Chambry: Lachès XXII

SOCRATE: XXII. — Allons, Nicias, tes amis sont en proie aux flots agités de la discussion et ne savent plus de quel côté se tourner : viens à leur secours, si tu en as quelque moyen. Tu vois dans quel embarras nous sommes. Dis-nous ce que tu crois qu’est le courage et du même coup délivre-nous de notre embarras et affermis toi-même ta pensée en l’exprimant par la parole.

NICIAS: Il me semble depuis un moment, Socrate, que vous ne définissez pas comme il convient le courage, parce que vous ne vous servez pas d’une idée juste que je t’ai entendu exprimer précédemment.

SOCRATE: Laquelle, Nicias ?

NICIAS: Je t’ai souvent entendu dire que chacun de nous est bon dans les choses où il est savant, et mauvais dans celles où il est ignorant.

SOCRATE: Par Zeus, ce que tu dis là est vrai, Nicias.

NICIAS: Or si l’homme courageux est bon, il est évident qu’il est savant.

SOCRATE: As-tu entendu, Lachès ?

LACHÈS: Oui, mais je ne saisis pas bien ce qu’il veut dire.

SOCRATE: Moi, je crois comprendre, et il me semble dire que le courage est une sorte de science.

LACHÈS: Quelle science, Socrate ?

SOCRATE: N’est-ce pas à lui que tu adresses ta question ?

LACHÈS: Si.

SOCRATE: Allons, Nicias, dis-lui quelle sorte de science est, selon toi, le courage. Ce n’est pas, j’imagine, la science du joueur de flûte ?

NICIAS: Pas du tout.

SOCRATE: Ni celle du joueur de cithare !

NICIAS: Assurément non.

SOCRATE: Mais alors quelle science, et science de quoi ?

LACHÈS: Tu l’interroges fort bien, Socrate, et il faut qu’il nous dise ce qu’il prétend qu’est cette science.

NICIAS: Cette science, Lachès, est celle des choses qu’il faut craindre et des choses qu’il faut oser, soit à la guerre, soit partout ailleurs.

LACHÈS: Voilà une définition bien absurde, Socrate.

SOCRATE: Qu’est-ce qui te fait dire cela, Lachès ?

LACHÈS: Ce qui me fait dire cela ? C’est qu’il y a une différence certaine entre la science et le courage.

SOCRATE: Ce n’est pas l’avis de Nicias.

LACHÈS: Non, par Zeus : c’est justement pour cela qu’il extravague.

SOCRATE: Alors montrons-lui la vérité, mais sans l’injurier.

NICIAS: Il ne s’agit pas de cela, Socrate ; ce que Lachès veut, à mon avis, c’est me faire passer pour un radoteur, parce qu’on l’a vu radoter lui-même tout à l’heure.