XIX. — Si, continuant ses questions, il nous disait : Comment disiez-vous donc tout à l’heure ? Vous ai-je mal entendus ? Vous disiez, si je ne me trompe, que les parties de la vertu ont entre elles des rapports tels qu’aucune ne ressemble aux autres ; je lui répondrais pour ma part : Pour ce qui a été dit, tu l’as bien entendu ; mais quant à croire que c’est moi qui l’ai dit, tu as mal entendu. C’est Protagoras qui a fait cette réponse ; moi, je ne faisais qu’interroger. S’il reprenait : Socrate dit-il la vérité, Protagoras ? est-ce toi qui affirmes qu’aucune des parties de la vertu ne ressemble aux autres ? est-ce bien cela que tu soutiens ? que lui répondrais-tu ?
— Force me serait d’avouer, Socrate, dit-il.
— Et que pourrions-nous bien lui répondre, après cet aveu, Protagoras, s’il nous posait encore cette question : La sainteté n’est donc pas susceptible d’être une chose juste, ni la justice d’être une chose sainte, mais la justice est susceptible de n’être pas sainte, et la sainteté de n’être pas juste, c’est-à-dire que la sainteté peut être injuste, et la justice impie ? que lui répondrions-nous ? Pour mon compte personnel, je répondrais que la justice est sainte et la sainteté juste ; et pour ton compte aussi, avec ta permission, je répondrais de même qu’assurément la justice est la même chose que la sainteté ou qu’elle s’en rapproche aussi près que possible, que très certainement la justice est pareille à la sainteté et la sainteté à la justice ; mais vois si tu t’opposes à ce que je réponde ainsi, ou si tu partages mon opinion.
— La chose ne me paraît pas si simple, Socrate, répliqua-t-il, que je puisse t’accorder que la justice est sainte et la sainteté juste ; il me semble qu’il y a quelque différence entre elles ; mais qu’importe ? admettons, si tu veux, que la justice est sainte et la sainteté juste.
— Non point, dis-je. Pas de si tu veux, ni de s’il te plaît ; ce ne sont pas des suppositions qu’il faut examiner, c’est toi et moi qu’il faut persuader, c’est toi et moi qui sommes en cause, et je pense que la meilleure manière de discuter est de supprimer ce si.
— Je reconnais, dit-il, que la justice a quelque ressemblance avec la sainteté ; car une chose quelconque ressemble toujours à une autre en quelque manière ; il y a quelque rapport de ressemblance entre le blanc et le noir, entre le dur et le mou et entre les choses qui paraissent le plus opposées les unes aux autres ; et ces parties mêmes dont nous disions tout à l’heure qu’elles avaient des propriétés différentes, que l’une n’était pas pareille à l’autre, je veux dire les parties du visage, ces parties se ressemblent et sont pareilles les unes aux autres par certains côtés, en sorte que tu pourrais prouver de cette façon, si tu voulais, que toutes ces parties se ressemblent entre elles ; mais il n’est pas juste, à mon avis, d’appeler semblables des choses qui ont quelque rapport de ressemblance, ni dissemblables des choses qui ont quelque rapport de différence, quelque mince que soit ce rapport.
Etonné d’une telle réponse, je lui dis : Le juste et le saint sont-ils donc vis-à-vis l’un de l’autre au point de n’avoir qu’un mince rapport de ressemblance ?
— Ce n’est pas tout à fait cela, dit-il, mais ce n’est pas non plus ce que tu parais penser.
— Eh bien ! dis-je, puisque ce débat ne semble pas de ton goût, laissons-le ; examinons dans ton discours un autre point, celui-ci par exemple.