Chambry: Hippias Mineur 371d-376b — Ninguém é mal voluntariamente

HIPPIAS: XIV. — Non, Socrate, je ne le crois pas ; je crois que c’est parce qu’il avait changé d’avis par simplicité qu’il tient à Ajax un autre langage qu’à Ulysse. Au contraire, quand Ulysse dit la vérité, c’est toujours à mauvaise intention qu’il la dit, et toutes les fois qu’il ment, il en est de même.

SOCRATE: S’il en est ainsi, c’est Ulysse, à ce qu’il semble, qui est meilleur qu’Achille.

HIPPIAS: Pas du tout, Socrate, bien certainement.

SOCRATE: Eh quoi ? n’a-t-il pas été prouvé tout à l’heure que ceux qui mentent volontairement sont meilleurs que ceux qui le font involontairement ?

HIPPIAS: Et comment admettre, Socrate, que ceux qui sont volontairement injustes, volontairement malintentionnés et qui font le mal soient meilleurs que ceux qui le font sans le vouloir ? On montre au contraire beaucoup d’indulgence pour ceux qui ont été injustes, ont menti ou fait quelque autre mauvaise action sans le vouloir, et les lois sont assurément beaucoup plus sévères pour ceux qui font le mal volontairement que pour ceux qui le font involontairement.

SOCRATE: XV. — Tu vois, Hippias, que je dis la vérité quand je parle de ma ténacité à questionner les savants, et il se peut que, fort médiocre en tout le reste, je n’aie que cette unique qualité ; car je me trompe sur la réalité des choses et je ne sais pas ce qu’elle est. J’en ai une preuve convaincante, c’est que, quand je me trouve avec quelqu’un de vous qui êtes réputés pour votre science et dont tous les Grecs attestent l’habileté, il apparaît que je ne sais rien ; car il n’y a pour ainsi dire rien sur quoi j’aie la même opinion que vous. Or quelle meilleure preuve d’ignorance que de différer d’opinion avec ceux qui savent ? Mais j’ai une qualité merveilleuse, qui me sauve, c’est que je ne rougis pas d’apprendre, je m’informe, je questionne et je sais beaucoup de gré à ceux qui me répondent, et jamais ma reconnaissance n’a fait faute à aucun d’eux. Jamais je n’ai nié que je m’étais instruit auprès de quelqu’un et je ne me suis jamais attribué ce que j’avais appris comme ma propre découverte. Au contraire, je loue celui qui m’a instruit comme un homme qui sait, et je publie ce que j’ai appris de lui. Aujourd’hui encore je n’acquiesce point à ce que tu dis et je suis fort loin de partager ton opinion. Je sais bien que c’est ma faute, parce que je suis ce que je suis, pour ne pas forcer l’expression en parlant de moi. Il me paraît en effet, Hippias, que la vérité est tout le contraire de ce que tu dis et que ceux qui nuisent aux autres, qui sont injustes, qui mentent, qui trompent et font le mal volontairement et non malgré eux sont meilleurs que ceux qui le font sans le vouloir. Parfois cependant il me paraît que c’est tout le contraire et je flotte entre deux opinions, évidemment faute de savoir. Pour le moment, je suis en proie à une sorte de transport qui me fait croire que ceux qui commettent une faute volontairement sont meilleurs que ceux qui la commettent involontairement. J’attribue la cause de ce que j’éprouve actuellement à nos raisonnements précédents, d’après lesquels il me paraît en ce moment que ceux qui commettent ces fautes sans le vouloir sont plus méchants que ceux qui les commettent volontairement. Montre-toi donc complaisant et ne refuse pas de guérir mon âme ; car tu me rendras un bien plus grand service en guérissant mon âme de son ignorance que mon corps d’une maladie. Mais si tu veux tenir un long discours, je t’avertis que tu ne me guériras pas ; car je ne pourrai pas te suivre ; si, au contraire, tu veux bien me répondre comme tout à l’heure, tu me feras beaucoup de bien et je m’imagine que cela ne te nuira pas à toi non plus. Et toi aussi, fils d’Apèmantos, j’aurais bien le droit de t’appeler à mon secours ; car c’est toi qui m’as excité à entrer en conversation avec Hippias. A présent, si Hippias se refuse à me répondre, prie-le pour moi.

