Chambry: Lysis 207d-210d — O saber, condição da amizade

IV. J’allais lui demander après cela lequel des deux était le plus juste et le plus sage ; mais dans l’intervalle on vint, de la part du maître de la palestre, faire lever Ménexène : il était sans doute chargé de surveiller le sacrifice. Ménexène se retira donc. Alors je m’adressai à Lysis et je lui dis : « Sans doute, Lysis, ton père et ta mère t’aiment beaucoup.

— Oui, beaucoup, me répondit-il.

— Alors ils voudraient te voir le plus heureux possible.

— Naturellement.

— Mais tiens-tu pour un homme heureux celui qui est esclave et qui n’a le droit de rien faire de ce qu’il désire ?

— Non, par Zeus, répondit-il.

— Alors, si ton père et ta mère t’aiment et désirent ton bonheur, ils mettent évidemment tous leurs soins à te rendre heureux ?

— Sans doute, répliqua-t-il.

— Ils te laissent donc faire ce que tu veux, ils ne te réprimandent jamais et ne mettent aucun obstacle à tes désirs ?

— Si, par Zeus, ils en mettent, Socrate, et ils me défendent même beaucoup de choses.

— Que dis-tu ? repris-je. Ils veulent que tu sois heureux et ils t’empêchent de faire ce que tu veux ? Mais dis-moi un peu : si tu voulais monter sur un des chars de ton père et prendre les rênes, un jour de course, ils ne te laisseraient pas faire ? ils t’en empêcheraient ?

— Non, par Zeus, dit-il, ils ne me laisseraient pas faire.

— Pourquoi donc ?

— C’est qu’il y a un cocher payé par mon père.

— Que dis-tu ? Ils permettent à un mercenaire plutôt qu’à toi de faire ce qu’il veut des chevaux, et ils le payent encore pour cela ?

— Pourquoi pas ? dit-il.

— Mais l’attelage des mulets, ils te permettent, je pense, de le conduire, et si tu voulais prendre le fouet et les frapper, ils te laisseraient faire ?

— Comment veux-tu qu’ils me laissent faire ? dit-il.

— Mais quoi ? dis-je, personne n’a-t-il le droit de les frapper ?

— Si fait, dit-il, le muletier.

— Est-ce un esclave ou un homme libre ?

— C’est un esclave, dit-il.

— Et ils font plus de cas, paraît-il, d’un esclave que de toi, leur fils, et ils lui confient ce qui leur appartient plutôt qu’à toi, et ils lui laissent faire ce qu’il veut, et toi, ils t’en empêchent ? Mais dis-moi encore : Te laissent-ils te gouverner toi-même ou te refusent-ils aussi cette liberté ?

— Comment me la laisseraient-ils ? répondit-il.

— Alors quelqu’un te commande ?

— Mon pédagogue que voici, répondit-il.

— C’est un esclave ?

— Sans doute, et il est à nous, dit-il.

— C’est un peu fort, dis-je, d’être commandé par un esclave quand on est un homme libre. Mais en quoi ton gouverneur te commande-t-il ?

— Il me conduit chez le maître, dit-il.

— Et eux, les maîtres, te commandent-ils aussi ?

— Assurément.

— Voilà bien des maîtres et des gouverneurs que ton père t’impose volontairement. Mais naturellement, quand tu rentres au logis, près de ta mère, elle te laisse faire, elle, ce que tu veux de ses laines ou de sa toile, quand elle tisse, afin de te rendre heureux en ce qui dépend d’elle ? car elle ne t’empêche pas sans doute de toucher à sa spatule, ou à sa navette, ou à quelque autre des outils qui servent au travail de la laine ? »

Il se mit à rire et me dit : « Non, par Zeus, Socrate ; non seulement elle m’en empêche, mais encore j’aurais sur les doigts, si j’y touchais.

— Par Héraclès, m’écriai-je, est-ce que tu n’aurais pas offensé ton père et ta mère ?

— Non, par Zeus, je ne les ai pas offensés, répondit-il.

V. — Que leur as-tu donc fait alors pour qu’ils mettent une telle rigueur à t’empêcher d’être heureux et d’agir à ta guise, et pourquoi te tiennent-ils sans relâche tout le jour sous la dépendance de quelqu’un, en un mot dans l’impossibilité de réaliser aucun de tes désirs ? si bien qu’on pourrait croire que de tant de richesses tu ne retires, toi, aucun profit, et que tout le monde a la haute main dessus plutôt que toi, et que tu as beau être noble de ta personne, tu n’en es pas moins soumis à la direction et aux soins d’un autre, tandis que toi, Lysis, tu ne commandes à personne et tu ne fais rien de ce que tu désires.

— C’est que, répondit-il, je n’ai pas encore l’âge, Socrate.

— Peut-être n’est-ce pas cela qui t’en empêche, fils de Démocrate, puisqu’il y a, je crois, certaines choses que ton père et ta mère te laissent faire, sans attendre que tu aies l’âge. Ainsi, quand ils veulent se faire lire ou écrire quelque chose, c’est toi, je pense, plutôt que toute autre personne de la maison, qu’ils chargent de ce soin, n’est-ce pas vrai ?

