IV. Supposons l’âme mêlée au corps. Dans ce mélange, la partie inférieure, le corps, devra gagner, et la partie supérieure, l’âme, devra perdre : le corps gagnera en participant à la vie, l’âme perdra en participant à une nature mortelle et irraisonnable. L’âme, en perdant la vie jusqu’à un certain point, recevra–t–elle, comme un accessoire, la faculté de sentir? Le corps au contraire, en participant à la vie, ne devra-t-il pas recevoir la sensation et les passions qui en dérivent? C’est donc le corps qui éprouvera le désir : car c’est lui qui jouira des objets désirés; c’est le corps qui éprouvera la crainte : car c’est lui qui pourra voir échapper les plaisirs qu’il recherche, c’est lui enfin qui sera exposé à périr.
En admettant le mélange de l’âme et du corps, si toutefois ce mélange n’est pas impossible, comme le serait par exemple celui d’une ligne et de la couleur blanche, c’est-à-dire de deux natures hétérogènes, il faut encore rechercher quel est le mode de ce mélange. Si l’on suppose l’âme répandue dans le corps, il ne s’ensuit pas qu’elle en partage les passions : car ce qui est répandu dans une substance peut rester impassible; donc l’âme, tout en pénétrant le corps, peut être étrangère à ses passions, comme la lumière, partout répandue, n’en demeure pas moins impassible. Ainsi, pour être répandue par tout le corps, l’âme ne doit pas nécessairement en subir les passions.
L’âme sera-t-elle dans le corps comme la forme est dans la matière? Alors, en sa qualité d’essence et surtout de cause qui se sert du corps comme d’un instrument, elle y sera une forme séparable. Si elle est dans le corps comme la figure est dans le fer pour constituer avec lui une hache et lui donner, par la vertu qui lui est propre, le pouvoir de faire ce que fait le fer ainsi façonné, nous aurons une raison de plus pour attribuer au corps les passions communes : elles appartiendront au corps vivant, à ce corps naturel organisé qui possède la vie en puissance. Car, « s’il est absurde, comme l’a dit Platon, de prétendre que c’est l’âme qui tisse, » il n’est pas plus raisonnable de dire que c’est elle qui désire, qui s’afflige; c’est bien plutôt à l’animal qu’il faut rapporter tout cela.