Bouillet: Tratado 51 (I, 8) – DE LA NATURE ET DE L’ORIGINE DES MAUX

(I) Le Mal absolu, étant la négation de l’Être et de la Forme, ne peut être connu directement par lui-même. On ne peut le concevoir qu’indirectement, en se le représentant comme le contraire du Bien : d’où suit que pour déterminer la nature du Mal, il faut d’abord déterminer celle du Bien.

(II) Le Bien est le principe duquel tout dépend et auquel tout aspire ; il est complet et n’a besoin de rien. De lui procède l’Intelligence suprême, dans laquelle le sujet pensant, l’objet pensé et la pensée ne font qu’une seule et même chose. De l’Intelligence suprême procède l’Âme universelle qui la contemple. Ces trois hypostases sont complétement étrangères au Mal.

(III-V) Le Mal en soi est le non-être relatif, c’est-à-dire l’image trompeuse de l’être véritable, et l’infini en soi, c’est-à-dire le sujet de toute forme. Il est donc la même chose que la matière. Le mal relatif est la nature du corps, en tant qu’elle participe de la matière. Il en résulte que, par son union avec le corps, la partie irraisonnable de l’âme se trouve sujette à l’indétermination, c’est-à-dire aux vices, aux passions, aux fausses opinions. Les maux de l’âme ont pour cause, comme les maladies du corps, un excès ou un défaut.

(VII-VIII) L’existence du Mal est nécessaire pour plusieurs raisons : 1° il faut que le Bien ait son contraire ; 2° la Matière concourt à la constitution du monde, dont la nature est mêlée d’intelligence et de nécessité (parce que chaque objet est composé de forme et de matière) ; 3° enfin, comme le Bien engendre, et que, les êtres engendrés étant toujours inférieurs aux principes générateurs, la puissance divine s’affaiblit graduellement dans la série de ses émanations successives, il y a un dernier degré de l’être au delà duquel rien ne peut plus être engendré ; ce dernier degré de l’être est la Matière ou le Mal.

Du Mal absolu dérive le mal relatif, le vice. Il a pour cause l’influence que le corps exerce sur l’âme.

(IX) Quant à la connaissance que nous avons du mal, elle suppose une espèce d’abstraction. Nous connaissons le vice en considérant ce qui manque pour constituer la vertu. Nous concevons le Mal absolu en faisant abstraction de toute forme pour nous représenter la matière. Dans ces deux cas, l’âme devient elle-même informe et ténébreuse, parce qu’il doit y avoir analogie entre le sujet qui connaît et le sujet qui est connu.

(X-XI) La matière est mauvaise, parce qu’elle n’a pas de qualité. Cependant elle n’est pas la privation, parce qu’elle n’est pas une pure négation, mais seulement le dernier degré de l’être.

(XII-XIV) Le mal de l’âme n’est pas la privation absolue du bien, mais un simple défaut, qui consiste dans une possession incomplète du bien. La cause de ce défaut est l’union de l’âme avec le corps, union qui entrave les opérations de la raison et de laquelle naissent les vices. Placée entre l’intelligence et la matière, l’âme peut se tourner vers la première ou incliner vers la seconde. Si elle descend dans la matière pour y exercer sa puissance génératrice, elle expose ses facultés à être affaiblies et obscurcies jusqu’au moment où elle opère son retour dans le monde intelligible.

(XV) En résumé, le Mal absolu est le contraire du Bien absolu. Entre eux se trouve placée la nature mélangée de bien et de mal : c’est l’état de l’âme quand elle incline vers le corps et qu’elle en partage les passions ; elle ne s’en affranchit qu’en s’élevant au monde intelligible et en y restant solidement édifiée.

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