LA RENAISSANCE DU PLATONISME AU IIe SIÈCLE
De multiples raisons, à partir du IIe siècle, ont fait succomber le stoïcisme devant le platonisme. Ce changement a d’abord un aspect social indéniable. Dans la romanesque Vie d’Apollonius de Tyane, de Philostrate (V, 32 35) nous voyons s’affronter devant Vespasien le Stoïcien Euphrate, ami de la liberté et de la démocratie, conseillant à l’empereur de se démettre, et le héros du livre, le Pythagoricien et Platonicien Apollonius de Tyane, conservateur, ami du régime impérial, où il voit avant tout la garantie de la fortune assise et des libertés locales ; Euphrate, le représentant de « la philosophie conforme à la nature », opposé à celui de la philosophie qui se prétend d’« inspiration divine ». Les philosophes néoplatoniciens se recrutent dans les classes aisées et cultivées ; là, nulle vocation qui fasse d’un esclave un philosophe ; nul succès populaire, non plus, comme celui qu’avaient connu les maîtres du stoïcisme. Un cercle de gens distingués dans une petite ville, comme celui que nous voyons apparaître dans les œuvres de Plutarque de Chéronée, un milieu fermé de gens instruits, comme l’école de Plotin à Rome au IIIe siècle ; à la fin du Ve et au VIe siècle, des païens de bon ton qui se réunissent pour maintenir vivante la tradition de l’hellénisme, voilà les milieux naturels de cette pensée. La politesse raffinée des Platoniciens que l’on voit apparaître chez Lucien fait contraste avec la grossièreté qu’il prête aux autres philosophes . Ici la philosophie exige une lente et laborieuse initiation, et, en ses sommets, elle ressemble plutôt à des confidences que l’on cache au vulgaire qu’à des vérités de sens commun.
C’est un autre milieu, mais c’est aussi un autre univers et une autre conception de la destinée. « En si peu de temps que ce soit, dit Sénèque du sage Stoïcien, il concentre des biens éternels . » A cette unité de la vie morale, toute ramassée en elle même, correspond la vision d’un univers qui est, à chaque moment, nécessaire et parfait, et dont les événements ne font que manifester une réalité toujours égale. Il suffit que la volonté se détende pour que l’inquiétude naisse ; la destinée n’est pas accomplie à chaque moment, mais s’accomplit peu à peu, graduellement, au cours du temps. Avec cette conception de la destinée, la vision de l’univers se transforme, son unité se rompt ; à l’interdépendance des êtres se substitue la hiérarchie des formes de l’être, de la plus parfaite à la mains parfaite, à travers lesquelles passe l’âme montant d’une région moins parfaite à une région plus pure ; ce sont tous les mythes sur l’âme qui renaissent, et l’univers, destiné à leur servir de théâtre, n’a plus d’autre rôle.
Le platonisme n’est donc plus un humanisme, c’est à dire une vision de l’univers où l’homme et l’action humaine Se déroulant en un milieu social humain forment le centre des préoccupations ; le Dieu des Stoïciens avait avec l’homme un lien particulier, et l’homme avec toute sa nature était pour eux un but de l’univers. Bien différente est une vision des choses, où l’ordre universel, le monde a une valeur en lui-même et non parce qu’il est au service des êtres raisonnables ; l’homme, comme tel, perd sa prééminence qui passe à la pure intelligence en laquelle il essaye de se transformer, c’est à dire à l’intelligence qui contemple l’ordre universel. L’homme raisonnable est, à certains égards, inférieur aux animaux et aux plantes. « Qu’on ne s’étonne pas, dit Plutarque,’si les bêtes sans raison suivent la nature mieux que les êtres raisonnables ; à ce point de vue, les animaux sont même inférieurs aux plantes, à qui la nature n’a donné ni représentation ni penchant capables d’une déviation contre nature . »