Cousin: Épinomis 980a-992e — A natureza da Sabedoria

(980a)

L’ATHÉNIEN.

Fort bien. Il me paraît nécessaire de remonter jusqu’au principe, surtout pour voir si nous pourrons comprendre sous un seul nom ce que nous entendons par sagesse, et si cela passe nos forces, pour voir en second lieu quelles sont les sciences dont la connaissance rend l’homme sage de cette sagesse que nous concevons, et combien il y en a.

CLINIAS. Fais comme il te plaira.

L’ATHÉNIEN.

Et, après cela, on ne trouvera pas mauvais que le législateur qui a sur les dieux des idées plus élevées et plus justes que ceux qui en ont parlé avant lui, les exprime d’une manière conforme à la belle science qu’il a acquise, et passe le reste de sa vie à honorer (980d) les dieux et à célébrer par des hymnes leur suprême félicité.

CLINIAS.

Tu as raison, Étranger ; et puisse le plan de ta législation aboutir pour toi à vivre dans un commerce familier avec les dieux et à couronner la vie la plus pure par la plus belle et la plus heureuse fin!

L’ATHÉNIEN.

Que dirons-nous, Clinias ? Crois-tu que la plus excellente manière d’honorer les dieux dans nos hymnes soit de les prier de nous suggérer, en parlant d’eux, les pensées les plus belles et les plus sublimes ? Est-ce là ton sentiment du non?

(980c) CLINIAS.

A merveille ; c’est bien là mon sentiment. Adresse-leur donc, mon cher, une prière, dans la ferme confiance qu’ils l’écouteront, et fais-nous part des belles inspirations qui te viendront sur les dieux et les déesses.

L’ATHÉNIEN.

C’est ce que je vais faire, pourvu que Dieu lui-même me serve de guide ; joins seulement tes prières aux miennes.

CLINIAS.

Parle maintenant.

L’ATHÉNIEN.

Ceux qui nous ont précédés ayant mal expliqué l’origine des dieux et des animaux, je dois commencer par réformer leurs erreurs à ce sujet, en reprenant ce qui a été prouvé dans l’entretien précédent (980d) contre les impies(1252), savoir, qu’il y a des dieux, que leur providence s’étend à tout, aux petites choses comme aux grandes, et qu’ils sont inflexibles à l’injustice. Vous vous en ressouvenez sans doute, Clinias, car vous avez écrit notre entretien, et vous le devez d’autant plus que nous n’avons rien dit qui ne fût exactement vrai. Or, le point fondamental de cette discussion était que l’âme a préexisté au corps. Vous le rappeliez-vous ? La chose n’est-elle pas ainsi ? Car il est selon la raison que ce qui est d’une nature plus excellente, soit aussi plus ancien et plus divin (980e) que ce qui tient d’une nature inférieure, et doit être par conséquent plus jeune et moins honoré, comme ce qui gouverne existe avant ce qui est gouverné, et ce qui imprime le mouvement avant ce qui le reçoit. Reconnaissons donc que l’existence de l’âme est antérieure à celle du corps. (981a) Mais s’il en est ainsi, il est encore plus selon la raison que le principe de l’existence soit antérieur à tout être existant. Établissons donc comme une chose plus conforme à l’ordre qu’il y a un principe de principe, et que nous prenons la route la plus droite pour nous élever à ce qu’il y a de plus sublime dans la sagesse, c’est-à-dire l’origine des dieux.

CLINIAS.

Tenons cela pour certain, autant que nous pouvons le comprendre.

L’ATHÉNIEN.

Dis-moi : n’est-ce pas dire une chose très vraie et très naturelle que d’appeler du nom d’animal ce qui résulte de l’assemblage et de l’union d’une âme et d’un corps sous une même forme?

CLINIAS.

Oui.

(981b) L’ATHÉNIEN. C’est donc là la vraie définition de l’animal?

CLINIAS.

Sans doute.

L’ATHÉNIEN.

