Chambry: La République V 471c-480a – Os filósofos no governo do Estado

— Instituons-la, dit-il, et posons que cela, autant que ce qui précédait, est ce qu’il faut faire.

— Mais à mon avis, Socrate, si on t’autorise à parler de tels sujets, tu ne te souviendras jamais de ce que tu as précédemment laissé de côté pour énoncer tout cela, c’est-à-dire de la question de savoir comment ce régime politique est capable de venir à être, et de quelle façon il en sera jamais capable. Car je dis que sans doute, s’il venait à être, toutes choses seraient bonnes pour la cité où il serait venu à être ; et j’ajoute même, moi, ce que tu laisses de côté, à savoir qu’ils pourraient d aussi combattre le mieux contre leurs ennemis, puisqu’ils risqueraient le moins de s’abandonner les uns les autres : en effet ils se reconnaîtraient comme frères, pères, fils, et se donneraient mutuellement ces noms, Et si le sexe féminin lui aussi faisait campagne avec eux, soit tout à fait au même rang, soit encore disposé à l’arrière, pour inspirer de la peur aux ennemis, et pour le cas où surgirait la nécessité de faire appel à des secours, je sais qu’ainsi ils seraient absolument invincibles. Et je vois aussi tous les biens — que nous laissons de côté — dont ils jouiraient chez eux. Eh bien, étant donné que e j’accorde qu’on aurait tout cela, avec dix mille autres choses, si ce régime politique venait à être, alors ne m’en dis pas plus, mais essayons dorénavant de nous persuader de ce point même : que c’est une chose réalisable, et de quelle façon elle est réalisable ; le reste, laissons-le. 472 — C’est bien soudainement, dis-je, que tu fais là comme une sortie contre mon discours, et que tu ne me pardonnes pas de lambiner ! C’est que peut-être tu ne sais pas qu’après avoir échappé à grand-peine à deux vagues, voici qu’à présent tu lances contre moi la plus grande et la plus difficile de cette série de trois vagues . Lorsque tu l’auras vue, et entendue, tu me pardonneras tout à fait “d’avoir évidemment hésité : j’avais peur d’énoncer, pour entreprendre de l’examiner, un argument aussi paradoxal.

— Plus tu parleras de cette façon-là, dit-il, moins nous te b dispenserons d’expliquer de quelle façon ce régime politique est capable de venir à être ! Allons, parle, cesse de perdre du temps.

— Eh bien donc, dis-je, en premier lieu il faut se rappeler que c’est en recherchant ce qu’est la justice, et l’injustice, que nous en sommes arrivés là.

— Oui, il le faut. Mais qu’est-ce que cela change ? dit-il.

— Rien. Mais si nous trouvons quel genre de chose est la justice, estimerons-nous alors que l’homme juste lui aussi ne doit en rien différer d’elle, mais être à tous égards semblable à c la justice ? Ou bien nous contenterons-nous qu’il en soit le plus proche possible et qu’il participe d’elle plus que les autres ?

— Soit, dit-il : nous nous contenterons de la seconde solution.

— C’était donc pour avoir un modèle, dis-je, que nous cherchions à la fois ce qu’est la justice en soi, et un homme parfaitement juste, au cas où il pourrait venir à être, et quel homme il serait une fois advenu ; et inversement pour l’injustice et pour l’homme le plus injuste. Nous voulions les regarder pour voir où ils nous apparaîtraient en être sous le rapport du bonheur et de son contraire, de façon à être contraints de tomber d’accord, pour ce qui nous concerne aussi nous-mêmes, que celui qui d leur serait le plus semblable aurait le sort le plus semblable au leur. Mais nous ne cherchions pas à atteindre le but consistant à démontrer que ces choses-là sont capables de venir à être.

— En cela, dit-il, tu dis vrai.

— Or crois-tu que serait moins bon dessinateur celui qui aurait dessiné un modèle de ce que serait l’homme le plus beau, et aurait tout rendu de façon suffisante dans “son dessin, sans être capable de démontrer qu’un tel homme est aussi capable de venir à être ?

— Non, par Zeus, dit-il.

— Eh bien ? N’avons-nous pas nous aussi, affirmons-nous, fabriqué e en paroles un modèle d’une cité bonne ? Si, certainement.

— Crois-tu alors que nous parlions moins bien, parce que nous ne serions pas capables de démontrer qu’il est possible de fonder une cité de la façon qui a été décrite ?

