Cousin: Dèmodocos ou da Deliberação

DÉMODOCOS

ou

Sur la délibération

SOCRATE

Tu me pries, Démodocos[1300], de vous donner mon avis sur les questions que vous voulez discuter dans votre réunion. Mais il m’est venu à l’idée d’examiner ce que peut bien signifier votre assemblée, le zèle de ceux qui prétendent vous donner leur avis et le suffrage[1301] que chacun de vous pense apporter.

D’une part, en effet, s’il est impossible de communiquer un avis juste et compétent sur les questions pour lesquelles vous vous êtes réunis dans l’intention de délibérer, ne serait-il pas ridicule de se réunir pour délibérer sur ces questions, quand il n’y a pas moyen de donner à leur sujet un avis juste ? D’autre part, qu’il soit possible de donner un avis juste et compétent, et qu’il n’y ait aucune science qui permette de donner cet avis juste et compétent, comment ne serait-ce pas étrange ? Et s’il y a une science qui permette de le donner, n’est-il pas nécessaire qu’il y ait aussi des gens ayant la science voulue pour donner un avis sur ces mêmes matières ? Et s’il y a des gens ayant la science voulue pour vous donner un avis sur les questions que vous voulez discuter dans votre assemblée, n’est-il pas nécessaire que vous-mêmes vous ayez cette science, ou que vous ne l’ayez pas, ou que, parmi vous, les uns l’aient, les autres ne l’aient pas ? Si tous vous avez cette science, à quoi bon vous réunir pour délibérer ? N’importe qui de vous suffit pour donner cet avis.

Mais si nul d’entre vous n’a cette science, comment pourriez-vous délibérer ? Et quel serait pour vous l’avantage de cette assemblée, si elle est faite de gens qui ne sont pas capables de délibérer ? Mais si, parmi vous, les uns ayant la science, les autres ne l’ont pas et, par conséquent, ont besoin de conseils, au cas où il est possible à un homme prudent de conseiller des gens inexpérimentés, un seul évidemment suffit bien à vous donner cet avis, à vous qui ne savez pas. N’est-il pas vrai, en effet, que ceux qui savent donnent des conseils identiques ? Vous n’avez donc qu’à entendre cet homme, et cela fait, à vous séparer. Or, au lieu de cela, vous voulez entendre beaucoup de conseillers. Vous ne supposez pourtant pas que tous ceux qui entreprennent de vous apporter leur avis sont compétents sur tout ce qui fait l’objet de leurs conseils ? car, si vous le supposiez, il vous suffirait d’en a entendre un seul. Donc, vous réunir pour écouter des gens qui ne savent pas et croire faire ainsi quelque chose d’utile, n’est-ce pas vraiment absurde ? Et voilà ma difficulté au sujet de votre assemblée[1302]. Quant au zèle de ceux qui prétendent vous donner leurs conseils, voici mes doutes : d’une part, si tous n’apportent pas le même avis sur les mêmes matières, comment tous conseilleraient-ils bien, eux qui ne conseillent pas ce que conseille le conseiller qui a raison ? Et comment ne serait-il pas absurde ce zèle de gens empressés à donner leur avis sur des questions pour lesquelles ils manquent de compétence ? Car, évidemment, s’ils ont de la compétence, ils ne prendront pas sur eux de donner un avis à tort. — D’autre part, si leur avis est le même, est-il besoin que tous le donnent ? Un seul d’entre eux qui apporte ce même avis sera bien suffisant. Et faire du zèle pour des choses parfaitement inutiles, n’est-ce pas ridicule ? Donc ce sont des gens ignorants, s’il est tel, ne peut pas ne pas être absurde et des hommes sensés n’auraient pas ce zèle, sachant qu’un seul d’entre eux produira le même effet en conseillant ce qu’il faut. Aussi, comment ne pas trouver ridicule le zèle de ceux qui prétendent vous donner leur avis ? J’en suis incapable.

