PLUTARQUE DE CHÉRONÉE
De tout côté, pendant ces deux premiers siècles, nous avons des preuves de la faveur grandissante que trouvent les œuvres de Platon ; on les explique en de nombreux commentaires, en particulier sur le Timée. On discute notamment la question de savoir si c’est par un simple artifice d’exposition que Platon y représente le monde engendré et s’il le croyait éternel. A ceux qui soutiennent cette interprétation, Philon oppose déjà la lettre même de Platon, qui parle d’un Dieu père, créateur (poietes), démiurge et aussi l’interprétation que donne Aristote . Plutarque qui traite plutôt de la création de l’âme conclut, dans le même sens, que l’âme a été créée avant le corps ; sans quoi serait détruite la valeur de l’argumentation platonicienne contre les athées, qui repose sur le fait que l’âme est antérieure au corps. Mais l’interprétation contraire, celle de l’éternité du monde, finit par s’imposer complètement, sauf aux penseurs chrétiens qui utilisent le Timée.
On imite aussi beaucoup les mythes de la destinée. Plutarque l’a fait plusieurs fois. Dans un de ces mythes, les âmes après la mort s’élèvent vers le ciel, traversent d’abord un Styx céleste, jusqu’à la lune, où séjournent celles qui ne sont ni mauvaises ni impures ; là, il y a une deuxième mort, et, comme l’âme s’était séparée du corps, l’intelligence se sépare de l’âme qu’elle laisse dans la lune pour monter à travers les sphères célestes : schème constant qui revient avec d’infinies variantes . L’Hadès souterrain a complètement disparu de ces mythes ; c’est le monde entier qui est devenu le théâtre de la destinée de l’âme.
Le platonisme de Plutarque est lié à une réaction nationale très forte en faveur des traditions religieuses grecques en même temps qu’à une critique assez violente des grands dogmatismes post aristotéliciens ; on trouve chez lui, avec une apologie de l’oracle delphique, une protestation contre l’interprétation rationaliste des dieux, à la fois contre celle qui les réduit à des facultés et des passions de l’âme, et contre le stoïcisme qui en fait des forces naturelles . Plutarque est l’homme qui, à la fois théologien, prêtre et philosophe ne veut rien abandonner de l’héritage grec, et veut encore l’accroître de toute la richesse des cultes égyptiens d’Isis.