— Certes non, dit-il.

— Voilà donc le vrai, dis-je : il est ainsi. Mais si vraiment il faut aussi, pour te faire plaisir, que j’aie à cœur de démontrer de quelle façon surtout et dans quelle mesure cela serait le plus réalisable, accorde-moi à nouveau les mêmes concessions, en vue de la démonstration analogue.

— Lesquelles ?

— Est-il possible 473 qu’une chose soit réalisée telle qu’elle est dite, ou bien cela tient-il à la nature des choses que la réalisation touche moins à la vérité que la description, même si ce n’est pas l’avis de tel ou tel ? Mais toi, en es-tu d’accord, ou non ?

— J’en suis d’accord, dit-il.

— Alors ne me contrains pas à devoir te montrer ce que nous avons exposé en paroles être en tous points tel dans les faits aussi. Mais si nous nous avérons capables de trouver comment une cité pourrait s’établir de façon à être très proche de ce qui a été dit, nous pourrons affirmer avoir trouvé que cela peut venir à être : or c’est ce que tu exiges. b Ne te contenteras-tu pas d’être arrivé à cela ? Pour moi, je m’en contenterais.

— Et moi aussi, dit-il.

— Dès lors, après cela, il faut apparemment que nous essayions de chercher, et de démontrer, ce qui va mal à présent dans les cités, et qui les empêche d’être régies de cette façon-là ; et quel est le plus petit changement qui pourrait amener une cité à ce mode de régime politique ; “un seul dans le meilleur des cas, et sinon deux, et sinon encore les moins nombreux — en nombre — et les plus petits — quant à l’importance — qu’il est possible.

— Oui, c exactement, dit-il.

— Or, dis-je, il me semble que nous pouvons montrer qu’en changeant une seule chose une cité pourrait se transformer, une chose qui n’est, il est vrai, ni petite ni aisée, mais qui est possible.

— Laquelle ? dit-il.

— J’en suis à la chose même, dis-je, que nous avions comparée à la plus grande vague. Mais cette chose sera dite, à coup sûr, même si elle doit, en déferlant comme une vague, m’inonder totalement de ridicule et de discré- dit. Examine donc ce que je vais dire.

— Parle, dit-il.

— Si l’on n’arrive pas, dis-je, ou bien à ce que les philosophes règnent dans les d cités, ou bien à ce que ceux qui à présent sont nommés rois et hommes puissants philosophent de manière authentique et satisfaisante, et que coïncident l’un avec l’autre pouvoir politique et philosophie ; et à ce que les nombreuses natures de ceux qui à présent se dirigent séparément vers l’une ou l’autre carrière en soient empêchées par la contrainte, il n’y aura pas, mon ami Glaucon, de cesse aux maux des cités, ni non plus, il me semble, du genre humain ; et le régime politique qu’à présent nous avons décrit dans le dialogue e ne pourra non plus jamais naître avant cela, dans la mesure où il est réalisable, ni voir la lumière du soleil ; c’est précisément cela qui depuis longtemps suscite en moi une hésitation à parler, parce que je vois que le dire ira tout à fait contre l’opinion reçue. Car il n’est pas aisé de concevoir qu’autrement on ne pourrait connaître le bonheur, bonheur privé ou bonheur public . “Et lui : — Socrate, dit-il, tu as lancé une parole et un argument tels, qu’après avoir dit cela, tu peux bien penser que de très nombreux hommes, et non des moindres, vont dès maintenant pour ainsi dire rejeter leurs manteaux, 474 saisir chacun, nu, la première arme qu’il trouvera, et courir contre toi, avec l’intention d’accomplir des exploits. Si tu ne te défends pas contre eux par la parole, et ne leur échappes pas, c’est en te faisant bien réellement ridiculiser que tu recevras ton juste châtiment.

— Mais n’auras-tu pas été, dis-je, la cause de ce que j’aurai subi ?

— Si, dit-il, mais j’aurai bien agi en cela. Cependant, ne crains rien, je ne te trahirai pas, je te protégerai avec ce que je peux. Or c’est avec ma bienveillance que je le peux, et en t’encourageant ; et peut-être saurai-je répondre à tes questions en restant dans le ton b mieux qu’un autre. Eh bien ! sachant que tu disposes d’un tel secours, essaie de montrer à ceux qui ne te croient pas que les choses sont bien comme tu les dis.

