Chambry: Lachès XXVIII

SOCRATE: XXVIII. — Il reste un troisième point. Voyons si tu es encore ici du même avis que nous.

NICIAS: De quel point s’agit-il ?

SOCRATE: Je vais te le dire. Il nous semble, à Lachès et à moi, que, si l’on considère les divers objets de la science, il n’y a pas une science du passé qui connaît la manière dont il est arrivé, ni une autre relative au présent, qui connaît la manière dont il arrive, ni une autre qui connaît comment ce qui n’est pas encore arrivé pourrait se réaliser le plus favorablement et se réalisera, mais que c’est dans tous les cas la même science. En ce qui concerne la santé, par exemple, il n’y a pour tous les temps qu’une seule science, la médecine, qui considère à la fois ce qui arrive, ce qui est arrivé, ce qui arrivera et comment. Il en va de même pour l’agriculture à l’égard des productions du sol. De même, en ce qui regarde la guerre, vous attesteriez certainement vous-mêmes que la science du général veille fort bien à tout et en particulier à ce qui doit arriver et qu’elle ne croit pas devoir se soumettre à la divination, mais lui commander au contraire, parce qu’elle sait mieux ce qui arrive et doit arriver à la guerre ; et la loi ordonne, non pas que le devin commande au général, mais que le général commande au devin. Affirmerons-nous cela, Lachès ?

LACHÈS: Nous l’affirmerons.

SOCRATE: Et toi, Nicias, es-tu d’accord avec nous qu’au sujet des mêmes choses, c’est la même science qui les connaît, qu’elles soient futures, présentes ou passées ?

NICIAS: Oui, c’est aussi mon opinion, Socrate.

SOCRATE: Or le courage est, à ce que tu dis, excellent Nicias, la science de ce qui est à craindre et de ce qui ne l’est pas, n’est-ce pas ?

NICIAS: Oui.

SOCRATE: Et nous sommes convenus que, par ce qui est à craindre et ce qui ne l’est pas, il faut entendre les biens ou les maux à venir ?

NICIAS: En effet.

SOCRATE: Et que la même science s’applique aux mêmes choses, soit dans l’avenir, soit dans tout autre cas ?

NICIAS: C’est juste.

SOCRATE: Le courage n’est donc pas seulement la science de ce qui est à craindre et de ce qui ne l’est pas ; car il n’embrasse pas seulement les biens et les maux à venir, mais aussi ceux du présent et du passé et tous les biens et les maux en général, comme les autres sciences.

NICIAS: Il semble bien.