauver la réalité de l’intelligence ainsi que celle des intelligibles.

(III-IV) Malgré sa dignité, l’Intelligence n’occupe pas le premier rang. Au-dessus d’elle est le Roi des rois, le Père des dieux, le Dieu suprême, l’Un. La supériorité de l’Un consiste en ce qu’il est absolument simple. Par là, il est la mesure de toutes choses sans être mesuré lui-même ; il est le principe substantiel des nombres sans être lui-même un nombre; il est l’origine des unités secondaires, qui diffèrent de l’Un absolument simple tout en y participant.

(V) Tous les êtres sont engendrés par l’Un sans qu’il cesse de rester immobile en lui-même; tous en portent la forme. Comme la quantité n’existe dans les nombres que par leur participation à l’unité, c’est la trace de l’Un qui constitue l’essence des êtres. Cette opinion est conforme à l’étymologie des mots, puisque einai, ousia, on dérivent de hen.

(VI) Puisque l’essence engendrée par l’Un est une forme, l’Un doit lui-même n’avoir pas de forme, par conséquent être au-dessus de l’essence aussi bien qu’au-dessus de l’intelligence. Le seul nom qui convienne au principe suprême, l’Un, ne signifie pas autre chose que la négation de tout nombre et de toute détermination, comme l’exprime le nom symbolique d’Apollon employé par les Pythagoriciens.

(VII-VIII) L’Un est aperçu par l’intelligence parce qu’il est la lumière intelligible qui l’éclaire. Comme on peut, dans l’acte de la vision, voir la lumière de deux manières, soit seule, soit unie à la forme de l’objet qu’elle rend risible; de même, dans l’intuition intellectuelle, on peut contempler la lumière divine soit unie aux objets intelligibles qu’elle éclaire, soit séparée de ces objets et brillant seule dans toute sa pureté. Pour avoir l’intuition de cette lumière, l’intelligence doit, au lieu de la chercher du regard, attendre en repos qu’elle lui apparaisse : car, étant hors de tout lieu, l’Un ne s’approche ni ne s’éloigne; il se manifeste seulement à la partie supérieure de l’intelligence. A proprement parler, l’intelligence ne le voit pas, elle s’unit à lui.

(IX) Comme toutes les choses engendrées sont contenues dans les principes dont elles procèdent et dont elles dépendent, le Principe suprême, n’ayant rien au-dessus de lui, n’est contenu par rien et contient toutes choses sans se diviser comme elles. N’étant contenu par rien, il n’est nulle part; contenant tout, il est présent partout ; étant en dehors de tout lieu, il habite partout en lui même. Ainsi le monde est contenu dans l’me universelle; l’me universelle, dans l’Intelligence; et l’Intelligence, dans le Principe qui contient tout et n’est contenu dans rien. C’est pour cela qu’il est le Bien de toutes choses, parce que toutes existent par lui et se rapportent à lui.

(X-XI) On ne peut embrasser à la fois la totalité de la puissance de Dieu ; celui qui le ferait serait son égal. Mais, quoiqu’on ne saisisse pas Dieu tout entier, l’intuition qu’on en a doit toujours être un acte simple et unique. Ce qu’on se rappelle de cette intuition, c’est le Bien même. En effet, Dieu est le principe de l’Essence et de l’Intelligence, de la Vie et de la Sagesse, parce qu’il est souverainement simple; il est aussi le principe du Mouvement et du Repos, sans être lui-même ni en mouvement ni en repos: car ces deux choses impliquent une relation, et Dieu ne peut en avoir avec rien puisqu’il est le Premier. Il ne peut être limité par rien ; il est infini, non par son étendue, mais par sa puissance, en vertu de laquelle il est la souveraine réalité. Il n’a donc ni forme ni figure, et il serait absurde de chercher à le saisir par des yeux mortels Ceux qui se font de lui une autre conception ressemblent a ces hommes qui, dans les mystères, ne peuvent arriver à jouir de la vue de la divinité parce qu’ils se sont arrêtés à se gorger d’aliments.

(XII) Chaque faculté ayant son domaine propre, il ne faut pas nier l’existence de Dieu parce que les sens ne peuvent le percevoir. Étant le principe suprême, il est le Bien, qui est supérieur au Beau; aussi le Bien excite-t-il en nous un désir naturel et nécessaire que nous n’éprouvons pas pour le Beau. D’ailleurs le Beau est, comme tout le reste, engendré par le Bien.

(XIII) Être le Bien n’est pas une simple qualité en Dieu, comme le serait la bonté ; c’est son essence même. Affirmer de lui quelque attribut, comme l’intelligence, c’est le faire déchoir, parce que c’est lui faire perdre la simplicité qui constitue sa perfection. Pur, isolé, unique, le Bien domine tout, parce que le principe de tout doit être meilleur que ce qu’il produit.