Ajoutons qu’il y a, selon toute vraisemblance, cinq éléments solides, dont la combinaison peut former les corps les plus beaux et les plus parfaits. Pour les êtres d’une nature différente, ils ont tous la même forme. Il n’est pas possible qu’une substance qui n’a rien de corporel, rien de visible, ne soit pas comprise sous le genre vraiment divin de l’âme. Or, il n’appartient qu’à une telle substance de former et de produire ; (981c) comme c’est le propre du corps d’être formé, d’être produit et de tomber sous les sens., au lieu, disons-le de nouveau, car ce n’est pas assez de le dire une fois, au lieu que la nature de l’autre substance est d’être invisible, de connaître et d’être connu, de se ressouvenir et de raisonner, suivant diverses combinaisons de nombres pairs et impairs(1253). Il y a donc cinq corps élémentaires, savoir : le feu et l’eau, le troisième, l’air, le quatrième, la terre, et le cinquième l’éther ; et selon que l’un ou l’autre de ces éléments domine, il se forme une multitude d’animaux différents. Pour le mieux comprendre, considérons chaque espèce dans son unité. Prenons (981d) pour première unité l’espèce terrestre, qui comprend tous les hommes, tous les animaux à plusieurs pieds et sans pieds, tous ceux qui se meuvent en avant, et ceux qui sont immobiles et attachés par des racines. Il faut entendre ici par unité d’espèce qu’il y a de toutes les espèces dans celle-là, mais que l’élément dominant est la terre et le solide. Dans la seconde espèce, il faut placer d’autres animaux, dont la nature est tout à la fois d’être produits et de tomber sous le sens de la vue. Ceux-ci tiennent principalement du feu ; mais il y entre aussi de petites parcelles de terre, d’air (981e) et des autres éléments. De ce mélange il résulte une infinité d’animaux différents entre eux, et tous visibles. Il faut croire queues animaux sont ceux que nous voyons dans la voûte céleste, et dont la réunion forme l’espèce divine des astres, qui sont doués du corps le plus beau et de l’âme la plus heureuse et la plus parfaite. Quant à leur destinée, on ne peut leur refuser ou une existence incorruptible, immortelle (982a) et tout à fait divine, ou une vie si longue et tellement suffisante à chacun d’eux qu’ils n’aient point à souhaiter de vivre plus longtemps.

Mais d’abord concevons bien la nature de ces deux espèces d’animaux. Pour le dire donc une seconde fois, l’une et l’autre est visible ; celle-ci, à n’en juger que sur les apparences, est toute de feu ; celle-là toute de terre. L’espèce terrestre se meut sans aucune règle ; l’espèce ignée, au contraire, a ses mouvements réglés avec un ordre admirable. Mais tout ce qui se meut sans aucun ordre doit être regardé comme dépourvu de raison ; et tels sont, en effet, (982b) presque tous les animaux terrestres ; au lieu que l’ordre qui règne dans la marche des animaux célestes est une grande preuve qu’ils ont la raison en partage. Car, comme ils suivent toujours la même direction avec la même vitesse, qu’ils font et souffrent toujours les mêmes choses, c’est un motif suffisant pour conclure que leur vie est dirigée par la raison. La nécessité qui domine une âme intelligente est la plus forte de toutes les nécessités, puisque c’est par ses lois et non par celles d’autrui qu’une telle âme gouverne ; et lorsque, prenant conseil d’une intelligence excellente, elle se détermine à ce qu’il y a de meilleur, (982c) alors ce qu’elle a voulu s’exécute irrévocablement selon les décisions de son intelligence : le diamant même n’a pas plus de solidité ni de consistance, et l’on peut dire avec vérité que les trois Parques maintiennent et garantissent l’exécution parfaite de ce que chacun des dieux a résolu après la plus sage délibération. D’où il sait que les hommes devaient considérer comme un signe de l’intelligence qui anime les astres et préside à toutes les révolutions célestes la constance avec laquelle s’exécutent leurs mouvements, parce que d’antiques décrets les ont déterminés depuis un temps (982d) presque infini, et ne leur permet tout le moindre changement ni dans la direction ni dans l’ordre de leur marche. Tout au contraire, quelques hommes, en voyant les astres faire toujours les mêmes choses et de la même manière, ont cru par cela même que les astres n’avaient point d’âme. La multitude a suivi ces insensés, en sorte qu’elle a attaché la raison et la vie à ce qui est humain parce qu’il se meut comme il lui plaît, et qu’elle a privé d’intelligence ce qui est divin parce qu’il persévère toujours dans le même mouvement. Il était permis à l’homme de s’élever à une conception (982e) plus belle, plus juste et plus agréable aux dieux, et de comprendre que ce qu’il faut reconnaître comme doué d’intelligence, c’est précisément ce qui fait toujours les mêmes choses, suivant les mêmes règles, de la même manière. Tels sont les astres si beaux avoir, et dont la marche et les mouvements harmonieux surpassent tous les chœurs en majesté et magnificence, tandis qu’ils satisfont en même temps aux besoins de tous les animaux. (983a)

