Chambry: La République X 614a-621d — Descida aos Infernos. O Mito de Er

— Pourtant ces choses-là, dis-je, ne sont rien, pour le nombre et pour la grandeur, en comparaison de celles qui attendent l’un et l’autre de nos personnages une fois qu’ils auront terminé leur vie. Et il faut entendre cela, si l’on veut que chacun d’eux ait reçu complètement ce que l’argument lui devait.

— Voudrais-tu l’énoncer ? avec plus de plaisir. d’autres choses que j’entendrais b avec plus de plaisir.

— Et pourtant, dis-je, ce que je vais te raconter n’est pas un “récit chez Alcinoos ” , mais le récit d’un homme vaillant , Er , fils d’Arménios, dont la race venait de Pamphylie. Il lui advint de mourir à la guerre. Lorsqu’au dixième jour on vint relever les cadavres, qui étaient déjà putréfiés, on le trouva en bon état, et quand on l’eut amené chez lui, dans l’intention de l’ensevelir, le douzième jour, alors qu’il était étendu sur le bûcher, il revint à la vie ; et une fois revenu à la vie, il raconta ce qu’il avait vu là-bas. Il raconta qu’à partir du moment où elle était partie, son âme avait cheminé avec beaucoup d’autres, et qu’elles étaient arrivées c dans un certain lieu prodigieux , dans lequel il y avait deux béances de la terre l’une à côté de l’autre, et par ailleurs, dans les hauteurs, deux autres béances du ciel, juste en face. Que des juges “siégeaient entre elles, juges qui, une fois qu’ils avaient rendu jugement, invitaient les justes à cheminer en suivant la route qui montait à droite à travers le ciel, après leur avoir attaché sur le devant des signes indiquant le jugement prononcé ; et ils invitaient les injustes à suivre la route qui descendait à gauche, avec d eux aussi, dans leur dos, des signes indiquant tout ce qu’ils avaient commis, Comme lui-même s’avançait, ils lui dirent qu’il aurait à devenir, pour les humains, le messager des choses de là-bas, et qu’ils l’invitaient donc à écouter et à regarder tout ce qui se passait dans ce lieu. Il y vit alors les âmes qui partaient par l’une des béances du ciel, et par l’une de celles de la terre, une fois que jugement avait été rendu sur elles ; et du côté des deux autres béances, des âmes qui passaient par l’une pour remonter du sein de la terre, pleines de saleté et de poussière, et d’autres qui passaient par l’autre pour descendre du ciel, pures. Et celles e qui arrivaient, à chaque fois, on voyait qu’elles venaient de parcourir un long chemin, et qu’elles se réjouissaient de partir dans la prairie pour y camper comme dans une assemblée de fête ; celles qui se connaissaient se saluaient les unes les autres affectueusement : celles qui sortaient de la terre demandaient aux autres des nouvelles de là-bas, et celles qui venaient du ciel des nouvelles du lieu d’où venaient les autres. Et elles se faisaient des récits les unes aux autres, les unes en gémissant et en pleurant, au souvenir 615 de tout ce qu’elles avaient subi et vu au cours de leur cheminement sous terre — et ce cheminement durait un millénaire ; au contraire, celles qui venaient du ciel racontaient les bonheurs qu’elles avaient connus, et leurs visions d’une inimaginable beauté. L’ensemble de ces récits, Glaucon, il faudrait beaucoup de temps pour le raconter. Mais Er déclara que l’essentiel était ceci : que pour toutes les injustices que chacune avait jamais commises envers quelqu’un, et pour toutes les personnes envers qui elle avait commis des injustices, pour tous ces “méfaits pris un par un, elle avait à payer un châtiment, dix fois autant dans chaque cas, un châtiment par centaine d’années, ce