Pour le suffrage que vous vous proposez de porter, quelle peut bien être sa signification, voilà, pour moi, la plus grande difficulté. Jugez-vous, en effet, ceux dont les avis sont compétents ? Mais tous ensemble ne feront pas plus d’un conseiller et leurs avis ne différeront pas sur le même sujet. Ainsi n’aurez-vous pas à porter là-dessus un suffrage. Jugez-vous, au contraire, ceux qui ne savent pas et conseillent mal ? Mais ne convient-il pas d’écarter de telles gens du rôle de conseillers, comme des insensés ? Et si vous ne jugez ni ceux qui sont compétents, ni ceux qui ne le sont pas, qui donc jugez-vous?

Et d’abord, pourquoi faut-il que les autres vous donnent des conseils, si vous êtes capables de les juger vous-mêmes ? Et si vous ne l’êtes pas, quelle valeur peuvent avoir vos suffrages ? N’est-il pas ridicule de vous réunir pour délibérer, comme si vous aviez besoin de conseils et ne vous suffisiez pas à vous seuls, puis, une fois réunis, de vous imaginer qu’il faut voter, comme si vous étiez capables déjuger ? Car, vous ne direz pas que, isolément, vous manquez de science, on ne l’en écoute pas davantage, mais au contraire on se moque de lui et on fait du bruit, jusqu’à ce qu’enfin le donneur de conseils ou s’en aille de lui-même devant le tapage, ou soit arraché de la tribune et chasse par les archers sur l’ordre des prytanes » mais que, réunis, vous devenez des gens éclairés ; ni que individuellement, vous vous trouvez dans l’embarras, mais que, rassemblés, vos doutes se dissipent et que vous devenez capables de comprendre ce qu’il faut faire, cela sans l’avoir appris de personne, sans l’avoir trouvé par vous-mêmes, ce qui est la chose la plus étonnante du monde. Vous n’irez pas dire, en effet, que ne pouvant percevoir ce qu’il faut (382a) faire, vous serez capables de juger quel est celui qui vous donnera un conseil juste en ces matières. Il ne vous promettra pas, non plus, cet unique conseiller, de vous apprendre comment vous devez agir et comment vous jugerez quels sont les bons ou les mauvais conseillers, cela en si peu de temps et à un si grand nombre : une telle chose ne serait pas moins étonnante que l’autre. Et si, par conséquent, ni le fait d’être réunis, ni le conseiller ne vous rendent capables déjuger, quelle peut bien être l’utilité de vos suffrages ? Et comment votre réunion n’est-elle pas en contradiction avec vos suffrages, ainsi que vos suffrages avec le zèle de vos conseillers ? Car vous vous rassemblez comme si, étant incompétents, vous aviez besoin de conseillers. Or, vous votez comme si, au lieu d’avoir besoin de conseillers, vous pouviez juger et donner des avis. Quant au zèle de vos conseillers, c’est celui de gens compétents, et vous votez comme si vos conseillers étaient nuls. Et si quelqu’un vous demandait à vous qui avez voté, et au conseiller dont vous avez approuvé l’avis par votre vote : savez-vous si le but que vous avez décidé d’atteindre par votre vote se réalisera ? vous ne pourriez, je pense, le dire. Mais quoi, si ce but se réalise, vous savez que cela vous sera utile ? Même sur ce point là, ni vous, ni votre conseiller, ne seriez, je pense, capables de répondre. Et quel homme, croyez-vous, pourrait savoir quelque chose de cela ? Si on vous le demandait encore, je suppose que vous ne le concéderiez pas non plus. Quand donc les objets sur lesquels vous délibérez sont par nature obscurs pour vous, et quand vous qui portez les suffrages, et vous qui donnez les conseils, êtes incompétents, il est évident, et vous l’avouez vous-mêmes, qu’on tombe dans l’incertitude et qu’on se repent souvent des conseils que Ton a donnés ou des suffrages que l’on a portés. Or, voilà qui ne doit pas arriver aux gens de bien. Ils savent, en effet, quelle est la nature des choses qu’ils conseillent et que leurs raisons seront connues avec certitude de ceux qu’ils persuadent ; ils savent aussi que pas plus pour ces derniers que pour eux-mêmes, il n’y aura lieu de se repentir. Voilà donc, d’après moi, sur quoi il vaut la peine de demander aux gens d’esprit leurs conseils, mais non sur ces questions pour lesquelles tu me les demandes. Dans le premier cas, le conseil aboutit au succès, mais ces sortes de bavardages sont vouées à l’échec.

