II. — Ecoutez donc. Ce matin, dans l’obscurité du petit jour, Hippocrate, fils d’Apollodore et frère de Phason, est venu frapper violemment à ma porte avec son bâton ; aussitôt qu’on lui eut ouvert la porte, il est entré en coup de vent et m’a crié : Socrate, es-tu éveillé ou dors-tu ? J’ai reconnu sa voix. C’est Hippocrate, ai-je dit. Tu as des nouvelles à m’annoncer ? — Rien que de bonnes. — Tant mieux ; mais qu’y a-t-il, et pourquoi viens-tu à pareille heure ? — Protagoras est ici, me dit-il, en se plantant devant moi. — Depuis avant-hier, dis-je. Tu viens seulement de l’apprendre ? — Oui, par les dieux, hier au soir. En même temps il tâtait mon lit et s’asseyait à mes pieds. Oui, hier au soir, poursuivit-il, très tard, en revenant d’OEnoé. Il faut te dire que mon esclave Satyros s’était enfui ; j’étais sur le point de venir t’avertir que j’allais me mettre à sa poursuite, quand un incident me l’a fait oublier. A mon retour, nous avons dîné et nous allions nous coucher, quand mon frère me dit : Protagoras est ici. Tout d’abord je voulus encore accourir te le dire ; puis je pensai que la nuit était trop avancée. Mais des que le sommeil m’a eu remis de ma fatigue, je me suis levé et je suis venu ici comme tu vois. — En le voyant si décidé et si exalté, je lui ai dit : Qu’est-ce que cela te fait ? Protagoras a-t-il quelque tort envers toi ? Il m’a répondu en riant : Oui, par les dieux, Socrate : il a le tort de garder sa science pour lui seul, sans m’en faire part. — Mais, par Zeus, tu n’as qu’à lui donner de l’argent et à le décider, il te rendra savant, toi aussi. — Si seulement, ô Zeus et tous les dieux, il ne tenait qu’à cela, je ne me laisserais rien à moi, ni à mes amis : c’est justement pour cela que je viens te trouver à présent, c’est pour que tu lui parles de moi ; car je suis trop jeune et je n’ai jamais ni vu ni entendu Protagoras ; j’étais encore enfant lors de son premier séjour ici. Mais tout le monde, Socrate, fait l’éloge du personnage, et on le donne pour le plus éloquent des hommes. Rendons-nous vite chez lui, afin de le trouver au logis ; il est descendu, dit-on, chez Callias, fils d’Hipponicos ; allons-y. — Pas encore, mon bon ami, c’est trop matin ; restons ici, levons-nous et allons dans la cour pour nous promener et passer le temps jusqu’à ce qu’il fasse jour ; nous irons alors. Protagoras ne sort guère ; ainsi n’aie pas peur, nous le trouverons, selon toute vraisemblance, au logis.