Que nous ayons raison, au reste, de soutenir que ce sont des corps animés, c’est de quoi nous pouvons nous convaincre en faisant attention à leur grandeur. Car il n’est pas vrai qu’ils soient en effet aussi petits qu’ils nous paraissent : bien au contraire, leur masse est d’une grosseur prodigieuse. On ne peut refuser de le croire, parce que cela est appuyé sur des démonstrations suffisantes. Ainsi, on ne se trompera point en se représentant le corps du soleil plus grand que celui de la terre ; les autres corps célestes ont aussi une grandeur qui surpasse l’imagination. Or, quelle nature, je vous prie, pourrait imprimer à des masses énormes un mouvement circulaire qui dure constamment depuis tant de siècles, tel qu’il est aujourd’hui ? (983b) Je soutiens que Dieu seul est la cause d’un pareil effet, et que la chose n’est pas possible autrement. Car comme nous l’ayons démontré, un corps ne peut devenir animé par une autre puissance que celle de Dieu ; et puisque cela est possible à Dieu, rien ne lui a été plus facile que d’animer un corps, une masse quelconque, et de lui prescrire ensuite tel mouvement qu’il a jugé le plus convenable. En un mot, pour dire à ce sujet toute la vérité, il est impossible que la terre, (983c) le ciel, toutes les constellations et les masses qui les composent, se meuvent avec tant de justesse suivant les années, les mois, les jours, et soient pour nous tous la source de tous les biens, à moins que chacun de ces corps n’ait près de lui ou en lui une âme qui le dirige. Et plus l’homme est méprisable en comparaison de ces grands corps, plus il convient qu’il ne débite point de rêveries à cet égard, et ne dise rien que d’intelligible. Or, c’est ne rien dire d’intelligible que d’attribuer la cause de ces mouvements à je ne sais quelle force inhérente aux corps, à de certaines propriétés, ou à quelque chose de semblable.

Revenons sur ce qui a été déjà dit, (983d) pour considérer d’abord si c’est avec raison ou contre toute raison que nous avons établi deux substances, l’une spirituelle, l’autre corporelle, et dans chacune une foule d’êtres qui diffèrent les uns des autres, comme elles diffèrent l’une de l’autre, et nulle troisième substance qui se retrouve dans les deux premières. Quant à la différence de l’âme et du corps, nous la ferons consister en ce que l’âme a l’intelligence et que le corps en est privé, en ce que l’âme commande et le corps obéit, en ce que l’âme est la cause de tout ce qui existe et que le corps ne produit rien. (983e) Ainsi, prétendre que les phénomènes célestes sont l’effet de quelque autre cause, et ne sont point produits par le concours de l’âme et du corps, c’est une folie, une absurdité. Si donc le système que nous proposons doit l’emporter sur tous les autres, et si on peut affirmer que tous ces effets sont divins, il faut dire de deux choses l’une : ou que les astres sont des dieux, et les honorer comme tels, ou qu’ils en sont des images, et les regarder comme des statues (984a) animées des dieux, sorties de la main des dieux mêmes ; car ce ne sont pas des ouvriers mal habiles et à dédaigner.