Je me trouvai avec un homme qui reprochait à son compagnon d’ajouter foi à l’accusateur sans avoir entendu le défenseur, mais uniquement l’accusateur.

— Tu fais là, disait-il, une chose indigne, en condamnant d’avance un (383a) homme, sans l’avoir connu, et sans écouter non plus ses amis qui le connaissent et aux raisons desquels tu aurais bien dû te fier. Mais sans entendre les deux parties, tu as ainsi ajouté foi témérairement à l’accusateur. Or, la justice demande qu’on entende le défenseur avant de louer ou de blâmer, aussi bien que l’accusateur. Comment peut-on, en effet, trancher convenablement un débat ou juger selon les formes, si on n’entend pas les deux parties ? C’est par la comparaison des discours, comme on compare le porphyre et l’or, que l’on arrive à mieux juger. Pourquoi accorde-t-on du temps aux deux adversaires, ou pourquoi les juges doivent-ils jurer d’apporter la même attention aux deux, si le législateur ne supposait pas que les causes seraient ainsi mieux jugées et avec plus de justice ? Mais tu m’as l’air de n’avoir même jamais entendu parler de cette maxime si ressassée.

— Laquelle ? dit-il.

— Ne juge aucune cause avant d’avoir écouté les deux discours. Elle ne serait certainement pas aussi répandue si elle n’était juste et convenable. Je te conseille donc désormais, ajouta-t-il, de ne plus blâmer ou louer les hommes aussi témérairement.

Le compagnon répliqua alors qu’il lui semblait bien étrange qu’on ne pût discerner la vérité ou l’erreur quand un seul parlait, et, quand deux parlaient, que cela devînt possible : quoi ! on ne pourra apprendre la vérité de celui qui la dit, mais on peut s’en instruire en l’écoutant lui-même concurremment avec l’autre qui ment ? Et si un seul, celui qui dit les choses exactes et vraies, ne peut fournir l’évidence de ce qu’il affirme, deux, parmi lesquels le trompeur qui parle faussement, pourront fournir cette évidence que celui qui disait la vérité était incapable de fournir?

— Voici, du reste, encore, dit-il, une autre difficulté : comment fourniraient-ils l’évidence ? En se taisant ou en parlant ? Si c’est en se taisant, on n’a même pas besoin d’en entendre un seul, bien loin de devoir entendre les deux. Si c’est en parlant, comme en aucune façon ils ne parlent tous deux, car c’est à chacun à son tour que l’on demande de parler, comment peuvent-ils tous deux en même temps fournir l’évidence ? Car s’ils la fournissent tous deux en même temps, il leur faudra parler aussi en même temps. Or, c’est ce qu’ils ne font pas. Il reste donc, si c’est en parlant qu’ils fournissent l’évidence, que chacun la fournisse en parlant à son tour, et c’est quand chacun parlera que chacun fournira cette évidence. Ainsi, l’un parlera d’abord, puis l’autre, et d’abord l’un fournira l’évidence, puis l’autre. Pourtant, si chacun en particulier fournit la même évidence, à quoi bon entendre encore le second ? Quand le premier a parlé, la lumière est déjà faite. De plus, ajouta-t-il, si les deux fournissent cette évidence, comment l’un des deux ne la fournirait-il pas ? car, si l’un des deux ne la fournit pas, comment les deux à la fois le pourraient-ils l ? Et si chacun d’eux la fournit, il est clair que celui qui parlera le premier la fournira aussi le premier. Ne suffit-il donc pas de l’entendre lui seul pour pouvoir connaître la vérité? »

Pour moi, en les écoutant, j’étais dans l’embarras et incapable de décider entre eux. Les autres assistants déclarèrent que le premier disait vrai. Si donc tu le peux, aide-moi à résoudre ces questions : suffit-il d’entendre le premier qui parle, ou faut-il, en outre, écouter la partie adverse pour savoir qui a raison ? ou bien, n’est-il pas nécessaire de les entendre tous les deux ? Qu’en penses-tu?