— Oui, il faut essayer, dis-je, surtout que tu me procures un si grand soutien dans mon combat. Eh bien il me semble nécessaire, si nous voulons d’une façon ou d’une autre échapper à ceux dont tu parles, de définir avec précision devant eux ce que sont les philosophes dont nous parlons et dont nous osons affirmer qu’ils doivent diriger ; ainsi, une fois qu’ils seront apparus bien visiblement, on pourra se défendre en montrant qu’à certains hommes il revient, par nature, à la fois de s’attacher c à la philosophie et de jouer le rôle de guides dans la cité, tandis qu’il revient aux autres de ne pas s’y attacher, et de suivre celui qui les guide. Oui, dit-il, ce serait le bon moment pour les définir.

— Alors va, suis-moi sur ce chemin, pour voir si d’une façon ou d’une autre nous pouvons exposer cela d’une façon satisfaisante.

— En avant, dit-il.

— Eh bien faudra-t-il te rappeler, dis-je, ou bien t’en souviens-tu, que quand nous affirmons que quelqu’un aime quelque chose, il faut, si l’expression est ernployée correctement, qu’il apparaisse non pas comme aimant tel aspect, et pas tel autre, mais comme chérissant le tout ?

— Il faut apparemment me le rappeler, dit-il ; car je ne l’ai pas d tout à fait en tête.

— C’est à un autre que toi, Glaucon, dis-je, qu’il aurait convenu de dire ce que tu dis. Car cela ne ressemble pas à un homme doué pour l’amour de ne pas se souvenir que tous ceux qui sont à la fleur de l’âge piquent par quelque côté, et émeuvent, celui qui aime les jeunes garçons et qui est doué pour l’amour, parce qu’ils lui semblent mériter ses soins et son affection. N’est-ce pas ainsi que vous agissez envers ceux qui sont beaux ? Du premier, parce qu’il a le nez écrasé, vous ferez l’éloge en lui donnant le nom de “charmant ” ; d’un autre vous déclarerez “royal ” le nez d’aigle ; et du troisième, qui a un nez entre les deux, vous direz qu’il est très bien proportionné ; e vous direz que les garçons à peau sombre ont l’air viril, que ceux à la peau claire semblent enfants des dieux ; et l’expression “couleur de miel ” , qui, selon toi, l’a inventée, sinon un amant à la recherche d’un nom flatteur pour le teint mat, et tout prêt à le supporter pourvu qu’il accompagne la fleur de l’âge ? En un mot, vous prenez tous les prétextes, 475 vous vous accordez toutes les façons de dire, qui vous permettent de ne rejeter aucun de ceux qui sont à la fleur de l’âge,

— Si tu veux me prendre comme exemple, dit-il, pour parler des hommes voués à l’amour, et dire que c’est ainsi qu’ils agissent, j’acquiesce, pour faire avancer l’argument.

— Mais voyons, dis-je. Ceux qui aiment le vin, ne vois-tu pas qu’ils font la même chose ? qu’ils ont de la tendresse pour n’importe quel vin, sous n’importe quel prétexte ?

— Si, certainement.

— Et quant à ceux qui aiment les honneurs, à ce que je crois, tu peux constater que quand ils n’arrivent pas à devenir stratèges, ils prennent la direction d’un tiers de tribu , et que quand ils n’arrivent pas à se faire honorer par des gens importants et b plus respectables, ils se contentent d’être honorés par des gens de peu et plus médiocres, car c’est des honneurs en général qu’ils sont avides.

— Oui, parfaitement.

— Alors dis-moi si ceci est confirmé, ou non : celui que nous disons adonné au désir de quelque chose, déclarerons-nous qu’il désire tout ce qui est de cette espèce, ou qu’il désire tel aspect, et pas tel autre ?

— Qu’il désire tout, dit-il.

— Par conséquent le philosophe aussi, nous affirmerons qu’il est épris de la sagesse, non pas de tel aspect plutôt que de tel autre, mais d’elle tout entière ?

— Oui, c’est vrai.

— Par conséquent celui qui a c du mal à acquérir les connaissances, surtout s’il est jeune et ne se rend pas encore compte de la différence entre ce qui est valable et ce qui ne l’est pas, nous affirmerons qu’il n’est pas ami du savoir ni philosophe, de la même façon que celui qui est difficile en matière de nourriture, nous affirmerons qu’il n’a pas faim, qu’il ne désire pas d’aliments, qu’il n’est pas ami des aliments, mais que c’est un mauvais mangeur.

