(I-II) C’est par leur unité que les êtres sont ce que comporte leur essence. Ils participent plus ou moins de l’unité selon qu’ils participent plus ou moins de l’être. Ainsi l’âme possède un plus haut degré d’unité que le corps; cependant elle n’est pas l’Un absolu, parce que l’unité de son être renferme une pluralité d’éléments. L’Être universel et l’Intelligence ne sont pas non plus l’Un absolu pour la même raison.
(III-IV) L’âme est embarrassée de déterminer la nature de l’Un parce qu’il n’a point de l’orme. Pour s’élever à l’Un, il faut concevoir qu’il est le Premier, le Bien, le Principe par excellence, supérieur à l’Être et à l’Intelligence, véritablement ineffable; il faut renoncer à la science, à la pensée même et se réduire à l’unité. Alors seulement on peut voir l’Un autant qu’il est visible et le saisir par une espèce de contact.
(V-VI) Ainsi l’Un est au-dessus de l’Intelligence; il est le principe parfaitement simple de tous les êtres; il les engendre tout en demeurant en lui-même, et c’est par eux surtout qu’il est connu. En lui-même, il est indivisible et infini par sa puissance. Il est absolu en ce qu’il n’a besoin de rien, ni pour exister, puisqu’il est la cause des autres êtres, ni pour avoir un fondement, puisque toutes choses sont édifiées sur lui, ni pour être heureux, puisqu’il n’aspire à rien, qu’il est le Bien d’une manière transcendante.
(VII-VIII) Pour s’unir à l’Un, il faut que l’âme soit dégagée de toute forme, qu’elle devienne étrangère à tout le reste. Alors elle pourra jouir du commerce de Dieu, parce qu’il est présent à tous les êtres dès qu’ils se tournent vers lui et qu’ils s’approchent de leur centre. L’union de l’âme avec l’Un s’opère en vertu de la parenté qui les unit: car, lorsque nous contemplons l’Un, nous atteignons le but de nos vœux et nous jouissons du repos, parce que nous formons autour de lui un chœur divin.
(IX) Nous ne sommes pas séparés de l’Un, puisque c’est en lui que nous respirons et que nous subsistons. La vie véritable est l’acte intellectuel qui nous fait saisir Dieu par une sorte de tact silencieux. C’est en lui qu’est notre principe et notre fin, comme l’enseigne le mythe de l’Amour et de Psyché : les affections mortelles ne s’adressent qu’à des fantômes; là haut est l’objet véritable de l’amour. Quiconque le possède vit d’une autre vie et jouit de la félicité suprême.
(X) Si l’âme qui s’est élevée là-haut n’y demeure pas, c’est qu’elle n’est pas encore complètement détachée des choses d’ici-bas, qu’elle se trouve encore LII troublée par les passions du corps, qu’elle s’applique encore à la science qui consiste dans des raisonnements. Ce qui voit Dieu en effet, ce n’est pas la raison, mais quelque chose de supérieur à la raison, puisque, pour voir Dieu, il faut s’identifier avec lui.
(XI) Cet état est vraiment ineffable. Celui qui s’y trouve devient étranger aux passions, à la pensée même; il oublie sa propre personnalité dans l’enthousiasme qui le ravit. Il ne s’occupe même plus de la beauté des intelligibles, et il dépasse le chœur des vertus. C’est ainsi que l’initié qui pénètre dans le sanctuaire laisse derrière lui les statues placées dans le temple, et entre en communication intime avec la Divinité. Quand l’âme jouit de la vue véritable de ce qui est dans le sanctuaire, elle est plongée dans le ravissement. Celui qui se voit ainsi devenu Dieu a en lui-même une image de Dieu. Telle est la vie des dieux ; telle est aussi celle des hommes bienheureux.