qui est b la durée d’une vie humaine, de façon qu’elles aient à payer un paiement dix fois plus grand que l’injustice commise : ainsi par exemple si certains avaient été coupables de la mort de plusieurs personnes, ou avaient trahi des cités ou des armées, ou avaient réduit des hommes en esclavage, ou avaient été coupables, avec d’autres, de quelque autre méfait, ils recevaient pour prix de chacun de ces actes des souffrances dix fois plus intenses ; et si inversement ils avaient dispensé des actions bienfaisantes, et s’étaient révélés justes et pieux, ils en recevaient le prix selon la même proportion. Quant à c ceux qui étaient morts aussitôt nés, ou qui n’avaient vécu que peu de temps, il rapportait à leur sujet d’autres choses qui ne méritent pas d’être mentionnées. Et pour les actes d’irrespect ou de respect envers dieux et parents, et pour le meurtre commis de ses propres mains, il parlait de compensations encore plus grandes. Il déclara ainsi avoir été présent quand quelqu’un demanda à un autre où était le grand Ardiaios. Cet Ardiaios avait été tyran dans une certaine cité de la Pamphylie mille ans déjà avant ce moment-là, il avait fait tuer son vieux père et d son frère aîné, et avait accompli bien d’autres actes impies, à ce qu’on disait. Il rapporta que celui à qui on posait la question répondit : ” Il n’est pas venu ici, et ne risque pas d’y venir.

En effet, parmi les spectacles terribles que nous avons vus, il y eut en particulier celui-ci : lorsque nous fûmes près de la bouche, prêts à monter, après avoir subi tout le reste, nous l’aperçûmes tout à coup, lui et d’autres — la plupart d’entre eux des tyrans, à quelques exceptions près ; mais il s’y trouvait aussi certains individus privés, de ceux qui avaient “commis de grands crimes ; alors qu’ils croyaient e qu’ils allaient à présent remonter, la bouche refusa de les accepter, mais mugit chaque fois que l’un de ceux qui étaient si incurablement orientés vers la méchanceté, ou qui n’avaient pas suffisamment payé leur châtiment, entreprenait de remonter. Et là, disait-il, des hommes sauvages, d’un aspect de feu, qui se tenaient sur le côté, dès qu’ils eurent perçu le mugissement, se saisirent de certains d’entre eux pour les emmener ; quant à Ardiaios et aux autres, ils leur attachèrent ensemble bras, jambes, 616 et tête, les jetèrent à terre, et les écorchèrent en les traînant le long de la route, à l’extérieur de la bouche, en les cardant sur des épineux ; et à ceux qui pouvaient assister à la scène, ils faisaient savoir qu’ils les menaient vers le Tartare pour les y jeter, et pour quelles raisons.” Sans aucun doute, disait-il, alors qu’ils avaient éprouvé là bien des peurs, et de toute sorte, celle-là les dépassait, chacun craignant que cette voix ne se fasse entendre lorsqu’il monterait; et, à leur très grand plaisir, pour chacun d’eux elle se tut, et chacun put monter. Tels étaient à peu près, dit-il, les châtiments b et les punitions, et inversement les bienfaits qui leur faisaient pendant. Mais lorsque pour chacun de ceux qui étaient dans la prairie sept jours se furent écoulés, il leur fallut, le huitième, se lever et cheminer pour partir de là, et arriver après trois jours en un endroit d’où l’on voyait, s’étendant depuis les hauteurs, à travers tout l’espace du ciel et de la terre, une lumière dressée comme une colonne, tout à fait comparable à l’arc-en-ciel, mais plus éclatante et plus pure. Une fois qu’ils furent arrivés jusqu’à elle, après avoir marché pendant un jour de route, là même ils virent, au milieu c de la lumière, les extrémités