NICIAS: XIII. — C’est que tu me parais ignorer que tout homme qui est en contact avec Socrate [par la conversation, comme par la parenté] et s’approche de lui pour causer, quel que soit d’ailleurs le sujet qu’il ait mis sur le tapis, se voit infailliblement amené par le tour que prend la conversation à lui faire des confidences sur lui-même, sur son genre de vie actuel et sur sa vie passée, et, une fois qu’il en est arrivé là, il peut être sûr que Socrate ne le lâchera pas qu’il n’ait bien et dûment passé au crible tout ce qu’il lui aura dit. Pour moi, je suis habitué à ses façons et je vois qu’avec lui il faut absolument en passer par là, et je n’en serai pas quitte, moi non plus, j’en suis sûr. J’aime en effet à m’approcher de lui, Lysimaque, et je ne trouve pas du tout mauvais qu’on appelle notre attention sur le mal que nous avons pu faire ou que nous faisons encore. J’estime, au contraire, qu’on devient forcément plus prévoyant pour l’avenir, si l’on ne se dérobe pas à cette épreuve et si l’on veut et juge utile, suivant le mot de Solon, d’apprendre tant qu’on est en vie, au lieu de croire que la raison vient d’elle-même avec l’âge. En tout cas, ce n’est pour moi ni une nouveauté ni un désagrément d’être mis à l’épreuve par Socrate, et je savais presque d’avance que, lui présent, ce ne serait pas sur les jeunes gens que porterait la discussion, mais sur nous-mêmes. Je le répète donc : je ne vois, pour ma part, aucun inconvénient à ce que Socrate conduise notre entretien comme il lui plaira. Mais il faut voir ce qu’en pense Lachès.