Chambry: Lachès VI

LACHÈS: VI. — Il est difficile, Nicias, de dire d’une science quelconque qu’il ne faut pas l’apprendre ; car il semble qu’il y a avantage à tout savoir, et cette pratique des armes, si c’est réellement une science, comme l’affirment ceux qui l’enseignent et comme le soutient Nicias, mérite aussi d’être étudiée. Mais si ce n’est pas une science et si ce qu’on nous en promet est décevant, ou si ce n’est qu’une science sans grande importance, à quoi bon s’en occuper ?

Voici sur quelles considérations je fonde mon jugement. Je me dis que, si elle avait quelque valeur, elle n’aurait pas échappé aux Lacédémoniens, qui n’ont pas d’autre soin dans la vie que de rechercher et de mettre en pratique les connaissances et les exercices qui peuvent leur assurer la supériorité à la guerre. A supposer même qu’elle leur eût échappé, il y a une chose qui n’échapperait pas aux maîtres de cette science, c’est que les Lacédémoniens s’intéressent plus que tout autre peuple grec à ces sortes de choses et qu’un maître estimé chez eux dans cet art se ferait beaucoup d’argent chez les autres, comme il arrive aux poètes tragiques estimés chez nous. Et en effet quiconque se croit capable de faire de bonnes tragédies ne court pas au-dehors, tout autour de l’Attique, pour exhiber ses pièces de ville en ville ; il les apporte droit ici et les fait jouer devant nous, en quoi il a raison. Au contraire, je vois ces fameux maîtres d’armes considérer Lacédémone comme un sanctuaire inaccessible, où ils ne mettent pas même la pointe du pied, tandis qu’ils circulent autour d’elle et montrent leur talent partout plutôt qu’à Sparte, et spécialement chez ceux qui s’avouent eux-mêmes inférieurs à beaucoup d’autres en ce qui concerne la guerre.