GENRES DE L’ÊTRE SENSIBLE
(I) Il y a dans le monde sensible des genres de l’être analogues à ceux qui existent dans le monde intelligible. Pour les déterminer, il faut nettement séparer l’âme du corps.
(II) A l’être véritable et intelligible correspond la nature corporelle, qui s’appelle aussi essence, mais qu’on doit proprement nommer génération, parce qu’elle implique l’idée d’un écoulement perpétuel. En l’examinant, on voit que la division des genres de l’être sensible ne correspond pas à celle des genres de l’être intelligible.
(III) Tout ce qui se trouve dans le monde sensible peut être ramené à cinq genres : substance, quantité, qualité, mouvement et relation.
SUBSTANCE
(IV-V) On comprend sous le nom de substance la matière, la forme et le composé. Le caractère général de la substance dans ces trois XXXIII choses, c’est d’être le sujet ou substratum des accidents, et ne s’affirmer de rien. La substance, est par elle-même ce qu’elle est. Elle est le principe d’où sortent et par lequel existent les autres choses, celui auquel se rapportent les modifications passives, et dont sortent les actions. Elle est ce qui n’est pas dans un sujet, à moins que par là on n’entende faire partie d’un sujet, ou concourir avec lui à continuer une unité. Il y a en cela analogie entre les doux principes homonymes, la substance corporelle et la substance intelligible.
(VI) L’existence ne s’affirme pas dans le même sens de la substance et de l’accident. Quand on dit : L’être est, l’être est affirme être simplement, être de lui- même. Quand on dit : L’être est blanc, l’existence est un accident pour la blancheur comme la blancheur est un accident pour l’être; l’être n’est pas dans la blancheur, c’est la blancheur au contraire qui est en lui. Ainsi la substance possède l’existence primitivement; l’accident, postérieurement, par participation. La substance sensible existe ainsi d’elle-même par rapport à ses accidents, mais non par rapport à la substance intelligible : car elle en tient l’existence.
(VII) Il y a dans la matière un degré d’être moindre que dans la forme, parce que la forme est une raison (ou essence), tandis que la matière n’a qu’une ombre de raison.
(VIII) En traitant de la substance sensible, il vaut mieux étudier les substances composées (où la matière et la forme sont réunies). Leur caractère est encore de n’être pas dans des sujets et d’être elles-mêmes sujets pour le reste. Mais, bien différente de la substance intelligible, la substance sensible suppose la présence de certains accidents propres : car elle consiste dans la réunion de» qualités et de la matière. En outre, le fondement de la substance sensible (la matière) est stérile, et, n’ayant que l’apparence de l’être, ne peut donner l’existence au reste comme le fait l’être véritable.
(IX-X) La substance sensible, étant corporelle, peut se diviser en espèces d’après la distinction des corps bruts et des corps organisés, des corps chauds et des corps secs, etc., ou bien encore d’après les formes des plantes et des animaux, etc. — Quant à la distinction qu’a faite Aristote des substances premières et des substances secondes, tel feu et le feu universel diffèrent entre eux en ce que l’un est individuel et l’autre universel, mais il n’y a pas entre eux de différence substantielle.
QUANTITÉ
(XI-XII) La Quantité comprend le nombre sensible et l’étendue corporelle. Le lieu, considéré comme contenant les corps, et le temps, comme mesure du mouvement, rentrent dans le genre de la Relation.
Le grand et le petit (?? ???? ??? ?? ??????) se rapportent au genre de la Quantité, parce que ce sont des choses simples, absolues; mais plus petit, plus grand, plus beau, se ramènent au genre de la Relation. Quant au beau, il appartient à la Qualité.
Dans la Quantité, grand et petit, beaucoup et peu, sont opposés comme contraires. En effet, la multitude est une extension du nombre; la rareté en est une contraction. Il y a une raison qui détermine la grandeur et la petitesse, et dont la participation rend un objet grand ou petit. Quant au haut et au bas, ce sont des relatifs.
XXXIV (XII-XIV) La quantité discrète et la quantité continue appartiennent au même genre comme quantités. Dans la première, les diverses espèces sont déterminées par la différence du pair et de l’impair. Dans la deuxième les diverses espèces le sont par la différence de la ligne, de la surface et du solide. La ligne droite et la ligne courbe appartiennent au genre de la Quantité plutôt qu’à celui de la Qualité, parce qu’il est essentiel à la ligne d’être droite ou courbe. La même remarque s’applique à toutes les figures.
(XV) Le genre de la Quantité n’admet que l’égalité, l’inégalité. La similitude et la dissimilitude sont propres à la Qualité.
