(I-II) Il y a trois hypostases divines, l’Un ou le Bien, l’Intelligence, l’Âme universelle. — L’Un ou le Bien est, en vertu de sa simplicité même, le Premier et l’Absolu. On ne saurait donc distinguer en lui l’acte et la puissance [comme les Gnostiques ont distingué dans Bythos Ennoia et Thelesis]. L’intelligence réunit en elle même, jusqu’à la plus parfaite identité, le sujet pensant, l’objet pensé et la pensée même. Il en résulte qu’on ne saurait admettre avec les Gnostiques l’existence de plusieurs Intelligences, dont l’une serait en repos et l’autre en mouvement, ou dont l’une penserait et l’autre penserait que la première pense [comme le Noûs et le Logos de Valentin]. La Raison qui découle de l’Intelligence dans l’Âme universelle ne constitue pas non plus une hypostase distincte de l’Intelligence et de l’Âme et intermédiaire entre elles [comme le second Logos ou l’Éon Jésus de Valentin]. — Enfin, l’Âme universelle, à laquelle notre âme est unie sans se confondre avec elle, contemple le monde intelligible, et, sans raisonner ni sortir d’elle même, embellit le monde sensible avec une admirable puissance en faisant rayonner sur lui la lumière qu’elle reçoit elle-même de l’Intelligence.
(III) Il est dans la nature des trois hypostases de communiquer chacune quelque chose de leurs perfections aux êtres inférieurs. Il en résulte que ces êtres sont perpétuellement engendrés par les trois hypostases. La matière elle-même existe de tout temps parce qu’elle résulte nécessairement des autres principes ; de tout temps aussi elle reçoit du monde intelligible les formes qui constituent les êtres sensibles. Elle n’est donc pas, comme l’imaginent les Gnostiques, une nature qui ait été créée à un moment déterminé et qui doive périr ; elle n’occupe pas non plus une région qui soit entièrement séparée du monde intelligible par une limite infranchissable [l’Horus de Valentin].
(IV) Les vérités précédentes ont été complètement méconnues par les Gnostiques. Ils prétendent que l’Âme [Achamoth] a créé par suite d’une chute, qu’elle s’est repentie, et qu’elle détruira le monde dès que les âmes individuelles auront accompli leur œuvre ici-bas : car, dans ce système, le monde n’est qu’une œuvre imparfaite.
(V) Les Gnostiques croient que leur âme est d’une nature supérieure aux âmes des astres et à l’âme du Démiurge, laquelle est, selon eux, composée des éléments. Ils enseignent aussi qu’il existe un principe intermédiaire entre le monde intelligible et le monde sensible, et ils lui donnent les noms de Terre nouvelle et de Raison du monde. Ils disent qu’ils ont reçu dans leurs âmes une émanation de ce principe, et qu’ils iront se réunir à lui après leur mort. Mais on ne voit pas bien si, dans leur système, ce principe est antérieur ou postérieur à la création du monde, ni comment il est nécessaire au salut des âmes.
(VI) Les Gnostiques parlent encore d’empreintes, d’exils, de repentirs, de jugements, de métensomatoses. Tous ces mots pompeux ne servent qu’à déguiser les emprunts qu’ils ont faits à Platon. C’est à Platon qu’ils ont pris tout ce qu’ils enseignent sur le Premier [l’Un], sur l’existence du monde intelligible, sur l’immortalité de l’âme et sur la nécessité de la séparer du corps. Mais, en même temps ils défigurent la doctrine du sage auquel ils sont si redevables : ils font de l’Intelligence divine plusieurs hypostases [Noûs, Logos] ; ils admettent qu’il existe en dehors de cette Intelligence d’autres essences intelligibles [les Éons]. Pour donner du crédit à leurs idées, ils cherchent à rabaisser indignement la sagesse antique des Grecs. Cependant, ces innovations dont ils sont si fiers se bornent à supposer l’existence d’un grand nombre d’Éons, à se plaindre de la constitution de l’univers, à critiquer la puissance qui le gouverne, à identifier le Démiurge avec l’Âme universelle, et à donner à cette Âme les mêmes passions qu’aux âmes individuelles.
(VII) Il y a de grandes différences entre l’Âme universelle et notre âme. Tandis que notre âme a été liée au corps involontairement, et souffre de l’union qu’elle a contractée avec lui, l’Âme universelle, au contraire, n’a pas besoin de se détourner de la contemplation du monde intelligible pour gouverner le monde sensible et lui communiquer quelque chose de ses perfections.
