XIII. — Qu’on ait raison d’admettre chacun à donner son avis sur cette vertu, parce qu’on est persuadé qu’elle est le partage de chacun, voilà ce que je viens d’établir ; qu’on le regarde, non pas comme un don de la nature ou un effet du hasard, mais comme une chose qui peut s’enseigner ou s’acquérir par l’exercice, voilà ce que je vais essayer maintenant de te démontrer. Et en effet pour les défauts naturels ou accidentels que l’on remarque les uns chez les autres, personne ne se fâche contre ceux qui en sont affligés, personne ne les reprend, ne leur fait la leçon, ne les châtie, afin qu’ils cessent d’être ce qu’ils sont : on a simplement pitié d’eux. Qui serait assez fou, par exemple, pour infliger de tels traitements à des personnes laides, petites ou débiles ? On sait bien, n’est-ce pas, que c’est de la nature et du hasard que les hommes tiennent ces qualités de beauté ou de laideur ; mais pour les qualités qu’on regarde comme un effet de l’application, de l’exercice et de l’étude, lorsqu’on ne les a pas et qu’on a les vices contraires, c’est alors que l’indignation, les châtiments, les remontrances trouvent à s’appliquer. Au nombre de ces défauts sont l’injustice, l’impiété et en général tout ce qui est contraire à la vertu politique ; ici chacun s’indigne et s’élève contre le vice, évidemment parce qu’il est persuadé que cette vertu s’acquiert par l’application et l’étude.
Si en effet, Socrate, tu veux bien faire réflexion sur le sens de cette expression punir les méchants, cela suffira pour te convaincre que les hommes regardent la vertu comme une chose qu’on peut acquérir ; personne en effet ne punit un homme injuste par la simple considération et le simple motif qu’il a commis une injustice, à moins qu’il ne punisse à l’aveugle, comme une bête féroce ; mais celui qui veut punir judicieusement ne punit pas à cause de l’injustice, qui est chose passée, car il ne saurait faire que ce qui est fait ne soit pas fait ; mais il punit en vue de l’avenir, afin que le coupable ne retombe plus dans l’injustice et que son châtiment retienne ceux qui en sont les témoins. Penser ainsi, c’est penser que la vertu peut être enseignée, puisque le châtiment a pour but de détourner du vice. Telle est l’opinion de tous ceux qui punissent en leur nom et au nom de l’État. Or tous les hommes punissent et châtient ceux qu’ils regardent comme injustes, et les Athéniens, tes concitoyens, aussi bien que les autres, de sorte que, suivant ce raisonnement, les Athéniens sont de ceux qui pensent que la vertu s’acquiert et s’enseigne. Ainsi, que tes concitoyens aient raison d’accueillir les conseils du forgeron et du cordonnier en matière politique, et qu’ils soient convaincus que la vertu s’enseigne et s’acquiert, voilà, Socrate, qui est suffisamment démontré, si je ne m’abuse.