Les qualités essentielles ou différences spécifiques sont des accidents qui complètent la substance sensible et ne doivent pas être appelés proprement qualités. Comme elles constituent ce qu’on nomme similitude ou dissimilitude dans les figures, elles ne leur ôtent pas leur caractère de quantités égales ou inégales.
QUALITÉ
(XVI) La Qualité est un caractère qu’on désigne par les termes de tel, quel, de cette sorte, comme la beauté corporelle. Par cet exemple, on voit qu’il y a l’analogie entre les qualités sensibles et les qualités intelligibles. Il faut compter parmi les qualités sensibles les arts qui se rapportent aux corps, les vertus pratiques qui consistent dans l’accomplissement simple des devoirs civils, les raisons séminales et les passions de l’âme, mais non l’âme elle-même considérée comme séparée de la matière.
(XVII-XVIII) Les différences des choses sensibles sont distinguées les unes des autres, non par d’autres différences, mais par leurs éléments constitutifs. De même, on discerne les qualités non par d’autres qualités, mais par leurs caractères intrinsèques ou par quelques-uns de leurs modes d’existence; la sensation en saisit les signes, et l’intelligence les pénètre par une intuition simple, sans avoir besoin toujours de trouver dans les objets des raisons séminales pour les qualifier.
(XIX) Le genre de la Qualité comprend les habitudes (exprimées par un substantif, rougeur; par un adjectif, rouge; par un adverbe, bien), mais non les simples dispositions qui indiquent le passage d’un état à un autre (comme rougissant). Les négations, lorsqu’elles n’impliquent pas une qualité réelle opposée à une autre, doivent être rapportées au genre de la Relation.
(XX) Il faut regarder comme contraires non seulement les qualités qui sont séparées par beaucoup de qualités intermédiaires, mais encore celles qui, étant comprises dans la même classe, n’ont cependant aucun caractère spécifique commun.
Parmi les qualités, celles qui ont une certaine latitude admettent des degrés; les autres n’en admettent pas, et ne peuvent être possédées que tout entières.
MOUVEMENT
(XXI) Il faut regarder comme genre le Mouvement, parce qu’on ne peut le faire rentrer dans aucun des genres précédents. Mouvement est plus général d’ailleurs que changement et qu’altération; car mouvement veut dire non seulement qu’une chose prend la place d’une autre, mais encore qu’elle passe de ce qui lui est propre à ce qui ne l’est pas, comme dans la translation d’un lieu à un autre.
(XXII) Le mouvement est le passage de la puissance à l’acte de ce dont XXXV elle est la puissance. Si une chose qui était d’abord en puissance arrive à prendre une forme, le mouvement est la production d’une forme Si une chose passe à l’acte, le mouvement est une simple forme de la puissance. Le mouvement est donc une forme active, et, quand il produit quelque autre chose, il est cause des autres formes. Le caractère commun de l’altération, de l’accroissement, de la génération et du déplacement dans le lieu, c’est de rendre l’objet autre qu’il n’était.
(XXIII) Le mouvement, image de la vie dans les choses sensibles, les stimule et les presse de changer sans cesse d’état, d’action, de modification, de forme. La puissance motrice est invisible et ne se révèle que par ses effets. Le mouvement n’est exclusivement ni dans le moteur ni dans le mobile, mais il sort du moteur pour passer dans le mobile. Le mouvement doit donc être étudié non seulement dans les choses où il est produit, mais encore dans celles qui le produisent ou le transmettent.
(XXIV) Les différences qu’admet le mouvement de déplacement tiennent à des circonstances extérieures (comme monter, descendre), ou à la figure qu’il décrit (mouvement rectiligne, circulaire).
(XXV) La composition, qui consiste à rapprocher une chose d’une autre, et la décomposition, qui implique leur séparation, sont des mouvements d’un genre spécial. On y trouve cependant, sous certains rapports, soit le mouvement de déplacement, soit l’altération, soit la raréfaction et la condensation
(XXVI) La division du mouvement en espèces doit reposer sur la nature des forces, qu’on distinguera en animées et en inanimées, ou sur le mode de sa production, qui implique la nature, l’art ou la volonté.
(XXVII) La stabilité est propre au monde intelligible. Dans les choses sensibles, on ne trouve que le repos, lequel n’est que la privation et la négation du mouvement, qui seul ici est une chose positive.
On a déjà dit ci-dessus que l’action et la passion sont des mouvements.
RELATION
Quant à la Relation, c’est une habitude, une manière d’être d’une chose à l’égard d’une autre. On peut diviser les relatifs suivant la méthode des anciens.