Protagoras 336d-337c — Apartes

XXIII. — Ici Alcibiade prit la parole et dit : Tu n’es pas juste, Callias ; car Socrate confesse qu’il n’a pas le don des longs discours et qu’il cède cet avantage à Protagoras ; mais quant à mener une discussion et savoir présenter ou recevoir un argument, je serais bien surpris s’il était inférieur à qui que ce soit. Si donc Protagoras aussi confesse qu’il ne vaut pas Socrate dans la discussion, Socrate n’en demande pas davantage ; mais s’il lui dispute la supériorité, qu’il accepte la discussion par demandes et par réponses, sans tirer ses discours en longueur à chaque question ; qu’il cesse d’éluder les arguments, de refuser la réplique et de s’étendre jusqu’à faire oublier de quoi il est question à la plupart des auditeurs ; car je garantis, moi, que Socrate n’oubliera rien, bien qu’il s’amuse à soutenir qu’il n’a pas de mémoire. Mon avis est donc que la prétention de Socrate est la mieux fondée, puisqu’il faut que chacun dise son sentiment.

Après Alcibiade, ce fut Critias, si je ne me trompe, qui prit la parole : Prodicos et Hippias, dit-il, il me semble que Callias est bien décidément pour Protagoras ; quant à Alcibiade, il veut toujours avoir raison, quoi qu’il se mette en tête. Mais nous, nous ne devons en aucune façon prendre parti ni pour Socrate, ni pour Protagoras ; prions-les plutôt tous les deux impartialement de ne pas laisser là l’entretien.

Critias ayant ainsi parlé, Prodicos prit la parole : Il me semble que tu as raison, Critias ; il faut que ceux qui assistent à ces sortes de conversations écoutent les deux interlocuteurs impartialement, mais non également, car ce n’est pas la même chose ; il faut prêter à l’un et à l’autre une oreille impartiale, mais non tenir la balance égale entre eux ; il faut accorder davantage au plus habile et moins au plus ignorant. Moi aussi, Protagoras et Socrate, je vous en prie, mettez-y de la complaisance, et discutez ensemble sans vous quereller : discuter, tout en restant bienveillants, c’est le fait de gens amis ; se quereller est le fait d’adversaires et d’ennemis. En m’écoutant, vous nous donneriez le spectacle de la plus belle discussion, et ce serait pour vous qui parlez le meilleur moyen d’obtenir de nous qui écoutons, je ne dirai pas la louange, mais l’approbation ; car l’approbation réside dans les âmes des auditeurs et ne trompe pas ; la louange, sur les lèvres de gens qui souvent mentent et déguisent leur opinion ; et ce serait aussi pour nous, les auditeurs, le meilleur moyen d’en tirer, non du plaisir, mais de la joie ; car la joie est la satisfaction de l’esprit seul qui apprend et qui acquiert la sagesse, et le plaisir est la satisfaction du corps seul, quand il mange ou éprouve quelque autre sensation agréable.

Ce discours de Prodicos reçut un bon accueil d’une bonne partie des assistants.