des liens qui la rattachaient au ciel : car c’est cette lumière qui lie le ciel ensemble. À l’exemple des cerclages des trières, ainsi elle maintient tout ce mouvement circulaire. Et à ces extrémités ils virent tendu le fuseau de Nécessité, par l’intermédiaire duquel “tous les mouvements circulaires sont entretenus. La tige de ce fuseau, comme son crochet, était en acier, tandis que le poids qui tendait le fil à la verticale était fait d’un mélange de ce dernier métal et de matières d’autres espèces. Or la nature du poids d était à peu près la suivante : pour la forme extérieure, c’était celle des poids de ce monde-ci, mais à partir de ce qu’il disait, on doit concevoir que c’était comme si, à l’intérieur d’un grand poids creux totalement évidé, s’en était trouvé un autre pareil, plus petit, qui s’y adaptait, comme les bols qui s’adaptent les uns dans les autres, et de même encore un troisième, un quatrième, et quatre autres. Et ainsi il y avait au total huit poids, placés les uns dans les autres, qui laissaient paraître en haut leurs bords e comme des cercles, formant le dos continu d’un seul poids autour de la tige. Et celle-ci passait exactement au milieu du huitième. Or le premier poids, situé le plus à l’extérieur, avait le cercle du bord le plus large, celui du sixième était deuxième en largeur, le troisième en largeur était celui du quatrième, le quatrième celui du huitième, le cinquième celui du septième, le sixième celui du cinquième, le septième celui du troisième, et le huitième celui du second . Et le cercle du plus grand était brodé d’étoiles, celui du septième était le plus éclatant, celui du huitième tirait sa coloration du surplus d’éclat 617 du septième, celui du deuxième et celui du cinquième, similaires l’un à l’autre, étaient plus pâles que les précédents, le troi “sième avait la couleur la plus blanche, le quatrième était rougeâtre, le second pour la blancheur était le sixième. Et ils virent que le fuseau tout entier se mouvait en cercle selon son propre mouvement, mais que dans l’ensemble, qui était en mouvement circulaire, les sept cercles de l’intérieur se mouvaient doucement en un mouvement circulaire inverse de celui de l’ensemble ; et parmi ceux-là celui qui allait le plus rapidement était le huitième ; en second lieu, b et simultanément les uns avec les autres, venaient le septième, le sixième, et le cinquième. Venait au troisième rang, quant à la vitesse, dans ce mouvement circulaire inverse, à ce qu’il leur parut, le quatrième cercle ; en quatrième position le troisième, et en cinquième position le second. Ils virent que le fuseau lui-même se mouvait sur les genoux de Nécessité . En haut, sur chacun de ses cercles, était montée une Sirène emportée dans le même mouvement circulaire, et émettant un seul son, une seule note ; et toutes les huit composaient ensemble un accord unique. D’autres étaient assises autour, à des distances égales, au nombre de trois, chacune c sur un trône ; c’étaient les filles de Nécessité, les Moires , vêtues de blanc, portant des bandelettes sur la tête : Lachesis qui-distribue-les-lots, Clôthô la-fileuse, Atropos l’irréversible ; elles célébraient, accompagnées par l’accord des Sirènes, Lachesis le passé, Clôthô le présent, Atropos l’à-venir. Et Clôthô, le touchant de la main droite, contribuait de temps en temps à entretenir le mouvement circulaire extérieur du fuseau ; Atropos, de son côté, en faisait autant de la main gauche pour les mouvements internes ; quant à Lachesis, d tour à tour elle “touchait les uns et l’autre de l’une et de l’autre main.

