Chambry: Lachès V

SOCRATE: V. — Oui, Lysimaque, je tâcherai d’abord de te conseiller, si je le puis, sur ce sujet, et de répondre ensuite à toutes les invitations que tu m’as faites. Mais il est de toute justice, ce me semble, qu’étant plus jeune et moins expérimenté que ces messieurs, j’écoute d’abord ce qu’ils ont à dire et que je m’instruise à les entendre ; puis, si j’ai quelque chose à ajouter à ce qu’ils auront dit, de vous l’expliquer alors et d’essayer de vous convaincre, eux et toi. Que l’un de vous deux, Nicias, prenne la parole.

NICIAS: Je n’y fais pas d’objection, Socrate. A mon avis, cette science est utile à connaître aux jeunes gens pour plusieurs raisons. D’abord il est excellent qu’au lieu de s’adonner aux autres amusements auxquels ils aiment à passer leur temps de loisir, ils choisissent cet exercice qui les rendra infailliblement plus vigoureux, car il n’est inférieur à aucun des exercices du gymnase et il n’exige pas moins d’efforts ; en outre, il est, avec l’équitation, celui qui convient le mieux à un homme libre ; car pour la lutte dont nous sommes les athlètes et pour les occasions où nous sommes appelés à combattre, il n’y a qu’une seule préparation, celle qui se fait avec les instruments de guerre. Cet apprentissage sera ensuite fort utile dans la bataille réelle, quand il faudra combattre en ligne avec beaucoup d’autres, et il le sera surtout si les lignes sont rompues, et s’il faut dés lors se battre seul à seul, soit en attaquant dans la poursuite un homme qui se défend, soit en repoussant dans une retraite un homme qui vous attaque. Seul à seul, un homme expert en escrime n’a rien à craindre de son adversaire, ni peut-être même de plusieurs : sa science lui assure toujours l’avantage.

En outre, la science des armes inspire le goût d’une autre belle science ; car tout homme qui a appris à combattre tout armé voudra connaître aussi la science qui lui fait suite, celle de la tactique ; puis, quand il possède ces deux sciences et qu’il s’en est fait un point d’honneur, il se jette dans l’étude complète de la stratégie. On voit maintenant que toutes les sciences et tous les exercices qui se rattachent à la guerre sont beaux et méritent vraiment qu’on les apprenne et qu’on les cultive, et que la science des armes leur sert d’introduction.

Ajoutons à cela un avantage qui n’est pas sans importance, c’est qu’à la guerre cette science rend tous ceux qui la possèdent beaucoup plus hardis et plus vaillants qu’ils ne l’étaient auparavant. Ne dédaignons pas non plus cet autre profit, si mince qu’il puisse paraître, celui d’une plus belle tenue dans les cas où une belle tenue est nécessaire et où elle en imposera aux ennemis. Il me paraît donc, Lysimaque, je le répète, qu’il faut donner cet enseignement aux jeunes gens, et j’en ai dit les raisons. Si Lachès a autre chose à dire, à mon tour je l’écouterai volontiers.