EUDICOS: Je crois, Socrate, qu’Hippias n’a pas besoin que nous le priions, car il n’y a rien dans ses déclarations qui le laisse supposer, puisqu’il a dit qu’il ne se déroberait à aucune question. N’est-il pas vrai, Hippias ? N’est-ce pas cela que tu as déclaré ?

HIPPIAS: Si ; mais Socrate, Eudicos, met toujours le trouble dans ce qu’on dit et l’on croirait qu’il cherche à faire du mal.

SOCRATE: Ah ! excellent Hippias, ce n’est pas volontairement que j’agis ainsi ; car je serais savant et habile, d’après ce que tu dis ; c’est involontaire chez moi. Pardonne-moi donc, puisque, de ton côté, tu es d’avis qu’il faut pardonner à celui qui fait le mal sans le vouloir.

EUDICOS: Ne le refuse pas, Hippias, mais par égard pour nous et pour être fidèle à tes déclarations précédentes, réponds aux questions que Socrate pourra te poser.

HIPPIAS: Eh bien, je répondrai, puisque tu m’en pries. Allons, pose-moi les questions qu’il te plaira.

SOCRATE: XVI. — Eh bien, Hippias, je désire vivement examiner à fond le sujet dont nous traitions tout à l’heure, à savoir quels sont les meilleurs, ceux qui font le mal volontairement ou ceux qui le font sans le vouloir. Voici, je crois, la meilleure route à suivre pour cet examen. Voyons, réponds. Y a-t-il, selon toi, de bons coureurs ?

HIPPIAS: Oui.

SOCRATE: Et de mauvais ?

HIPPIAS: Oui.

SOCRATE: Le bon coureur n’est-il pas celui qui court bien, et le mauvais, celui qui court mal ?

HIPPIAS: Si.

SOCRATE: N’est-il pas vrai que celui qui court lentement court mal, et que celui qui court vite court bien ?

HIPPIAS: Si.

SOCRATE: Ainsi à la course et dans le fait de courir, ce qui est bien, c’est la vitesse, et ce qui est mal, la lenteur ?

HIPPIAS: Sans doute.

SOCRATE: Alors, lequel des deux est le meilleur coureur, celui qui court lentement avec intention ou celui qui court lentement malgré lui ?

HIPPIAS: Celui qui le fait avec intention.

SOCRATE: Est-ce que courir n’est pas faire quelque chose ?

HIPPIAS: C’est faire quelque chose certainement.

SOCRATE: Si c’est faire quelque chose, n’est-ce pas aussi faire un travail ?

HIPPIAS: Si.

SOCRATE: Donc celui qui court mal exécute, en fait de course, un travail mauvais et honteux ?

HIPPIAS: Mauvais, forcément.

SOCRATE: Et celui qui court lentement court mal ?

HIPPIAS: Oui.

SOCRATE: Alors le bon coureur fait volontairement ce travail mauvais et honteux, et le mauvais le fait malgré lui.

HIPPIAS: Il semble.

SOCRATE: Donc, à la course, celui qui fait un mauvais travail involontairement est moins bon que celui qui le fait volontairement ?

HIPPIAS: En matière de course, oui.

SOCRATE: Et à la lutte, quel est le meilleur lutteur, celui qui tombe volontairement ou involontairement ?

HIPPIAS: Involontairement, semble-t-il.

SOCRATE: Quel est le plus mauvais et le plus honteux, à la lutte, de tomber ou de terrasser son adversaire ?

HIPPIAS: C’est de tomber.

SOCRATE: Ainsi à la lutte également celui qui fait volontairement un travail mauvais et honteux est meilleur lutteur que celui qui le fait malgré lui ?

HIPPIAS: Il semble.

SOCRATE: Et dans tous les autres emplois du corps, n’est-ce pas celui dont le corps est le mieux constitué qui peut exécuter les deux sortes de travaux, ceux du fort et ceux du faible, ceux qui sont honteux et ceux qui sont honorables, de sorte que, si mes deux hommes font un travail corporel mauvais, le mieux constitué le fait volontairement et le plus débile malgré lui ?

