XII. Si l’âme ne peut pécher, comment se fait-il qu’elle soit punie? Cette opinion est en complet désaccord avec la croyance universellement admise que l’âme commet des fautes, qu’elle les expie, qu’elle subit des punitions dans les enfers et qu’elle passe dans de nouveaux corps. Quoiqu’il semble nécessaire d’opter entre ces deux opinions, peut-être pourrait-on montrer qu’elles ne sont pas incompatibles. En effet, quand on attribue à l’âme l’infaillibilité, c’est qu’on la suppose une et simple, en identifiant l’âme et l’essence de l’âme. Quand on la dit faillible, c’est qu’on la suppose complexe, et qu’on ajoute à son essence une autre espèce d’âme qui peut éprouver les passions brutales. L’âme ainsi conçue est un composé, résultant d’éléments divers : c’est ce composé qui éprouve des passions, qui commet des fautes; c’est lui aussi, et non l’âme pure, qui subit les châtiments. C’est de l’âme considérée dans cet état que Platon dit : « Nous voyons l’âme comme nous voyons Glaucus, le dieu marin. » Et il ajoute : « Celui qui veut connaître la nature de l’âme elle-même doit, après l’avoir dépouillée de tout ce qui lui est étranger, considérer surtout en elle son amour pour la vérité, voir à quelles choses elle s’attache et en vertu de quelles affinités elle est ce qu’elle est. » Sa vie et ses actes sont donc autre chose que ce qui est puni, et séparer l’âme, c’est la détacher, non seulement du corps, mais aussi de tout ce qui a été ajouté à l’âme.
La génération ajoute quelque chose à l’âme, ou plutôt elle fait naître une autre forme d’âme (la nature animale). Mais comment s’opère cette génération? Nous l’avons expliqué ailleurs. Quand l’âme descend, elle produit, au moment même où elle incline vers le corps, une image d’elle-même. Est–ce l’âme qui envoie cette image dans le corps? Nous répondrons : Si incliner vers le corps, c’est pour l’âme répandre la lumière sur ce qui est au-dessous d’elle, ce n’est pas plus pécher que ce ne le serait de produire de l’ombre. Ce qu’il faut accuser, c’est l’objet illuminé; car s’il n’existait pas, il n’y aurait rien à illuminer. Quand on dit que l’âme descend, qu’elle incline vers le corps, cela signifie qu’elle communique la vie à ce qu’elle illumine. Elle laisse évanouir son image s’il n’y a rien près 50 d’elle pour la recevoir : elle la laisse évanouir, non parce qu’elle est séparée (car elle n’est pas à proprement parler séparée du corps), mais parce qu’elle n’est plus ici-bas ; or elle n’est plus ici-bas dès qu’elle est tout entière à contempler le monde intelligible.
Homère parait admettre cette distinction en parlant d’Hercule, lorsqu’il envoie l’image de ce héros dans les enfers et qu’il le place lui-même dans le séjour des dieux; c’est du moins l’idée impliquée dans cette double assertion qu’Hercule est dans les enfers et qu’il est au ciel. Le poète distinguait donc en lui deux éléments. Voici l’explication qu’on en peut donner : Hercule avait une vertu active, et à cause de ses grandes qualités il a été jugé digne d’être mis au rang des dieux; mais comme il ne possédait que la vertu active et non la vertu contemplative, il n’a pu être admis tout entier dans le ciel ; en même temps qu’il est au ciel, il y a quelque chose de lui dans les enfers.