Tratado 53 (I, 1) – QU’EST-CE QUE L’ANIMAL, QU’EST-CE QUE L’HOMME ? (Bouillet)

Qu’est-ce que l’animal? qu’est-ce que l’homme? Dans ce livre, Plotin s’est proposé de résoudre une question qui est énoncée dans le livre III de l’Ennéade II (§ 16, p. 187): Quelle partie de l’âme est separable du corps pendant cette vie ? Quelle partie ne l’est pas ? question qu’il transforme en celle-ci: Qu’est-ce que l’animal? Qu’est-ce que l’homme?

Pour la traiter, il analyse toutes les facultés qui constituent la nature humaine, et, d’après les caractères qui les distinguent, il les rapporte à trois principes essentiellement différents: l’Intelligence, qui est toujours séparée du corps ; l’Âme raisonnable, qui est separable du corps, et l’Âme irraisonnable, qui en est inséparable pendant la vie. À l’exposition de cette théorie se trouve joint nécessairement un résumé succinct de tout le système dont elle n’est qu’un corollaire.

Ce livre se divise en deux parties : dans la première (I-VI), Plotin discute les diverses hypothèses qui ont été faites sur le sujet qu’il traite, et il examine les idées exposées par Aristote dans le traité De l’Ame; dans la deuxième (VII-XIII), il explique sa propre doctrine.

(§ I) Pour déterminer ce que c’est que l’animal, ce que c’est que l’homme, il faut déterminer à quels principes appartiennent: 1) les passions et les sensations ; 2) l’opinion et le raisonnement ; 3) la pensée intuitive.

On doit aussi déterminer quel est le principe qui pose cet questions et qui en donne la solution.

(II) Les passions et les sensations n’appartiennent: 1) ni à âme pure, parce que, possédant par elle-même une activité innée, l’âme pure est impassible; 2) (III-V) ni au composé de l’âme raisonnable et du corps organisé parce que, si l’âme raisonnable est avec le corps dans le même rapport que l’artisan avec son instrument ou que le pilote avec le navire, les passions ne peuvent passer du corps dans l’âme raisonnable, qui en est la forme séparable, et qui, par conséquent, tout en étant présente au corps, y demeure impassible comme l’est la lumière répandue dans l’air, en sorte qu’elle n’éprouve pas les mêmes passions que le corps, ni des passions analogues ; 3) (VI) ni au corps organisé seul, si l’on admet que les facultés qui s’y rapportent ne ressentent pas ses passions.

(VII) Le seul moyen de résoudre les difficultés précédentes, c’est de reconnaître qu’il y a dans l’âme humaine trois parties, l’Âme irraisonnable, l’Âme raisonnable et l’Intelligence.

1) Âme irraisonnable. — Pour expliquer la communication de l’âme raisonnable, qui est impassible, avec le corps organisé, qui pâtit, il faut admettre que de l’âme raisonnable émane une puissance inférieure, l’âme irraisonnable; par sa présence dans le corps organisé, l’Âme irraisonnable constitue l’Animal ; c’est à elle qu’appartiennent les passions ainsi que les sensations.

Il y a d’ailleurs dans la sensation deux éléments fort distincts : la sensation extérieure ou passion, qui résulte de l’impression faite par l’objet extérieur sur l’organe, et qui appartient à l’âme irraisonnable; la sensation intérieure qui est la perception de la passion de la représentation sensible, et qui appartient à l’âme raisonnable.

2) Âme raisonnable — La sensation intérieure, l’imagination intellectuelle, l’opinion et la raison discursive sont les facultés de l’Âme raisonnable et constituent essentiellement l’homme.

3) Intelligence. — La pensée intuitive appartient à l’Intelligence, à laquelle la raison discursive emprunte ses principes.

(VIII) Considéré dans ses rapports avec les trois hypostases divines (Dieu ou l’Un, l’intelligence suprême, et l’Âme universelle), l’homme par l’unité qui fait le fond de son être, se rattache à Dieu, à l’Un, qui plane sur le monde intelligible; par son intelligence, il entre en rapport avec l’intelligence suprême dont il tient ses idées; par l’essence de son âme, qui est tout à la fois indivisible et divisible (indivisible, en tant qu’elle est âme raisonnable ; divisible, en tant qu’elle est âme irraisonnable, en rapport avec les organes), il participe à l’essence de l’Âme universelle, qui est elle-même tout à la fois indivisible et divisible (indivisible, en ce qu’elle est une dans l’univers et qu’elle reste en elle-même tout en répandant partout la vie; divisible, en ce qu’elle est la Puissance naturelle et génératrice, de laquelle procèdent les âmes sensitives et végétatives ou raisons séminales qui animent tous les corps vivants).

(IX) Considérée en elle-même, l’âme humaine est impeccable et infaillible ; si elle pèche ou si elle se trompe, c’est qu’elle cède aux passions et aux appétits de la nature animale ou qu’elle est égarée par l’imagination sensible. Le caractère des faits qui se rapportent à la nature animale est de ne pouvoir se produire sans les organes; le caractère des faits propres à l’âme est de n’avoir pas besoin du corps pour se produire». La faculté essentielle et constitutive de l’âme, la raison discursive, est indépendante des passions d’un côté elle perçoit les représentations sensibles, de l’autre elle s’exerce sur les pensées intuitives. (X) Nous désigne deux choses, ou l’âme avec la partie animale qu’elle illumine, ou la partie supérieure, l’homme, qui possède les vertus intellectuelles. (XI) Les facultés qui appartiennent à la nature animale s’exercent dans l’enfance, mais l’intelligence illumine alors rarement l’âme humaine, parce qu’il faut réfléchir à ce qu’on possède en soi pour le faire passer de la puissance à l’acte.

Quant au principe qui anime la bête, c’est, ou la partie sensitive et végétative d’une âme humaine qui a péché (partie qui est seule présente dans le corps de la bête), ou une raison séminale qui procède de l’Âme universelle.

(XII) Si l’âme humaine pèche et en est punie en passant dans de nouveaux corps, c’est qu’au lieu de rester pure, elle est descendue dans un corps, et qu’elle a incliné vers lui en y produisant une image d’elle-même, image qui est l’âme irraisonnable ou nature animale. Elle ne possède plus alors que la vertu active, tandis qu’en se tournant vers le monde intelligible elle possède la vertu contemplative, condition essentielle du bonheur.

(XIII) Le principe qui examine et résont toutes les questions précédentes, c’est le principe que nous appelons Nous, c’est-à-dire l’âme, qui se considère elle-même par la réflexion.

Quant à l’intelligence, elle est nôtre en ce sens que l’âme est intelligente; mais la vie intellectuelle est pour nous une vie supérieure.