HIPPIAS: Oui, dans les exercices de force également, il semble qu’il en est ainsi.

SOCRATE: Et pour la belle tenue, Hippias, n’appartient-il pas à celui qui est physiquement le mieux conformé de prendre volontairement les attitudes laides et mauvaises, et à celui qui est le plus mal conformé de les prendre sans le vouloir ? Qu’en penses-tu ?

HIPPIAS: Que c’est exact.

SOCRATE: Ainsi la mauvaise tenue aussi, quand elle est volontaire, provient de la qualité du corps et, quand elle est involontaire, de sa défectuosité ?

HIPPIAS: C’est évident.

SOCRATE: Et la voix, qu’en dis-tu ? Quelle est, selon toi, la meilleure, celle d’un homme qui détonne volontairement ou d’un homme qui détonne sans le vouloir ?

HIPPIAS: Celle de l’homme qui détonne volontairement.

SOCRATE: Et la plus mauvaise est celle de l’homme qui détonne sans le vouloir ?

HIPPIAS: Oui.

SOCRATE: Or qu’aimerais-tu mieux avoir, des biens ou des maux ?

HIPPIAS: Des biens.

SOCRATE: Que préférerais-tu ? boiter volontairement ou involontairement ?

HIPPIAS: Volontairement.

SOCRATE: La claudication, en effet, n’est-elle pas un défaut et une difformité ?

HIPPIAS: Si.

SOCRATE: Et la myopie n’est-elle pas un défaut des yeux ?

HIPPIAS: Si.

SOCRATE: Dès lors quels yeux voudrais-tu avoir à ton usage, ceux avec lesquels on voit peu et mal volontairement, ou ceux avec lesquels on voit mal involontairement ?

HIPPIAS: Les premiers.

SOCRATE: A ce compte, tu juges que ceux de tes organes qui travaillent mal, quand tu le veux, sont meilleurs que ceux qui travaillent mal contre ta volonté ?

HIPPIAS: Assurément, des organes comme les premiers sont meilleurs.

SOCRATE: On peut donc dire en un mot que tous nos organes, comme les oreilles, le nez, la bouche et tous les sens, s’ils travaillent mal involontairement, sont indésirables parce qu’ils sont mauvais, et, s’ils travaillent mal volontairement, sont désirables parce qu’ils sont bons.

HIPPIAS: Il me semble que oui.

SOCRATE: XVII. — Et les instruments, quels sont ceux qu’il vaut le mieux employer, ceux avec lesquels on travaille mal volontairement ou ceux avec lesquels on travaille mal involontairement ? Par exemple, un gouvernail avec lequel on gouverne mal involontairement est-il meilleur que celui avec lequel on le fait volontairement ?

HIPPIAS: Le dernier est meilleur.

SOCRATE: N’est-ce pas vrai aussi d’un arc, d’une lyre, d’une flûte et de tout en général ?

HIPPIAS: C’est vrai.

SOCRATE: Et si l’on a un cheval doué d’une âme telle qu’on puisse le conduire mal, si on le veut, cela vaut-il mieux que d’en avoir un qu’on conduit mal sans le vouloir ?

HIPPIAS: Cela vaut mieux.

SOCRATE: Alors son âme est meilleure.

HIPPIAS: Oui.

SOCRATE: Donc avec l’âme du meilleur cheval on peut, si on le veut, accomplir mal les actes de cette âme, et avec le cheval dont l’âme est mauvaise on les fait mal sans le vouloir ?

HIPPIAS: Certainement.

SOCRATE: N’en est-il pas de même pour l’âme du chien et de tous les autres animaux ?

HIPPIAS: Si.

SOCRATE: Et s’il s’agit de l’âme d’un homme, vaut-il mieux avoir celle d’un bon archer qui manque volontairement le but ou celle d’un archer qui le manque involontairement ?

HIPPIAS: Celle de l’archer qui le manque volontairement.

SOCRATE: C’est donc celle-ci la meilleure pour le tir de l’arc ?

HIPPIAS: Oui.