— Et nous aurons bien raison de l’affirmer.

— Mais celui qui consent volontiers à goûter à tout savoir, qui se porte gaiement vers l’étude, et qui est insatiable, celui-là nous proclamerons qu’il est légitimement philosophe. N’est-ce pas ? Alors Glaucon dit : — Tu en auras alors beaucoup, et “de d bien étranges. Car tous ceux qui aiment les spectacles, s’ils sont tels, à mon avis, c’est parce qu’ils ont plaisir à apprendre ; quant à ceux qui aiment écouter, ce sont sans doute les plus étranges à placer parmi les philosophes. Car certainement ils ne consentiraient pas volontiers à assister à des discours et à une discussion telle que la nôtre, mais ils ont pour ainsi dire loué leurs oreilles, et courent en tous sens lors des Dionysies’ pour aller écouter tous les chœurs, ne manquant ni les Dionysies des cités ni celles des campagnes. Alors tous ceux-là, et d’autres qui se consacrent à la connaissance de e ce genre de choses, avec ceux qui se consacrent aux arts inférieurs, allons-nous proclamer qu’ils sont philosophes ? Nullement, dis-je, mais semblables à des philosophes.

— Et les philosophes véritables, dit-il, quels sont-ils, selon toi ?

— Ceux, dis-je, qui aiment le spectacle de la vérité.

— Là aussi, dit-il, tu as bien raison. Mais en quel sens dis-tu cela ?

— À un autre que toi, dis-je, ce ne serait pas du tout facile à expliquer. Mais toi, je crois que tu m’accorderas une chose comme celle que voici.

— Laquelle ?

— Puisque le beau est l’opposé du laid, c’est que ce sont 476 deux choses différentes.

— Forcément.

— Or donc, puisque ce sont deux choses différentes, c’est aussi que chacune d’elles est une ?

— Oui, cela aussi est vrai.

— Pour le juste et pour l’injuste aussi, pour le bon et le “mauvais, et pour toutes les espèces, on peut dire la même chose : chacune en elle-même est une ; mais du fait qu’elles se présentent partout en conmunauté avec des actions, avec des corps, et les unes avec les autres, chacune paraît être plusieurs.

— Tu as raison, dit-il.

— Eh bien c’est en ce sens, dis-je, que j’opère la distinction qui met à part ceux qu’à l’instant tu nommais amateurs de spectacles, et amateurs des arts, et doués pour agir, et à part, d’un autre côté, b ceux dont nous parlons, et que seuls on aurait le droit de nommer philosophes.

— En quel sens dis-tu cela ? répondit-il.

— Ceux qui aiment prêter l’oreille, et regarder des spectacles, dis-je, ont sans doute de la tendresse pour les beaux sons, les belles couleurs, les belles attitudes, et pour tous les ouvrages que l’on compose à partir de telles choses, mais quand il s’agit du beau lui-même, leur pensée est incapable d’en voir la nature et d’avoir de la tendresse pour elle.

— Oui, dit-il, il en est effectivement ainsi.

— Mais ceux qui sont vraiment capables à la fois de se diriger vers le beau lui-même, et de le voir en lui-même, seraient sans doute c rares !

— Oui, très rares.

— Celui par conséquent qui reconnaît l’existence de belles choses, mais qui ne reconnaît pas l’existence de la beauté elle-même, et qui, quand on le guide vers sa connaissance, n’est pas capable de suivre, à ton avis vit-il en songe, ou à l’état de veille ? Examine ce point. Rêver, n’est-ce pas la chose suivante : que ce soit pendant le sommeil, ou éveillé, croire que ce qui est semblable à une chose est, non pas semblable, mais la chose même à quoi cela ressemble ?

— Si, moi en tout cas, dit-il, j’affirme que rêver, c’est faire cela.

— Mais alors celui qui, à l’opposé de ceux-ci, pense que “le beau lui-même est quelque chose, tout en étant capable d d’apercevoir aussi bien le beau lui-même que les choses qui en participent, sans croire ni que les choses qui en participent soient le beau lui-même, ni que le beau lui-même soit les choses qui participent de lui, à ton avis vit-il, lui aussi, de son côté, à l’état de veille, ou en songe.

— À l’état de veille, dit-il, et pleinement.