On ne peut, comme j’ai dit, refuser aux astres l’un ou l’autre de ces titres ; et si on admet seulement que ce soient des statues des dieux, elles réclament des hommages particuliers ; d’autant qu’il n’en est point de plus belles, de plus communes à tous les hommes, ni d’exposées en des lieux plus remarquables, ni enfin qui leur soient comparables pour la pureté, pour la majesté, pour la vie : en sorte qu’on peut assurer que la chose est telle que je dis. Maintenant, pour avancer dans la connaissance des dieux, après avoir considéré deux espèces d’animaux visibles par rapport à nous, dont l’une est immortelle selon nous, l’autre terrestre et mortelle, tâchons de parler de la manière la plus claire et la plus vraisemblable des trois espèces d’êtres qui tiennent le milieu dans la réunion des cinq espèces et servent à lier ces deux-ci. Après le feu mettons l’éther, et disons que l’âme en forme une espèce qui, (984c) semblable en ce point aux autres espèces, tient principalement de l’élément dont elle est formée, les autres éléments y entrant pour peu de chose, autant qu’il est besoin pour en lier ensemble toutes les parties. Après l’éther vient l’air, dont l’âme forme pareillement une autre espèce d’animaux. Enfin la troisième espèce est formée de l’eau. Il est vraisemblable que l’âme, après avoir donné l’être et la forme à ces animaux divers, en a rempli tout l’univers, destinant chacun aux usages qui lui sont propres, et leur ayant communiqué la vie à tous ; qu’ayant commencé par la formation des dieux visibles, elle a passé aux animaux de la seconde, de la troisième, de la quatrième et de la cinquième espèce, (984d) et qu’elle a fini par l’espèce humaine.

Pour les dieux connus sous les noms de Jupiter et de Junon et pour tous les autres, qu’on les place dans quel rang on voudra, en suivant l’ordre que nous venons d’assigner, et qu’on tienne ce discours pour ferme et assuré. Ainsi, il faut dire que les astres et tous les autres êtres que nous jugeons par les sens avoir été formés avec eux sont, entre les dieux visibles, les premiers, les plus grands, les plus honorables et ceux dont la vue est la plus perçante. Après eux et immédiatement au-dessous sont (984e) les démons, espèce aérienne, qui occupent la troisième place, celle du milieu, et servent d’interprètes aux hommes : nous devons les honorer par des prières pour en obtenir d’heureux messages. Ces deux espèces d’êtres animés, les uns de nature éthérée, les autres de nature aérienne, ne sont point visibles pour nous, et quoiqu’ils soient près de nous, nous ne les apercevons pas. Disons qu’appartenant à une espèce douée de pénétration et de mémoire, ils ont (985a) une intelligence prodigieuse, qu’ils lisent au fond de notre pensée, et que leur inclination pour les bons est aussi forte que leur aversion pour les méchants, étant par leur nature susceptibles de chagrin. Dieu seul, qui réunit en soi toute la perfection de la divinité, est exempt de tout sentiment de joie ou de tristesse ; son partage est la sagesse et l’intelligence suprêmes. (985b) Tout l’univers étant ainsi rempli d’animaux, les dieux placés aux extrémités les plus reculées communiquent entre eux par ces animaux intermédiaires qui se portent, avec la plus grande agilité, tantôt vers la terre, tantôt vers le plus haut du ciel. L’eau est l’élément de la cinquième espèce d’animaux qui peuvent être mis avec raison au rang des demi-dieux. Quelquefois ils se montrent à nous, d’autres fois ils se cachent ; nous ne les connaissons qu’à peine, et la vue (985c) obscure que nous en avons est toujours accompagnée de surprise.

L’existence de ces cinq espèces d’animaux étant certaine, de quelque manière qu’ils se soient fait connaître à nous, soit en songe durant le sommeil, soit par des voix et des prédictions entendues en état de santé ou de maladie, soit par des apparitions au moment de la mort, et que cette croyance soit fondée sur des opinions générales ou particulières, qui ont donné naissance à un grand nombre destitutions religieuses en divers lieux, et en feront naître encore dans la suite, il est du devoir d’un législateur, pour peu qu’il ait de prudence, de ne jamais entreprendre d’innover en cette matière et d’introduire dans l’état aucun culte qui n’aurait pas de fondement certain. (985d) Il ne doit pas non plus détourner ses concitoyens des sacrifices établis par la loi du pays, parce qu’il est ignorant en ces sortes de choses, toute nature mortelle étant incapable d’y rien connaître.

Par rapport aux dieux que nous voyons à découvert, la même raison ne nous apprend-elle pas que ceux-là sont très méchants qui n’osent ni nous en parler ni les faire connaître, souffrant qu’on les laisse sans sacrifices et privés des honneurs qui leur sont dus ? Or, c’est ce qui arrive (985e) aujourd’hui ; c’est comme si quelqu’un ayant vu le soleil ou la lune se lever et nous éclairer tous, n’en disait rien aux autres, quoiqu’il pût, à quelques égards, leur en donner connaissance, et, voyant qu’on ne leur rend aucun honneur, ne s’efforçait point, autant qu’il est en lui, de les mettre en une place honorable, à la vue de tout le monde, de faire instituer pour eux des fêtes et des sacrifices, et de se servir pour la distribution des saisons du temps qu’ils mettent à parcourir, le soleil une année plus longue, (986a) la lune une année plus petite(1254). Ne dirait-on pas avec raison de cet homme que, par sa méchanceté, il se nuit à lui-même et à quiconque a comme lui la faculté de connaître?

