(I-II) Comme les hommes, dès leur naissance, sont forcés d’accorder leur attention aux objets sensibles qui les entourent, il en est peu dont l’âme ait assez d’élévation naturelle pour sortir de cette sphère étroite et arriver à contempler l’intelligible. Pour y parvenir, il faut être porté à l’amour, être né véritablement philosophe. Grâce à cette heureuse disposition, on s’élève de la beauté du corps à celle de l’âme, et de la beauté de l’âme à celle de l’intelligence, laquelle est l’image du Bien.
(III) Pour concevoir la nature de l’Intelligence, il faut savoir qu’elle contient les essences ou idées. En effet, toutes les œuvres de l’art et de la nature sont composées de matière et de forme : or la forme est imprimée à la matière par l’Âme universelle, qui reçoit de l’Intelligence les raisons séminales des choses sensibles, comme les âmes des artistes reçoivent d’elle les conceptions qu’ils réalisent.
(IV-V) L’existence de l’Âme implique celle de l’Intelligence placée au-dessus d’elle, parce qu’il doit y avoir, en dehors du monde sensible, un principe éternel, impassible, parfait, qui, de tout temps, fasse passer l’âme de la puissance à l’acte. Quant à l’Intelligence, étant toujours en acte, elle est les choses mêmes qu’elle pense: ces choses, ce sont les essences éternelles et immuables, dont l’existence est tout intellectuelle, comme l’a dit Parménide. Loin d’avoir besoin d’un soutien, l’Intelligence est elle-même le soutien des objets périssables.
(VI) L’Intelligence contient toutes les essences comme le genre contient les espèces, comme le tout contient les parties, comme le germe renferme rassemblées en un point les raisons séminales que l’âme fait passer dans la matière pour lui donner la forme du corps.
(VII-VIII) Tandis que les notions scientifiques que l’âme se forme des objets extérieurs par la raison discursive sont postérieures à ces objets, la science de l’intelligible est identique à l’intelligible même. Dans l’intelligence, la forme substantielle qui est l’objet de la pensée et l’idée qui en est la conception ne font qu’un. Par conséquent, comme la chose qui pense, la chose qui est pensée et la pensée elle-même sont identiques, l’Intelligence est consubstantielle à l’Être et ses pensées sont les idées, les formes, les actes de l’Être.
(IX-X) Étant l’archétype universel, l’Intelligence contient les idées de toutes les choses qui existent dans le monde sensible; mais les idées sont indivises dans l’unité, tandis que les choses qui existent dans le monde sensible sont séparées les unes des autres.
(XI-XII) Il n’y a des idées que des choses qui sont des formes. On ne peut donc pas rapporter au monde intelligible les arts d’imitation, tels que la danse, ni les arts qui produisent des œuvres sensibles, tels que l’architecture. L’idée de l’homme contient celle des facultés et des arts qui sont propres à l’homme. De plus, il y a dans le monde intelligible, outre les idées des universaux, les idées des individus, en tant qu’ils se distinguent les uns des autres par des différences essentielles. Quant aux caractères accidentels, ils dérivent de la matière et du lieu.
(Xlll-XlV) Il résulte de là que l’âme particulière, prise avec ses facultés et ses qualités essentielles, n’est pas une simple image de l’Âme universelle, qu’elle possède par elle-même une existence réelle et qu’elle est comprise dans le monde intelligible. Le contraire a lieu pour les choses accidentelles ou difformes : elles ont pour origine l’impuissance de l’âme à soumettre complètement la matière à la forme.