— Par conséquent n’aurions-nous pas raison d’affirmer que sa pensée est connaissance, du fait qu’il connaît, et que celle de l’autre est opinion, puisqu’il se fonde sur ce qui semble ?

— Si, tout à fait.

— Alors que dire si ce dernier se met en colère contre nous, lui dont nous déclarons qu’il se fonde sur ce qui semble, qu’il ne connaît pas, et s’il conteste que ce soit vrai ? Aurons-nous quelque chose à dire pour e l’apaiser et le convaincre calmement, tout en lui cachant qu’il n’est pas en très bonne santé ?

— C’est en tout cas ce qu’il faut faire, sans aucun doute, dit-il.

— Alors va, examine ce que nous lui dirons. Ou bien veux-tu que nous nous informions auprès de lui de la façon suivante : disons-lui que s’il connaît quelque chose nous ne le jalousons pas pour autant, et que c’est avec joie que nous constaterions qu’il sait quelque chose. Parlons-lui ainsi : “Allons, dis-nous ceci : celui qui connaît, connaît-il quelque chose, ou rien ?” Toi, réponds-moi à sa place.

— Je te répondrai, dit-il, qu’il connaît quelque chose.

— Quelque chose qui est, ou qui n’est pas ?

— Qui est. En effet, comment 477 ce qui n’est pas pourrait-il bien être connu ?

— Avons-nous alors suffisamment établi ce point — même si nous pourrions encore l’examiner de plusieurs façons : que ce qui est totalement est totalement connaissable, tandis que ce qui n’est aucunement est totalement inconnaissable ?

— Oui, très suffisamment.

— Bon. Mais si une certaine chose est disposée de telle façon qu’à la fois elle est et n’est pas, n’est-elle pas située au milieu entre ce qui est purement et simplement, et ce qui au contraire n’est nullement ?

— Si, au milieu.

— Par conséquent si c’est au sujet de ce qui est qu’il y avait connaissance, et non-connaissance, nécessairement, au sujet de ce qui n’est pas, pour cette chose qui est au milieu b il faut chercher aussi quelque chose qui soit au milieu entre ignorance et savoir, si quelque chose de tel se trouve exister ?

— Oui, certainement.

— Or nous disons que l’opinion est quelque chose ?

— Forcément.

— Et que c’est une autre capacité que celle du savoir, ou la même ?

— Une autre.

— Donc c’est avec une chose que l’opinion est en rapport, et le savoir avec une autre, chacun des deux selon sa propre capacité.

— Oui, c’est cela.

— Or le savoir se rapporte par nature à ce qui est, pour connaître de quelle façon est ce qui est ? Mais il me semble que d’abord il est plutôt nécessaire de définir les choses de la façon suivante.

— De quelle façon ?

Nous affirmerons c que les capacités sont un genre d’êtres, grâce auxquels nous en particulier nous pouvons “ce que nous pouvons, et en général toute autre chose peut précisément ce qu’elle peut ; ainsi je dis que la vue et l’ouïe font partie des capacités, si toutefois tu comprends de quoi je parle en parlant de “capacités ” .

— Mais oui, je le comprends, dit-il.

— Alors écoute ce qui m’apparaît à leur sujet. Dans une capacité, pour moi je ne vois ni couleur, ni forme, ni aucune des qualités de ce genre, comme il y en a dans beaucoup d’autres choses. Je considère les qualités pour, en moi-même, distinguer certaines choses, et dire que les unes sont différentes des autres. Dans une capacité, au contraire, d je considère seulement ceci: sur quoi elle porte, et ce qu’elle effectue, et c’est pour cette raison que je nomme chacune d’elles “capacité ” ; celles qui portent sur la même chose et qui produisent le même effet, je dis que ce n’en est qu’une, tandis que celles qui portent sur des choses différentes et qui produisent un effet différent, je les nomme différentes. Et toi ? Comment fais-tu ?

— Comme toi, dit-il.

— Alors reviens sur ce point-ci, dis-je, excellent homme : la connaissance, déclares-tu qu’elle est une capacité, ou bien dans quel autre genre la places-tu ?

— Dans e le premier genre, dit-il, et j’en fais même la plus solide parmi les capacités.

— Mais voyons : l’opinion, la mettrons-nous du côté de la capacité, ou dans quelque autre espèce ? Dans aucune autre espèce, dit-il ; car l’opinion n’est rien d’autre que ce qui nous rend capables de nous appuyer sur ce qui semble.