Tout récemment, quelqu’un reprochait à un homme de n’avoir pas voulu lui prêter de l’argent et de n’avoir pas eu confiance en lui. L’accusé se défendait. Alors, l’un des assistants demanda à l’accusateur si le coupable était bien celui qui s’était défié de lui et avait refusé de lui prêter :

— N’est-ce pas toi, plutôt, ajouta-t-il, qui as tort, toi qui n’as pu persuader l’autre de te prêter ? Mais lui : en quoi aurais-je eu tort ? dit-il. Lequel des deux, reprit le premier, te paraît avoir tort : celui qui manque le but visé, ou celui qui ne le manque pas?

— Celui qui le manque, répondit-il.

— Or, dit l’autre, n’est-ce pas toi qui l’as manqué, toi qui voulais emprunter, et lui, qui t’a refusé, ne l’a nullement manqué?

— Oui bien, répondit-il. Mais comment aurais-je eu tort, moi, même si cet homme ne m’a rien donné ? Parce que si tu lui as demandé ce qu’il ne fallait pas, comment ne vois-tu pas que tu as eu tort ? Et lui, qui t’a refusé, a bien fait. Et si, réclamant de lui des choses qu’on pouvait demander, tu ne les as pas obtenues, comment, de toute nécessité, n’aurais-tu pas eu tort?

— Peut-être, dit-il. Mais l’autre, comment n’a-t-ii pas eu tort, lui qui ne s’est pas fié à moi?

Si tu avais agi avec lui comme il faut, tu ne serais nullement dans ton tort, n’est-ce pas?

— Nullement.

— Alors, c’est que tu n’as pas agi avec lui comme il convenait.

— Apparemment, dit-il.

— Par conséquent, si n’agissant pas avec lui comme il fallait, tu n’es pas arrivé à le persuader, comment tes griefs contre lui seraient-ils légitimes?

— Je n’ai rien à répondre,

— Pas même ceci qu’il ne faut tenir aucun compte de ceux qui agissent mal?

— Oui, dit-il, cela tout à fait.

— Mais précisément, en n’agissant pas envers quelqu’un comme il convient, ne te semble-t-il pas qu’on agit mal?

— Je le crois, répondit-il.

— Comment donc aurait-il eu tort, celui qui ne t’a pas écouté, si tu as mal agi envers lui?

— Il n’en a eu aucun, apparemment, répondit-il.

— Pourquoi donc, reprit le premier, les hommes s’adressent-ils mutuellement de tels reproches et pourquoi à ceux qu’ils n’ont pas su persuader font-ils grief de ne s’être pas laissés convaincre, alors qu’eux-mêmes, qui ont échoué à les convaincre, ne se reprochent nullement cet échec?

Là-dessus, un des assistants intervint :

— Et lorsqu’on a bien agi envers quelqu’un et qu’on lui a rendu service, puis y qu’ensuite, le priant de vous rendre la pareille, on n’obtient rien, comment ne lui en ferait-on pas un légitime grief?

— Mais, répondit l’interpellé, celui à qui l’on demande cet échange de bons procédés, ou bien est capable de le faire, ou bien ne l’est pas. S’il ne l’est pas, comment la demande elle-même serait-elle juste, puisqu’on lui demande ce dont il n’est pas capable ? Et s’il en est capable, comment n’a-t-on pas persuadé un pareil homme ? Ou comment, en affirmant de telles choses, peut-on avoir raison?

— Mais, par Zeus, repartit le premier, il faut lui en faire un reproche, afin qu’à l’avenir, il agisse mieux envers vous, lui, et tous les amis, qui auront entendu le reproche.

— Agir mieux, y viendront-ils, d’après toi, en écoutant celui qui parle et demande correctement, ou celui qui se trompe?

— Celui qui parle correctement, répondit-il.

— Mais précisément, cet homme ne te paraissait pas demander correctement?

— C’est vrai, dit-il.

— Pourront-ils donc, en entendant de tels reproches, agir mieux?

— Nullement, répondit-il.

— Mais alors pourquoi les faire?

