SOCRATE: X. — Voici qui sera peut-être plus clair. Nous ne nous sommes pas, je crois, mis d’accord dès le début sur ce que peut être l’objet dont nous délibérons et à propos duquel nous cherchons qui de nous est compétent et a pris des maîtres pour le devenir, et qui ne l’est pas.
NICIAS: Quoi ! Socrate, ne s’agit-il pas du combat en armes et ne cherchons-nous pas si les jeunes gens doivent l’apprendre ou non ?
SOCRATE: Certainement si, Nicias. Mais quand on se demande, à propos d’un onguent pour les yeux, s’il faut l’appliquer ou non, est-ce sur le remède ou sur les yeux que porte, selon toi, la délibération ?
NICIAS: C’est sur les yeux.
SOCRATE: De même, quand on se demande s’il faut, ou non, mettre un mors à un cheval, et à quel moment, n’est-ce pas le cheval qui est en question, non le mors ?
NICIAS: C’est vrai.
SOCRATE: En un mot, toutes les fois qu’on délibère sur une chose en vue d’une autre, c’est sur la chose en vue de laquelle se fait l’examen que porte la délibération, et non sur celle qu’on examine en vue d’une autre.
NICIAS: C’est forcé.
SOCRATE: Il faut donc examiner si celui qui nous conseille est compétent pour prendre soin de la chose en vue de laquelle nous faisons notre recherche.
NICIAS: Assurément.
SOCRATE: Et dans le cas présent, disons-nous, nous examinons une science en vue de l’âme des jeunes gens, n’est-ce pas ?
NICIAS: Oui.
SOCRATE: Il faut donc rechercher lequel de nous est compétent pour traiter l’âme, est capable de la bien soigner et a eu pour cela de bons maîtres.
LACHÈS: Mais quoi, Socrate ? n’as-tu jamais vu d’hommes qui, sans maîtres, sont devenus plus habiles dans certains arts que s’ils avaient eu des maîtres ?
SOCRATE: Si, Lachès ; mais ceux-là auraient beau te dire qu’ils sont d’excellents artisans ; tu ne te fierais pas à eux, à moins qu’ils ne pussent te montrer quelques ouvrages de leur façon qui fussent bien réussis.
LACHÈS: En cela tu as raison.