— Or, peu auparavant, tu avais accordé que ce n’était pas la même chose, la connaissance et l’opinion.

— Oui, dit-il, car ce qui est infaillible, comment un homme de bon sens pourrait-il poser que c’est la même chose que ce qui ne l’est pas ? ”

Bien, dis-je; alors il est visible que nous nous sommes mis d’accord pour dire que l’opinion 478 est autre chose que la connaissance,

— Oui, autre chose.

— C’est donc sur une chose différente que chacune d’elles est par nature capable de quelque chose de différent ?

— Oui, nécessairement.

— La connaissance, elle, c’est à propos de ce qui est, n’est-ce pas, qu’elle a la capacité de reconnaître comment se comporte ce qui est.

— Oui.

— Et l’opinion, déclarons-nous, a la capacité de se fonder sur ce qui semble ?

— Oui.

— Est-ce qu’elle vise la même chose que la connaissance connaît ? ce qui est connu, et ce qui est opiné, sera-ce la même chose ? Ou bien est-ce impossible ?

— C’est impossible, dit-il, en fonction de ce sur quoi nous nous sommes mis d’accord. Si l’on admet que chaque capacité porte par nature sur une chose différente, et que l’une et l’autre, connaissance comme opinion, b sont des capacités, mais que chacune d’elles est différente, comme nous l’affirmons, alors, en fonction de cela, il n’y a pas moyen que ce qui est connu et ce qui est opiné soient la même chose.

— Par conséquent si c’est ce qui est qui est connu, ce qui est opiné serait autre que ce qui est ?

— Oui, autre.

— Serait-ce alors sur ce qui n’est pas que l’on opine ? Ou bien est-il impossible aussi d’opiner sur ce qui n’est pas ? Réfléchis-y. Celui qui opine, est-ce qu’il ne rapporte pas son opinion à quelque chose ? Ou bien est-il au contraire possible d’opiner, sans opiner sur rien ?

— C’est impossible.

— Celui qui opine, c’est sur une certaine chose qu’il opine ? “Oui. Or ce qui n’est pas, il serait le plus correct de l’appeler non pas une certaine chose, c mais rien ?

— Oui, certainement. Mais nous avons, par nécessité, rapporté l’ignorance à ce qui n’est pas, et à ce qui est, le savoir ? Nous avons eu raison, dit-il.

— On n’opine donc ni sur ce qui est ni sur ce qui n’est pas ?

— Non, en effet.

— Par conséquent l’opinion ne serait ni ignorance ni savoir ? Apparemment pas.

— Est-elle dès lors en dehors de leur champ, dépassant le savoir en clarté, ou l’ignorance en manque de clarté ? Non, ni l’un ni l’autre. Alors, dis-je, l’opinion te paraît être quelque chose de plus obscur que le savoir, mais de plus clair que l’ignorance ?

— Oui, dit-il, beaucoup plus. Et elle est située d entre eux deux ?

— Oui.

— Alors l’opinion serait intermédiaire entre eux deux.

— Oui, parfaitement.

— Or nous avions affirmé dans un précédent moment que si apparaissait une chose qui soit telle qu’à la fois elle soit et ne soit pas, une telle chose serait intermédiaire entre ce qui est purement et simplement et ce qui n’est pas du tout, et qu’il n’y aurait à son sujet ni connaissance ni ignorance, mais ce qui, à son tour, serait apparu comme intermédiaire entre ignorance et connaissance ?

— Oui, nous avons eu raison.

— Or à présent est précisément apparu entre eux deux ce que nous nommons opinion ?

— Oui, c’est ce qui est apparu.

— Il nous resterait alors e à trouver, apparemment, ce “qui participe de l’un et de l’autre, de l’être et du non-être, et qu’il ne serait correct d’appeler purement et simplement ni de l’un ni de l’autre nom ; si cela apparaissait, nous pourrions l’appeler légitimement du nom d’ “opiné ” , restituant ainsi les extrêmes aux extrêmes, et le milieu h ce qui est au milieu. N’est-ce pas ce qu’il faut faire ?

— Si.

