Protagoras 322a-323c — Protagoras responde por um mito (A)

XII. — Quand l’homme fut en possession de son lot divin, d’abord à cause de son affinité avec les dieux, il crut à leur existence, privilège qu’il a seul de tous les animaux, et il se mit à leur dresser des autels et des statues ; ensuite il eut bientôt fait, grâce à la science qu’il avait, d’articuler sa voix et de former les noms des choses, d’inventer les maisons, les habits, les chaussures, les lits, et de tirer les aliments du sol. Avec ces ressources, les hommes, à l’origine, vivaient isolés, et les villes n’existaient pas ; aussi périssaient-ils sous les coups des bêtes fauves, toujours plus fortes qu’eux ; les arts mécaniques suffisaient à les faire vivre ; mais ils étaient d’un secours insuffisant dans la guerre contre les bêtes ; car ils ne possédaient pas encore la science politique dont l’art militaire fait partie. En conséquence ils cherchaient à se rassembler et à se mettre en sûreté en fondant des villes ; mais quand ils s’étaient rassemblés, ils se faisaient du mal les uns aux autres, parce que la science politique leur manquait, en sorte qu’ils se séparaient de nouveau et périssaient.

Alors Zeus, craignant que notre race ne fût anéantie, envoya Hermès porter aux hommes la pudeur et la justice, pour servir de règles aux cités et unir les hommes par les liens de l’amitié. Hermès alors demanda à Zeus de quelle manière il devait donner aux hommes la justice et la pudeur. Dois-je les partager, comme on a partagé les arts ? Or les arts ont été partagés de manière qu’un seul homme, expert en l’art médical, suffît pour un grand nombre de profanes, et les autres artisans de même. Dois-je répartir ainsi la justice et la pudeur parmi les hommes, ou les partager entre tous ? — Entre tous, répondit Zeus ; que tous y aient part, car les villes ne sauraient exister, si ces vertus étaient, comme les arts, le partage exclusif de quelques-uns ; établis en outre en mon nom cette loi, que tout homme incapable de pudeur et de justice sera exterminé comme un fléau de la société.

Voilà comment, Socrate, et voilà pourquoi et les Athéniens et les autres, quand il s’agit d’architecture ou de tout autre art professionnel, pensent qu’il n’appartient qu’à un petit nombre de donner des conseils, et si quelque autre, en dehors de ce petit nombre, se mêle de donner un avis, ils ne le tolèrent pas, comme tu dis, et ils ont raison, selon moi. Mais quand on délibère sur la politique, où tout repose sur la justice et la tempérance, ils ont raison d’admettre tout le monde, parce qu’il faut que tout le monde ait part a la vertu civile ; autrement il n’y a pas de cité. Voilà, Socrate, la raison de cette différence.

Mais pour que tu ne t’imagines pas que je t’abuse, en te disant que tout le monde est réellement persuadé que chacun a part à la justice et aux autres vertus civiles, je vais t’en donner une nouvelle preuve. Pour les autres qualités, c’est ton mot, si quelqu’un par exemple prétend exceller sur la flûte ou en tout autre art, alors qu’il ne s’y entend pas, on le raille, on le rebute et ses proches viennent le chapitrer sur sa folie ; mais en ce qui concerne la justice et les autres vertus politiques, si l’on connaît quelqu’un pour un homme injuste, et si, témoignant contre lui-même, il avoue la vérité devant le public, cette confession de la vérité qui passait tout à l’heure pour sagesse passe ici pour folie, et l’on est convaincu qu’il faut que tous les hommes se disent justes, qu’ils le soient ou qu’ils ne le soient pas, et que c’est folie de ne pas simuler la justice ; car il est nécessaire que chacun sans exception ait quelque part à la justice ou qu’il disparaisse du milieu des hommes.