(VIII) Quant au monde sensible, son existence est nécessaire parce qu’il est dans la nature des principes intelligibles de créer pour manifester leur puissance. Inférieur au monde intelligible, il en offre une image aussi parfaite que possible, soit que l’on considère les astres mis en mouvement par des âmes divines, soit que l’on abaisse ses regards sur la terre où, malgré les obstacles qu’elle rencontre à l’exercice de ses facultés, notre âme peut cependant acquérir la sagesse et mener une vie semblable à celle des dieux. D’ailleurs, la justice règne ici-bas, si l’on tient compte des existences successives par lesquelles nous passons.
(IX-XII) Les Gnostiques ont tort de ne pas vouloir reconnaître que l’univers manifeste la puissance divine, de s’imaginer qu’ils ont une nature supérieure, non-seulement à celle des autres hommes, mais encore à celle des astres, de croire enfin qu’ils ont le privilége d’entrer seuls en communication avec le Bien [Bythos] et de jouir exclusivement de sa grâce. On ne peut voir sans étonnement avec quelle jactance ces hommes se vantent de posséder la science parfaite des choses divines : car il est facile de montrer combien leur doctrine soulève d’objections. En voici le résumé :
« L’Âme [Sophia supérieure] a incliné, c’est-à-dire a illuminé les ténèbres de la matière. De cette illumination de la matière est née la Sagesse [Achamoth] qui a incliné aussi. Les membres de la Sagesse [les natures pneumatiques] sont descendus en même temps ici-bas pour entrer dans des corps. En outre, après avoir conçu la Raison du monde ou la Terre étrangère, la Sagesse a créé et produit des images psychiques [les natures psychiques]. C’est ainsi qu’elle a donné naissance au Démiurge, qui est composé de matière et d’une image. Ce Démiurge lui-même, s’étant séparé de sa mère, a fait les êtres corporels à l’image des êtres intelligibles [des Éons]. Il a formé successivement le feu et les trois autres éléments, les astres, le globe terrestre, enfin toutes les choses qui étaient contenues dans le type du monde.
Si l’on examine attentivement en quoi consiste cette illumination des ténèbres par laquelle les Gnostiques expliquent la création de toutes choses, on peut amener ces hommes à reconnaître les vrais principes du monde, les forcer d’avouer que tous les êtres ont reçu des premiers principes leur matière aussi bien que leur forme, et que les ténèbres sont nées du monde intelligible comme la lumière elle-même.
(XIII) On n’a donc pas le droit de se plaindre de la nature du monde puisqu’un enchaînement étroit unit les choses du premier, du second et du troisième rang, et descend jusqu’à celles du plus bas degré. Le mal n’est que ce qui, par rapport à la sagesse, est moins complet, moins bon, en suivant toujours une échelle décroissante.
(XIV) Non-seulement les Gnostiques méprisent le monde visible, mais ils prétendent par leur puissance magique commander aux êtres intelligibles aussi bien qu’aux démons. Leur but unique est d’imposer au vulgaire par leur jactance. Les gens sages ne sauraient donc trouver aucun profit à étudier un pareil système.
(XV) La morale des Gnostiques est encore pire que la doctrine qu’ils enseignent sur Dieu et sur l’univers. Ils refusent tout respect aux lois établies ici-bas et prétendent que les actions ne sont bonnes ou mauvaises que d’après l’opinion des hommes. Aux préceptes de vertu que nous ont légués les anciens, ils veulent substituer cette maxime : « Contemple Dieu. » Mais rien n’empêche de s’abandonner aux passions, comme ils le font, tout en contemplant Dieu. Sans la véritable vertu, Dieu n’est qu’un mot.
(XVI-XVII) La cause principale des erreurs dans lesquelles tombent les Gnostiques, c’est qu’ils méprisent les astres et qu’ils s’imaginent que le monde visible est complètement séparé du monde intelligible. Selon eux, Dieu prive l’univers de sa présence, et sa Providence ne s’étend qu’aux pneumatiques. Pour reconnaître leur erreur, il suffit de considérer la beauté du monde visible : car il ne peut être beau que parce qu’il participe aux perfections du monde intelligible et qu’il en offre une fidèle image. On a le droit d’en dire autant de la sphère céleste. Le mépris que les Gnostiques affectent pour les merveilles qui frappent tous les regards est une preuve de leur perversité.
(XVIII) C’est en vain que ces hommes prétendent que leur doctrine est supérieure aux autres en ce qu’elle inspire de la haine pour le corps. Ce n’est pas en critiquant l’œuvre de l’Âme universelle, c’est en s’affranchissant des passions par la vertu qu’on devient semblable à Dieu et qu’on s’élève à la contemplation du monde intelligible.