CLINIAS.

Sans contredit ; ce serait un très méchant homme.

L’ATHÉNIEN.

Eh bien, mon cher Clinias, c’est là précisément le cas où je me trouve.

CLINIAS.

Que dis-tu là?

L’ATHÉNIEN.

Sachez que dans toute l’étendue du ciel il y a huit puissances, toutes sœurs l’une de l’autre. Je les ai aperçues, et ce n’est pas une grande découverte : (986d) elle est aisée pour tout autre. De ces huit puissances, une est dans le soleil, une autre dans la lune, une troisième dans tous les astres dont nous faisions mention tout à l’heure : les cinq autres n’ont rien de commun avec celles-ci. Toutes ces puissances avec les corps célestes qu’elles animent, soit qu’ils marchent d’eux-mêmes, ou qu’ils soient portés sur des chars, font leur route dans le ciel. Que personne de nous ne s’imagine que quelques-uns de ces astres sont des dieux et que les autres ne le sont pas ; que les uns sont légitimes et les autres ce que nous ne pourrions dire sans crime ; mais disons et assurons tous (986c) qu’ils sont tous frères et que leur destinée est la même. Rendons-leur à tous des honneurs, sans consacrer à celui-ci l’année, à celui-là le mois, sans assigner aux autres aucun partage, aucun temps marqué, dans lequel ils achèvent leur révolution et contribuent à la perfection de cet ordre visible, établi par la raison suprême. A la vue de cet ordre, l’homme charmé a d’abord été frappé d’admiration ; ensuite il a conçu le vif désir d’en apprendre tout ce qu’il est possible à une nature mortelle d’en connaître, persuadé que c’est le moyen de mener la vie la plus innocente et la plus heureuse, et d’aller après sa mort dans les lieux convenables au séjour de la vertu ; et, après s’être initié d’une manière véritable et réelle, possédant seul la sagesse unique, il passe le reste de ses jours dans la contemplation du plus ravissant de tous les spectacles. Il me reste à vous apprendre quels sont ces dieux, et combien ils sont. Je ne crains point (986e) de passer ici pour menteur ; c’est de quoi je puis vous assurer.

Je dis donc encore une fois que ces puissances sont au nombre de huit : nous avons déjà parlé de trois ; disons quelque chose des cinq autres. La quatrième et la cinquième ont dans leur révolution un mouvement à peu près égal en vitesse à celui du soleil, ni plus lent ni plus rapide : de sorte que ces trois puissances semblent toujours être gouvernées par la même intelligence supérieure. Ces puissances sont celle du soleil et celle de l’étoile du matin : pour le nom du troisième astre, je ne vous le dirai point, parce qu’il n’est pas connu. La raison en est que le premier qui fit ces découvertes était un Barbare. Car c’est une ancienne (987a) contrée(1255) qui produisit les premiers qui s’adonnèrent à cette étude, favorisés par la beauté de la saison d’été, telle qu’elle est en Égypte et en Syrie, et contemplant toujours, pour ainsi dire, tous les astres à découvert, parce qu’ils habitaient toujours une région du monde bien loin des pluies et des nuages. Leurs observations, vérifiées pendant une suite presque infinie d’années, ont été répandues en tous lieux et en particulier dans la Grèce.