— Si fait, répondit-il.

— Ici tu peux, à ton gré, rédiger telle lettre la première, telle autre la seconde, et tu as la même liberté pour les lire. Et quand tu prends ta lyre, ni ton père ni ta mère, je pense, ne t’empêchent de tendre ou de relâcher telle corde que tu veux, ni de la pincer avec les doigts ou de la frapper avec le plectre, n’est-ce pas vrai ?

— Si, assurément.

— Quel peut bien être, Lysis, le motif pour lequel ils ne s’opposent pas à ces sortes de choses, et s’opposent à celles dont je parlais tout à l’heure ?

— C’est, je crois, parce que je sais les unes, répondit-il, et que je ne sais pas les autres.

— A merveille, dis-je, excellent jeune homme. Ce n’est donc pas l’âge que ton père attend pour te confier toutes ses affaires ? mais le jour où il te jugera plus habile que lui, ce jour-là il te confiera et sa personne et sa fortune.

— Je le crois, répondit-il.

Bien, dis-je. Mais dis-moi, ton voisin ne suivra-t-il pas à ton égard la même règle que ton père ? Penses-tu qu’il te confiera sa maison à gouverner, quand il te jugera plus habile que lui dans l’économie domestique, ou qu’il la dirigera lui-même ?

— Je pense qu’il me la confiera.

— Et les Athéniens, penses-tu qu’ils ne te confieront pas leurs affaires, quand ils t’auront reconnu la capacité convenable ?

— Oui, je le pense.

— Prenons, par Zeus, poursuivis-je, le cas du grand Roi. Est-ce à son fils aîné, le futur maître de l’Asie, qu’il confierait le soin d’ajouter ce qu’il voudrait à la sauce des viandes que l’on cuit pour sa table, ou à nous, si, nous rendant à sa cour, nous lui faisions voir que nous sommes plus habiles que son fils dans la préparation des ragoûts ?

— A nous, évidemment, répondit-il.

— Pour son fils, il ne lui laisserait pas mettre le moindre assaisonnement dans les ragoûts ; mais nous, si nous voulions prendre le sel à poignées, il nous laisserait le jeter dedans.

— Sans doute.

— Et si son fils avait les yeux malades, le laisserait-il toucher ses yeux lui-même, sachant qu’il n’entend rien à la médecine, ou l’en empêcherait-il ?

— Il l’en empêcherait.

— Mais nous, s’il nous croyait habiles en médecine, nous pourrions, je pense, si nous voulions, lui ouvrir les yeux et y jeter de la cendre ; il ne s’y opposerait pas, persuadé que nous aurions raison de le faire.

— C’est vrai.

— N’en ferait-il pas de même en toutes choses, et ne s’en remettrait-il pas à nous plutôt qu’à lui-même ou à son fils en toutes les matières où nous lui paraîtrions plus habiles qu’eux ?

— Nécessairement, Socrate, répondit-il.

VI. — Tu vois donc ce qu’il en est, mon cher Lysis, lui dis-je : pour les choses où nous serons passés maîtres, tout le monde s’en rapportera à nous, Grecs et barbares, hommes et femmes, et nous en userons à notre guise, sans que personne y mette obstacle volontairement ; c’est un domaine où nous serons libres, où nous commanderons même aux autres, et ce domaine sera notre bien, puisque nous en tirerons profit. Mais pour les choses dont nous n’aurons pas acquis la connaissance, personne ne nous permettra d’en user à notre fantaisie ; tout le monde au contraire s’y opposera autant qu’il le pourra, et non seulement les étrangers, mais encore notre père et notre mère et ceux qui pourraient nous toucher encore de plus près ; nous serons ici forcés d’obéir à d’autres, et ces choses seront pour nous des choses étrangères, car nous n’en tirerons aucun profit. M’accordes-tu qu’il en est ainsi ?

— Je te l’accorde.

— Mais nous ferons-nous amis avec quelqu’un et quelqu’un nous aimera-t-il par rapport aux choses où nous ne serons d’aucune utilité ?

— Non, certes, dit-il.

— Ainsi ton père n’aimera même pas son fils, ni personne n’aimera un homme, par rapport aux choses où il est inutile ?

— Il ne me semble pas, dit-il.

— Si donc tu deviens savant, mon enfant, tout le monde t’aimera, tout le monde s’attachera à toi ; car tu seras utile et bon. Sinon, personne ne t’aimera, ni ton père, ni ta mère, ni tes proches. Dès lors a-t-on le droit, Lysis, d’être fier de choses auxquelles on ne s’entend pas encore ?

— Comment cela se pourrait-il ? dit-il.

— Alors, si tu as besoin d’un maître, tu n’es pas encore instruit ?

— C’est vrai.

— Tu n’es donc pas fier, puisque tu es encore ignorant.

— Non, par Zeus, Socrate, me répondit-il, je ne crois pas l’être. »