Protagoras 326e-328d — Sofística como fator de progresso da moral

XVI. — D’où vient donc que des hommes de mérite ont souvent des fils médiocres ? Apprends-en la raison. Il n’y a là rien que de naturel, s’il est vrai, comme je l’ai dit tout à l’heure, qu’il faut, pour que la cité subsiste, que tout le monde soit instruit dans cette science qu’est la vertu. Si donc ce que je dis est vrai, et il n’y a rien de plus vrai, considère parmi les autres occupations et les autres sciences celle qu’il te plaira. Supposons, par exemple, que la cité ne puisse exister qu’à la condition que nous soyons tous joueurs de flûte, chacun dans la mesure de nos moyens ; que dès lors chacun enseigne la flûte aux autres et en particulier et en public, réprimande celui qui joue mal, et fasse part de son talent, comme on fait part de sa connaissance de la justice et des lois, sans en faire mystère, comme on le fait dans les autres arts, nous trouvons en effet, j’imagine, notre avantage dans la pratique mutuelle de la justice et de la vertu, et c’est pour cela que chacun est porté à dire et à enseigner aux autres ce qui est juste et légal, supposons, dis-je, que nous ayons le même empressement sans réserve à nous enseigner mutuellement la flûte, penses-tu, Socrate, me dit-il, que les fils des bons joueurs de flûte deviendraient plus habiles que les fils des mauvais ? Je suis convaincu que non ; ce serait l’enfant le mieux doué pour la flûte, quel que fût son père, qui grandirait en renommée, et l’enfant mal doué qui resterait obscur, et souvent le fils d’un bon joueur de flûte resterait mauvais, et le fils d’un mauvais deviendrait bon ; cependant tous les citoyens seraient des joueurs de flûte passables, comparés aux ignorants, complètement étrangers à l’art de la flûte.

Tiens de même pour certain, dans le cas qui nous occupe, qu’un homme qui te paraît le plus injuste dans une société soumise à des lois, est juste et savant en justice, si on le compare à des hommes qui n’auraient ni éducation, ni tribunaux, ni lois, ni rien qui les contraigne jamais à cultiver la vertu, espèce de sauvages semblables à ceux que le poète Phérécrate a fait représenter l’an passé au Lénaeon. A coup sûr, si tu te trouvais parmi de tels hommes, comme les misanthropes parmi les, sauvages qui forment le choeur de la pièce, tu t’estimerais heureux de tomber sur un Eurybate ou un Phrynondas, et tu gémirais et tu regretterais la méchanceté des gens d’ici. Mais maintenant tu te prévaux, Socrate, parce que tout le monde enseigne la vertu, dans la mesure de ses moyens, et qu’ainsi personne ne te paraît l’enseigner. C’est comme si tu cherchais quel maître nous apprend à parler grec tu n’en trouverais pas. Et si tu cherchais de même un homme qui pût apprendre aux fils des artisans l’art même que leurs pères leur ont enseigné avec toute la capacité qui leur est propre à eux-mêmes et à ceux de leur profession, et qui pût les pousser plus loin encore, un tel maître, Socrate, serait, je crois, difficile à trouver, tandis qu’il serait fort aisé d’en trouver un pour des ignorants ; et la même chose peut se dire de la vertu et de tout le reste. Mais s’il y a des gens qui l’emportent tant soit peu sur les autres pour faire avancer dans la vertu, c’est déjà un joli privilège.

Or je crois être un de ceux-là ; je crois que je suis supérieur aux autres pour aider à devenir vertueux, que je mérite le salaire que j’exige, et même un plus grand, de l’aveu même de mes élèves. Aussi voici comment je procède pour me faire payer mes honoraires. Quand quelqu’un a reçu mes leçons, il me paye, s’il veut, la somme que je lui demande ; sinon, il entre dans un temple ; il y déclare sous la foi du serment le prix que vaut à ses yeux mon enseignement, et il y dépose juste la somme.

Voilà, Socrate, et la fable et les raisons par lesquelles je voulais te prouver que la vertu est matière d’enseignement, que c’est l’opinion des Athéniens et qu’il n’y a rien d’étonnant à ce que les fils de pères distingués soient sans mérite et les fils de pères sans mérite soient distingués, témoin les fils de Polyclète, jeunes gens de l’âge de Paralos et de Xanthippe ici présents, qui ne sont rien à côté de leur père, et d’autres fils d’artistes qui sont dans le même cas. Quant à ceux-ci, il ne faudrait pas déjà les mettre en cause : leur jeunesse laisse encore à espérer.