Or, lorsqu’ils arrivèrent, dit-il, il leur fallut aussitôt aller vers Lachesis. Un porte-parole les fit d’abord se ranger en ordre ; ensuite, ayant pris sur les genoux de Lachesis les sorts et les modèles de vies, il monta sur une tribune élevée et déclara : ” Parole de la fille de Nécessité, la jeune fille Lachesis. Ames qui n’êtes là que pour un jour, voici le début d’un nouveau cycle qui vous mènera jusqu’à la mort dans la race mortelle. Ce n’est pas un génie e qui vous tirera au sort, c’est vous qui vous choisirez un génie. Que le premier à être tiré au sort choisisse le premier une vie, à laquelle il sera uni de façon nécessaire. De l’excellence, nul n’est maître : chacun, selon qu’il l’honorera ou la méprisera, aura d’elle une plus ou moins grande part. La responsabilité revient à qui choisit ; le dieu, lui, n’est pas responsable.” Après avoir dit cela, il jeta les sorts entre eux tous, et chacun ramassa celui qui était tombé près de lui, sauf lui-même : on ne le lui permit pas. Et quand il l’eut ramassé, chacun vit quel rang le sort lui avait donné. 618 Après cela, il plaça alors sur le sol les modèles de vies devant eux, en beaucoup plus grand nombre qu’il n’y avait d’âmes présentes. Il y en avait de toutes sortes : des vies de tous les genres d’êtres vivants, et en particulier toutes les vies humaines ; il y avait en effet parmi elles des tyrannies, les unes qui parvenaient à leur terme, et d’autres qui en cours de route allaient à leur perte et finissaient dans la pauvreté, dans l’exil, et dans la mendicité. Il y avait aussi des vies d’hommes réputés, les uns pour leur aspect, pour leur beauté, et en général pour leur force b et leur aptitude aux compétitions, les autres pour leur ascendance et pour les qualités de leurs ancêtres, et des vies d’hommes dépourvus de réputation dans les mêmes domaines, et pareillement des vies de femmes aussi. L’ordonnance de l’âme n’y était pas incluse, parce que nécessairement, en choisissant telle ou telle vie, “l’âme devait devenir différente. Mais les autres données de la vie y étaient mélangées entre elles et avec la richesse et la pauvreté, d’autres avec les maladies, d’autres avec la bonne santé, d’autres encore tenaient le milieu entre ces extrêmes. C’est bien là, apparemment, mon ami Glaucon, qu’est tout le risque pour l’homme, et c’est pour cela que chacun de nous doit surtout appliquer ses soins, c en négligeant les autres connaissances, à rechercher et à apprendre cette connaissance-là, pour voir si elle le rendra à même de reconnaître et de découvrir la vie qui fera de lui un homme capable et avisé, qui sait distinguer entre une vie honnête et une vie malhonnête, pour choisir toujours, en toute occasion, la vie meilleure parmi les vies possibles. Celui qui calcule comment tous les éléments qu’on a dits à l’instant, dans la mesure où ils se combinent ou se distinguent les uns des autres, contribuent à l’excellence d’une vie, sait aussi le bien ou le mal que peut faire la beauté, quand elle est mélangée à la pauvreté, ou à la richesse, d et quand elle est accompagnée de telle ou telle disposition de l’âme ; et l’effet qu’ont les naissances hautes ou basses, la situation d’individu privé ou l’exercice d’une charge de direction, la force physique ou l’absence de force, la facilité ou la difficulté à apprendre, et en général toutes les caractéristiques de ce genre, qu’elles appartiennent naturellement à une âme, ou qu’elles soient acquises par elle, quand elles sont mélangées les unes aux autres, Il lui est ainsi possible, en rassemblant les calculs fondés sur toutes ces données, de faire son choix ; c’est en prenant en considération la nature de l’âme qu’il définira la vie pire ou la vie meilleure, nommant e pire celle qui la mènera à devenir plus injuste, meilleure celle qui la mènera à devenir plus juste. À tout le reste, il souhaitera bon voyage ; car nous avons vu qu’aussi bien pour un homme en vie que pour celui qui a fini ses jours, c’est là qu’est le choix déterminant. Et c’est donc 619 en conservant cette opinion avec la rigueur de l’acier qu’il faut aller “chez Hadès, pour éviter, là aussi, de se laisser étourdir par la richesse et par ce genre de maux, et de se jeter dans des tyrannies, ou des types de vie similaires, où l’on causerait nombre de maux irréparables, et où soi-même on en subirait de plus grands encore ; mais pour savoir à chaque fois choisir la vie qui tient le milieu entre ces extrêmes, et fuir les débordements dans un sens comme dans l’autre, à la fois dans cette vie, autant que possible, et dans toute vie ultérieure ; car c’est ainsi qu’un homme b peut devenir le plus heureux.

