Chambry: Lachès XXIII

LACHÈS: XXIII. — Oui, Nicias, et je vais essayer de le démontrer. Ce que tu dis n’a pas de sens : dans les maladies, par exemple, n’est-ce pas le médecin qui connaît ce qui est à craindre ? ou crois-tu que les hommes courageux le connaissent, ou prends-tu les médecins pour des hommes courageux ?

NICIAS: Pas du tout.

LACHÈS: Ni les agriculteurs, je pense. Cependant ils connaissent certainement ce qui est à craindre dans le métier d’agriculteur. Il en est de même de tous les autres artisans ; ils savent ce qu’il faut craindre et sur quoi ils peuvent compter dans leur métier ; mais ils n’en sont pas plus braves pour cela.

SOCRATE: Que penses-tu, Nicias, de ce que dit Lachès ? Il semble bien que sa critique a du sens.

NICIAS: Elle en a effectivement, mais elle n’est pas juste.

SOCRATE: Comment cela ?

NICIAS: Parce qu’il s’imagine que les médecins savent autre chose que de reconnaître dans leurs clients ce qui est sain et ce qui est malade ; or leur science ne va pas plus loin. Mais si la santé est plus à craindre pour tel malade que la maladie, crois-tu, Lachès, que les médecins le savent ? Ne penses-tu pas qu’il vaudrait mieux pour beaucoup ne pas se relever de leur maladie que de s’en relever ? Réponds-moi : crois-tu qu’il soit toujours avantageux de vivre et que, dans bien des cas, il ne soit pas préférable d’être mort ?

LACHÈS: Il y a des cas, je le reconnais, où ce serait préférable.

NICIAS: Et ceux pour qui la mort serait un gain, crois-tu qu’ils aient à craindre les mêmes choses que ceux qui ont intérêt à vivre ?

LACHÈS: Non.

NICIAS: Mais cette distinction, à qui accordes-tu le pouvoir de la faire ? Au médecin ou à tout autre homme de métier ? ou n’est-ce pas uniquement à l’homme qui sait ce qui est à craindre et ce qui ne l’est pas, et que j’appelle, moi, l’homme courageux ?

SOCRATE: Saisis-tu ce qu’il dit, Lachès ?

LACHÈS: Oui, j’entends que ce sont les devins qui sont pour lui les hommes courageux ; car quel autre qu’un devin peut savoir à qui il est plus avantageux de vivre que d’être mort ? Cependant toi, Nicias, te donnes-tu pour un devin ou reconnais-tu que tu n’es ni devin ni courageux ?

NICIAS: Comment ? c’est au devin qu’il appartient, selon toi, de connaître ce qui est à craindre et ce qui ne l’est pas ?

LACHÈS: Oui, autrement quel autre le pourrait ?