Il avoua ne pouvoir trouver pourquoi. Quelqu’un en accusait un autre de naïveté, parce qu’il était prompt à ajouter foi aux paroles des premiers venus : il est raisonnable, en effet, de se fier à celles de ses concitoyens et de ses amis, mais croire des hommes que l’on n’a jamais vus ni entendus auparavant, et cela sachant bien que la plupart des mortels sont des fanfarons et des méchants, ce n’est pas une petite marque de sottise. Un des assistants prit alors la parole :

— Je croyais, dit-il, que tu estimais beaucoup plus celui qui comprend vite n’importe qui, que celui dont l’intelligence est lente.

— C’est bien ma pensée, répondit le premier.

— Pourquoi donc, reprit l’autre, lui reproches-tu d’ajouter foi promptement et aux premiers venus qui lui disent la vérité?

— Ce n’est pas cela que je reproche, mais, c’est de croire aussitôt des gens qui mentent. Et s’il prend son temps et se laisse tromper en accordant crédit à des gens qui ne sont pas les premiers venus, ne le blâmeras-tu pas davantage?

— Si certes, dit-il.

— Serait-ce parce qu’il y a mis le temps et parce qu’il n’a pas cru les premiers venus?

— Non, par Zeus.

— Je ne pense pas, en effet, que ce soit pour ce motif, qu’un homme, selon toi, mérite d’être blâmé, mais plutôt, parce qu’il croit des racontars indignes de créance.

— Parfaitement, dit-il.

— Ce n’est donc pas parce qu’il y a mis le temps et qu’il a ajouté foi à des gens qui ne sont pas les premiers venus que, pour toi, il mérite d’être blâmé, mais à cause de sa promptitude et de sa facilité à croire n’importe qui?

— Évidemment, répondit-il.

— Que lui reproches-tu donc?

— Son tort est qu’avant tout examen, il croit tout de suite n’importe qui.

— Mais si c’est très tard qu’avant tout examen il donne sa créance, n’aurait-il pas tort?

— Oui certes, par Zeus, même ainsi son tort ne serait pas moindre : j’estime qu’il ne faut pas se fier aux premiers venus.

— Si tu estimes qu’il ne faut pas se fier aux premiers venus, comment conviendrait-il aussi de se fier aussitôt à des inconnus ? Ne penses-tu pas qu’on doive d’abord examiner s’ils disent la vérité?

— Oui certes, dit-il.

— Alors qu’il s’agit de nos proches et de nos amis, il n’y aurait pas lieu d’examiner s’ils disent la vérité?

— Je serais porté à l’affirmer, répondit-il.

— C’est qu’il y en a peut-être, même parmi eux, qui affirment des choses peu dignes de foi.

— C’est très vrai.

— Pourquoi donc est-il plus raisonnable de se fier à ses proches et à ses amis qu’aux premiers venus?

— Je ne saurais le dire, répondit-il.

— Eh quoi ! si on doit se fier davantage à ses proches et à ses amis qu’aux premiers venus, n’est-ce pas qu’il faut les juger aussi plus dignes de foi que ces derniers?

— Comment non?

— Si donc, pour les uns, ils se trouvent être des proches ; pour les autres, des inconnus, comment ne pas regarder les mêmes hommes comme étant plus et moins dignes de foi ? car, ainsi que tu le disais, il ne faut pas leur accorder le même crédit, qu’ils soient des proches et des inconnus.

— Cela ne me plaît pas, dit-il.

— Pareillement, leurs paroles, les uns les croiront, les autres n’y ajouteront aucune foi, et personne n’aura tort.

— Voilà qui est absurde, affirma-t-il.

— De plus, si les proches et les premiers venus s’accordent dans leurs affirmations, les mêmes choses ne seront-elles pas semblablement dignes et indignes de créance?

— II le faut bien, dit-il.

— Aux mêmes affirmations, on doit accorder la même foi, n’est-il pas vrai?

— C’est probable, répondit-il.

En entendant ces discours, j’étais bien embarrassé, ne sachant à qui on doit et à qui on ne doit pas se fier : aux gens dignes de foi et qui savent ce dont ils parlent, ou aux proches et aux amis ? De tout cela, toi, que penses-tu?

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