Or juste à ce moment-là, selon le messager venu de là-bas, le porte-parole parla ainsi : ” Même le dernier venu, s’il fait son choix avec intelligence, et s’il mène sa vie avec énergie, peut trouver une vie digne d’être aimée, une vie qui n’est pas mauvaise. Que celui qui choisit le premier ne soit pas négligent ; et que celui qui choisit le dernier ne se décourage pas.” Et il racontait qu’après ces paroles, celui qui avait tiré de choisir le premier fit son choix en allant droit à la plus grande tyrannie, et que tant par manque de sagesse que par cupidité, il n’examina pas suffisamment toutes choses avant de faire son choix, c et ne s’aperçut pas qu’y était incluse la destinée consistant à manger ses propres enfants, et d’autres désastres. Mais lorsqu’il prit le temps de l’examiner, il se frappa la poitrine et déplora son choix, sans s’en tenir à ce qui avait été dit auparavant par le porte-parole : car ce n’était pas lui-même qu’il tenait pour cause de ses maux, mais la fortune, les génies, tout plutôt que lui-même. Il était l’un de ceux qui étaient venus là du ciel ; il avait vécu sa vie précédente sous un régime politique ordonné, et avait eu part à l’excellence par habitude, d sans contribution de la philosophie . On pouvait d’ailleurs dire que parmi les victimes de telles “erreurs, ceux qui étaient venus du ciel n’étaient pas les moins nombreux, du fait qu’ils n’avaient pas d’entraînement à la souffrance ; tandis que la plupart de ceux qui étaient venus de la terre, du fait qu’ils avaient souffert eux-mêmes, ou qu’ils en avaient vu d’autres souffrir, ne faisaient pas leur choix à la course. C’est précisément pourquoi, pour la plupart des âmes, se produisait une interversion des maux et des biens, et aussi à cause du hasard dans le tirage au sort. Car si, à chaque fois que quelqu’un arrive dans la vie d’ici, il philosophait sainement, e et à condition que le tirage au sort pour le choix ne le place pas parmi les derniers, il aurait toutes les chances, selon le message rapporté de là-bas, non seulement d’être heureux ici, mais encore de n’avoir pas à faire le cheminement d’ici à là-bas, et celui de retour pour venir ici, sur un chemin souterrain et rude, mais sur un chemin aisé et céleste. Il racontait en effet que c’était un spectacle bien digne d’être vu que celui de chacune des âmes choisissant une vie. 620 Il était en effet pitoyable, risible, et étonnant à voir. En effet, c’était en fonction des habitudes de leur précédente vie qu’elles choisissaient, dans la plupart des cas. Il racontait avoir vu l’âme qui avait jadis été celle d’Orphée choisir la vie d’un cygne, ne voulant pas, par haine du genre féminin, puisque c’était d’elles qu’il avait reçu la mort, naître d’une femme. Et avoir vu celle de Thamyras choisir la vie d’un rossignol. Et avoir vu aussi un cygne changer, pour choisir une vie humaine, et d’autres oiseaux musiciens pareillement. b Et il racontait “que l’âme qui avait tiré au sort le vingtième rang choisit la vie d’un lion ; c’était celle d’Ajax fils de Télamon, qui fuyait d’avoir à naître homme, se souvenant du jugement sur les armes , Celle qui vint après lui était celle d’Agamemnon : elle aussi, par haine de l’espèce humaine, à cause de ce qu’elle avait subi, changea pour la vie d’un aigle. Ayant tiré un rang intermédiaire, l’âme d’Atalante , lorsqu’elle vit les grands honneurs attachés à un athlète homme, ne fut pas capable de passer outre, mais les prit. Après c celle-là, il vit celle d’Epeios fils de Panopeus’ se diriger vers la nature d’une femme de métier. Plus loin, parmi les derniers, il vit celle de