— Cela étant donc posé, dirai-je, j’aimerais bien qu’il me parle, et qu’il me réponde, 479 l’honnête homme qui estime que le beau lui-même, et une certaine idée du beau lui-même qui soit toujours identiquement dans les mêmes termes, cela n’existe pas, mais qui apprécie une pluralité de belles choses ; cet amateur de spectacles qui ne supporte pas du tout qu’on affirme que le beau, ou le juste, et ainsi de suite, est une unité, ” Excellent homme, déclarerons-nous, parmi ces nombreuses choses belles, y a-t-il rien qui ne puisse paraître laid ? Et parmi celles qui sont justes, rien qui ne puisse paraître injuste ? Et parmi celles qui sont conformes à la piété, rien qui ne puisse paraître impie ?”

— Non, dit-il, mais même les choses belles paraissent nécessairement b laides aussi sous quelque aspect, ainsi que toutes les autres pour lesquelles tu poses la question.

— Mais que dire des nombreuses choses qui sont deux fois plus grandes ? Peuvent-elles pour autant éviter, en certain cas, de paraître plutôt moitié moins grandes que deux fois plus grandes ?

— Elles ne le peuvent pas.

— Et quant à celles que nous déclarons être grandes, ou petites, légères, ou lourdes, seront-elles mieux désignées par ces noms-là que par les noms opposés ?

— Non, dit-il, mais à chaque fois chacune tiendra de l’un et de l’autre. ”

— Alors est-ce que chacune de ces nombreuses choses est, plutôt qu’elle n’est pas, ce qu’on se trouve dire qu’elle est ?

— Elles ressemblent, dit-il, à ces équivoques des banquets, et à c l’énigme des enfants sur l’eunuque, sur le coup donné à la chauve-souris, quand on dit de façon énigmatique avec quoi et sur quoi il l’a frappée . Ces choses elles aussi parlent par équivoques, et il n’est possible de penser de façon fixe qu’aucune d’elles est ni n’est pas, ni que ce soit les deux à la fois, ni aucun des deux.

— Sais-tu alors, dis-je, quoi en faire ? Où pourrais-tu leur assigner une meilleure position qu’au milieu entre l’être et le non-être ? En effet d’aucune façon elles ne paraîtront plus obscures que ce qui n’est pas, en vertu d’un supplément de non-être, ou d plus claires que ce qui est, en vertu d’un supplément d’être.

— C’est tout à fait vrai, dit-il.

Nous avons donc découvert, apparemment, que la foule d’idées que la foule se fait sur le beau et sur le reste voltige en quelque sorte entre ce qui n’est pas et ce qui est purement et simplement.

— Oui, c’est ce que nous avons découvert.

— Or nous étions préalablement tombés d’accord que si quelque chose de tel apparaissait, il faudrait que ce soit nommé objet d’une opinion, non d’une connaissance, ce qui erre dans l’entre-deux étant appréhendé par la capacité qui est entre-deux.

— Oui, nous en étions tombés d’accord.

— Par conséquent ceux qui regardent les nombreuses choses belles e mais ne savent pas voir le beau lui-même, “et ne sont pas capables de suivre quelqu’un d’autre qui les mène jusqu’à lui ; et les nombreuses choses justes, mais pas le juste lui-même, et de la même façon pour tout le reste, nous dirons qu’ils opinent sur toutes choses, mais qu’ils ne connaissent aucune des choses sur lesquelles ils opinent.

— Oui, nécessairement, dit-il.

— Mais que dire au contraire de ceux qui contemplent chacune de ces choses en elle-même, ces choses qui sont toujours identiquement dans les mêmes termes ? Ne dirons-nous pas qu’ils les connaissent, et n’opinent pas ?

— Si, cela aussi est nécessaire.

— Par conséquent nous déclarerons qu’ils ont de la tendresse et de l’amour pour ce dont il y a savoir, et les premiers 480 pour ce dont il y a opinion ? Ne nous souvenons-nous pas que nous avons déclaré qu’ils aimaient et contemplaient les beaux sons, les belles couleurs, et les choses de ce genre, mais ne supportaient pas que le beau lui-même soit quelque chose de réel ?

— Si, nous nous en souvenons.

— Est-ce qu’alors nous ferons entendre une note discordante en les nommant amis de l’opinion plutôt qu’amis de la sagesse, philosophes ? Et s’irriteront-ils violemment contre nous si nous parlons ainsi ?

— Non, en tout cas s’ils m’en croient, dit-il. Car s’irriter contre ce qui est vrai, ce n’est pas autorisé.

— Et donc ceux qui chérissent en chaque chose cela même qui est, il faut les appeler amis de la sagesse, philosophes, et non amis de l’opinion ?

— Oui, exactement.

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