SOCRATE: Alors l’âme qui manque le but involontairement est plus mauvaise que celle qui le manque volontairement ?

HIPPIAS: Pour le tir de l’arc, oui.

SOCRATE: Et en médecine, celle qui fait du mal au corps volontairement n’est-elle pas plus savante ?

HIPPIAS: Si.

SOCRATE: Elle est donc meilleure en cet art que celle qui n’est pas savante ?

HIPPIAS: Oui, elle est meilleure.

SOCRATE: Et s’il s’agit d’âmes mieux douées pour la cithare, la flûte et tout ce qui concerne les arts et les sciences, celle qui fait des oeuvres mauvaises et disgracieuses et commet des fautes volontairement n’est-elle pas la meilleure, et celle qui en fait involontairement la plus mauvaise ?

HIPPIAS: Il y a apparence.

SOCRATE: Mais alors nous aimerions mieux sans doute chez nos esclaves des âmes qui pèchent et font du mal volontairement que celles qui en font involontairement. Nous les croirions meilleures pour remplir leurs fonctions.

HIPPIAS: Oui.

SOCRATE: Et notre âme à nous, ne voudrions-nous pas qu’elle fût aussi bonne que possible ?

HIPPIAS: Si.

SOCRATE: Or ne sera-t-elle pas meilleure si elle fait du mal et commet des fautes volontairement que si elle en fait involontairement ?

HIPPIAS: Pourtant, Socrate, combien il serait étrange que ceux qui sont volontairement injustes fussent meilleurs que ceux qui le sont involontairement !

SOCRATE: C’est cependant une conséquence évidente de ce qui a été dit.

HIPPIAS: Evidente ? Pas pour moi.

SOCRATE: XVIII. — Je la croyais telle, Hippias, pour toi aussi. Mais continue à me répondre. La justice n’est-elle pas une force ou une science, ou les deux à la fois ? N’est-elle pas nécessairement une de ces choses ?

HIPPIAS: Si.

SOCRATE: Si la justice est une force de l’âme, l’âme la plus forte n’est-elle pas la plus juste ? car une telle âme nous a paru, excellent Hippias, être la meilleure.

HIPPIAS: Elle nous a paru telle en effet.

SOCRATE: Et si c’est une science, l’âme la plus savante n’est-elle pas la plus juste, et la plus ignorante, la plus injuste ?

HIPPIAS: Si.

SOCRATE: Et si elle est l’une et l’autre, n’est-ce pas l’âme qui possède à la fois la science et la force qui est la plus juste, et la plus ignorante la plus injuste ? Cela n’est-il pas nécessaire ?

HIPPIAS: Il y a apparence.

SOCRATE: Or la plus forte et la plus savante, n’est-ce pas elle qui nous est apparue comme la meilleure et la plus capable de réaliser à la fois ce qui est beau et ce qui est laid en toute espèce de travail ?

HIPPIAS: Si.

SOCRATE: Donc, quand elle fait des choses honteuses, elle les fait volontairement par sa force et par son art, et la force et l’art, pris tous deux ensemble ou séparément, relèvent de la justice.

HIPPIAS: Il semble.

SOCRATE: Et être injuste, c’est faire des actions mauvaises ; ne pas l’être, c’est faire des actions honnêtes.

HIPPIAS: Oui.

SOCRATE: Alors l’âme la plus forte et la meilleure, quand elle est injuste, ne commettra-t-elle pas l’injustice volontairement, et la mauvaise involontairement ?

HIPPIAS: Evidemment.

SOCRATE: Et celui qui a l’âme bonne n’est-il pas un homme de bien, et celui qui l’a méchante, un méchant ?

HIPPIAS: Si.

SOCRATE: C’est donc le fait d’un homme de bien d’être injuste volontairement et du méchant de l’être involontairement, s’il est vrai que l’homme de bien a l’âme bonne.

HIPPIAS: Mais il l’a réellement.

SOCRATE: En conséquence, celui qui pèche et fait des actes malhonnêtes et injustes volontairement, celui-là, Hippias, s’il en existe un qui soit tel, ne saurait être que l’homme de bien.