Thersite’, qui provoque le rire, se vêtir en singe. Et par l’effet du hasard ce fut celle d’Ulysse qui tira au sort d’aller faire son choix la dernière de toutes ; mais comme elle avait été, par le souvenir de ses souffrances antérieures, dégagée de son amour des honneurs, elle fit longtemps le tour, en cherchant la vie d’un individu privé qui ne se mêle pas des affaires ; à grand peine elle en trouva une, posée quelque part et négligée par les autres ; dès qu’elle l’eut vue, d elle déclara qu’elle aurait fait la même chose même si elle avait tiré au sort le premier rang, et elle se réjouit de la choisir. Et on passait semblablement des autres bêtes au statut d’humains, et d’une bête à l’autre, les bêtes injustes chan “geant pour les bêtes sauvages, les bêtes justes pour les bêtes paisibles, et tous les mélanges s’opéraient. Il raconta que lorsque toutes les âmes eurent choisi leurs vies, elles se rendirent, dans l’ordre qu’elles avaient tiré au sort, vers Lachesis. Et le génie que chacun avait choisi, elle le lui assignait pour être le gardien e de sa vie, et pour accomplir ce qui avait été choisi. Ce dernier la conduisait en premier lieu vers Clôthô, et la faisait passer sous sa main et sous le mouvement tourbillonnant du fuseau, pour sceller le destin qu’il avait choisi après le tirage au sort ; une fois qu’il avait touché le fuseau, le génie le ramenait au filage d’Atropos, pour rendre irréversible ce qui avait été filé par Clôthô. Partant de là, sans pouvoir revenir en arrière, il venait 621 sous le trône de Nécessité, et passait de l’autre côté. Lorsque les autres furent passés aussi, il raconta que tous cheminèrent vers la plaine de l’Oubli, par une chaleur terrible et étouffante. Et en effet il y avait là un lieu dénué d’arbres et de tout ce qui pousse sur la terre. Ils campèrent alors, comme le soir venait déjà, le long du fleuve Amélès , dont aucun récipient ne peut retenir l’eau. Or, tous devaient nécessairement boire une certaine mesure d’eau, mais ceux qui n’étaient pas préservés par leur prudence en buvaient plus que la mesure, et à chaque fois celui qui buvait ainsi b oubliait toutes choses. Lorsqu’ils se furent couchés et que vint la mi-nuit, il y eut du tonnerre et un tremblement de la terre, et tout à coup ils furent emportés de là vers les hauteurs, les uns d’un côté, les autres de l’autre, vers la naissance, fusant comme des étoiles. Mais lui fut empêché de boire de l’eau. Cependant, par quelle voie et de quelle “façon il était arrivé dans son corps, il dit qu’il ne le savait pas, mais que lorsque tout à coup il avait ouvert les yeux, à l’aube, il avait vu qu’il gisait sur le bûcher. C’est ainsi, Glaucon, que l’histoire a été préservée et n’a pas péri , et qu’elle peut nous c préserver nous-mêmes, si nous sommes capables d’y ajouter foi ; alors nous franchirons avec succès le fleuve de l’Oubli, et ne souillerons pas notre âme. Eh bien, si nous sommes capables d’ajouter foi à ce que je dis, nous devons considé- rer que l’âme est chose immortelle, et qu’elle est capable de supporter tous les maux ainsi que tous les biens. Nous nous tiendrons alors constamment à la route qui mène vers le haut, et nous pratiquerons la justice, liée à la prudence, de toutes les façons possibles. Ainsi nous pourrons être amis aussi bien avec nous-mêmes qu’avec les dieux, aussi bien lors de notre séjour ici que lorsque nous aurons d remporté les prix que rapporte la justice, comme des vainqueurs faisant un tour de piste triomphal; et nous pourrons tant ici, que dans le cheminement millénaire que nous avons décrit, connaître un plein succès !