Cousin: Axiochos 369e-372b — A felicidade só existe após a morte

SOCRATE.

C’est que, contre toute raison, mon cher Axiochus, tu mets à côté de la privation des biens le sentiment des maux, sans songer que tu es mort. Celui qui est privé de certains biens ne s’afflige qu’à cause des maux qu’il éprouve à leur place ; mais celui qui n’existe plus ne sent pas de privation ; comment donc s’affligerait-il, n’ayant pas le sentiment de ce qui peut affliger ? Et si, dans le principe, tu n’avais pas fait la faute de prêter une certaine sensibilité à la mort, tu ne l’aurais jamais tant redoutée. Et maintenant tu tombes dans une nouvelle contradiction. Tu crains d’être privé de l’âme, et tu attribues une âme à la privation ; tu as peur d’être insensible et tu crois à une sensibilité qui te fera sentir que tu ne sens rien. Cependant, que d’excellentes raisons pour l’immortalité de l’âme ! Une nature mortelle ne se serait jamais élevée à une telle hauteur dans ses actions, jusqu’à mépriser la fureur des animaux féroces, franchir les mers, construire des villes, établir des gouvernements, porter ses regards vers le ciel et y observer les révolutions des astres, le cours du soleil et de la lune, leur lever, leur coucher, leurs éclipses et leurs retours, l’équinoxe et les tropiques, les pléiades de l’hiver et de l’été, les vents, les pluies et les terribles effets de la foudre ; elle n’aurait pas comme fixe pour l’avenir les événements du monde, s’il n’y avait pas dans l’âme un souffle divin qui lui donne l’intelligence et la science de toutes ces merveilles. Ce n’est donc pas à la mort que tu vas, Axiochus, mais à l’immortalité. Tu ne seras pas prive du bonheur, mais une félicité plus pure t’attend ; tes plaisirs ne seront plus altérés par ce corps mortel ; ils ne seront mêlés d’aucune douleur. En quittant cette prison, tu iras, pur de tout mélange, dans des régions ou l’on ne connait ni peines, ni plaintes, ni vieillesse, où la vie, paisible et exempte de maux, se passe dans un heureux repos à contempler la nature et à philosopher, non plus pour la foule et le théâtre, mais à la lumière de l’éternelle vérité.

AXIOCHUS.

Tes paroles ont tout à fait changé mes dispositions. Je ne crains plus la mort, et, pour imiter à mon tour les hyperboles des rhéteurs, je la désire. Je plane déjà dans les cieux, je parcours la carrière éternelle et divine ; j’ai dépouillé ma faiblesse, et suis devenu un homme nouveau.

SOCRATE.

Si tu veux, je te répéterai aussi ce que m’a dit Gobryès le mage. Il prétend qu’à l’époque de l’expédition de Xerxès, son grand-père, de même nom que lui, envoyé à Délos pour garder cette île où naquirent les deux divinités, apprit de certaines tables d’airain, apportées de chez les Hyperboréens par Opis et Hecaergos, que l’âme, après sa séparation d’avec le corps, va dans le séjour des ténèbres, sa demeure souterraine où est le royaume de Pluton, aussi grand que l’empire de Jupiter. Car la terre occupe le milieu de l’univers ; et le monde étant sphérique, les dieux célestes habitent l’hémisphère supérieur et les dieux infernaux l’autre hémisphère ; et si les premiers sont frères, les autres sont fils de frères. Le Vestibule de Pluton est fermé de portes et de serrures en fer. Quand ces portes sont ouvertes, on voit le fleuve Achéron, puis le Cocyte qu’il faut traverser tous deux pour arriver jusqu’à Minos et à Rhadamanthe, dans la plaine qui s’appelle le champ de la vérité. Là siègent des juges qui examinent quelles ont été la conduite et la vie de ceux qui arrivent, quand ils étaient sur la terre. Le mensonge est impossible. Ceux qui ont été inspirés par un bon démon pendant leur vie vont dans la demeure des justes, où croissent des fruits de toute espèce, où coulent des sources d’une eau limpide, où sont des prairies émaillées de fleurs, des conversations philosophiques, des théâtres pour les poètes, des chœurs de danse, des concerts, des repas délicieux que personne n’apprête, enfin, une paix continuelle et une joie sans mélange. Il n’y a ni chaleurs ni froids excessifs ; un air tempéré circule attiédi par de doux rayons de soleil. Les initiés président encore dans ce séjour et y célèbrent les saintes cérémonies. Ne seras-tu pas le premier à jouir de cet honneur, toi, l’allié de Cérès et de Proserpine ? C’est la, dit-on, qu’Hercule et Bacchus ont été initiés quand ils descendirent aux enfers, encouragés dans cette audacieuse entreprise par la prêtresse d’Eleusis. Ceux dont la vie s’est passée à mal faire sont trainés par les Furies à travers le Tartare, dans les ténèbres et le chaos, séjour des impies, où sont le tonneau toujours vide des Danaïdes, la soif de Tantale, les entrailles toujours déchirées de Tytie, le rocher sans cesse retombant de Sisyphe, obligé de recommencer toujours ses travaux. Léchés par les serpents, brûlés par les torches des Peines, déchirés par mille fouets, ils subissent d’éternels châtiments. Tels sont les récits de Gobryes, Axiochus ; vois ce que tu dois en penser : pour moi, ma raison ne me permet pas d’y ajouter foi ; et je ne suis parfaitement sûr que d’une chose, c’est que toute âme est immortelle, et que celle qui sort de ce séjour terrestre est heureuse. Ainsi, soit dans le ciel, soit aux enfers, tu seras nécessairement heureux, Axiochus, si tu as été vertueux.

AXIOCHUS.

Je rougis de te parler encore, Socrate ; je suis si éloigné maintenant de craindre la mort, que j’en ai plutôt un vif désir. Ce que tu viens de me dire sur les enfers, et ce que tu m’avais dit du ciel, m’a tout à-fait persuadé, et je méprise la vie puisque je dois passer dans un séjour plus heureux. Je vais réfléchir seul sur tes paroles ; mais à midi tu reviendras me voir, Socrate.

SOCRATE.

Volontiers, Axiochus ; je vais, en attendant, continuer ma promenade jusqu’au Cynosarge, où j’allais quand on m’a appelé près de toi.

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