C’est pourquoi nous pouvons les prendre avec confiance pour autant de lois. Prétendre en effet que ce qui est divin ne mérite pas notre vénération, ou que les astres ne sont pas divins, c’est une extravagance manifeste. S’ils n’ont pas (987b) de nom, je viens d’en indiquer la cause. Quelques-uns cependant ont emprunté les noms des dieux : ainsi, l’étoile du matin, qui est aussi celle du soir, paraît s’appeler Vénus(1256), nom qui a paru au Syrien qui l’a donné convenir le plus à cet astre. L’autre astre, qui marche d’un même pas avec le soleil et Vénus, se nomme Mercure. Il y a encore trois puissances qui ont leur mouvement de gauche à droite, comme la lune et le soleil. Pour la huitième, elle doit être comprise sous un seul nom, et on ne peut mieux l’appeler que le monde supérieur, qui suit un mouvement opposé à celui des autres étoiles, en les entraînant dans sa sphère d’action, autant du moins que nous en pouvons juger selon nos lumières, qui sont fort bornées sur ce point. Mais c’est une nécessité (987c) de dire tout ce qu’on sait, et c’est ce que je fais, car c’est par là que la véritable sagesse se découvre en quelque manière à quiconque aune faible parcelle de l’intelligence droite et divine. Nous avons donc à parler de trois astres, dont le plus lent dans sa marche est appelé par quelques-uns Cronus ; ils nomment Jupiter le second pour la lenteur, et le troisième Mars, celui de tous dont la couleur est la plus rouge. Il n’est pas difficile de découvrir ces astres, (987d) lorsque quelqu’un nous les fait remarquer ; mais quand on les connaît une fois, il faut s’en faire l’idée que nous avons dite.

Il faut aussi que tout Grec sache que le climat de la Grèce est peut-être le plus favorable Son principal avantage consiste en ce que la température y tient le milieu entre la froidure de l’hiver et la chaleur de l’été. Cependant comme notre été n’est pas aussi serein que celui du pays dont on vient de parler, il nous a procuré plus tard la connaissance de l’ordre de tous ces dieux. Mais remarquons que les Grecs ont perfectionné (987e) tout ce qu’ils ont reçu des Barbares ; et quant au sujet que nous traitons, nous devons nous persuader que, s’il a été difficile de découvrir tout cela avec certitude, (988a) il y a tout lieu d’espérer que les Grecs, vu leur éducation, le secours qu’ils peuvent tirer de l’oracle de Delphes, et leur fidélité à observer les lois, rendront à tous ces dieux un culte réellement plus excellent et plus raisonnable que le culte et les traditions venus des Barbares. Il ne faut pas non plus qu’aucun Grec soit arrêté par la crainte qu’il ne convient point à des hommes mortels de faire des recherches sur les choses divines : nous devons même entrer dans des sentiments contraires ; car Dieu n’étant point dépourvu de raison, et n’ignorant (988b) pas la portée de l’intelligence humaine, sait très bien qu’elle est capable, lorsque c’est lui qui enseigne, de suivre ses leçons et d’apprendre ce qui lui est enseigné. Et sans doute il sait aussi que c’est lui qui nous enseigne les nombres et l’art de compter, et que nous l’apprenons de lui. S’il méconnaissait cela, il serait le plus insensé de tous les êtres ; car en ce cas il se méconnaîtrait lui-même, comme on dit, s’offensant de ce que l’homme apprenne ce qu’il peut apprendre, au lieu de se réjouir avec lui sans envie de ce qu’il travaille à se perfectionner, avec le secours de Dieu.

Ce serait la matière d’un long (988c) et beau discours, de montrer que les premières idées que les hommes exposèrent sur l’origine des dieux, leur nature et la qualité de leurs actions, ne furent ni raisonnables ni dignes du sujet ; non plus que les systèmes de ceux qui vinrent après, et prétendirent que le feu, l’eau et les autres éléments ont existé avant tout le reste, et que la merveille de l’âme est d’un temps postérieur ; que le principal et le plus excellent des mouvements est celui que les corps ont reçu en partage et par lequel ils se meuvent eux-mêmes, se communiquant le chaud, le froid et les autres qualités semblables ; au lieu de dire que l’âme est le principe de son mouvement et de celui des corps. (988d) Mais aujourd’hui, lorsque nous soutenons que l’âme étant dans un corps, il n’est point étonnant qu’elle le meuve et le transporte avec elle, notre esprit ne trouve aucune difficulté à le croire, comme si elle n’avait pas la force de transporter un fardeau. C’est pourquoi, dans notre sentiment, l’âme étant la cause première de cet univers, et tous les biens étant d’une certaine nature, et tous les maux d’une nature différente, il n’y a rien de surprenant que l’âme soit le principe de toute (988e) tendance, de tout mouvement, que la tendance et le mouvement vers le bien viennent de la bonne âme, et le mouvement vers le mal de la mauvaise, et qu’il faille que le bien l’ait toujours emporté et l’emporte sur le mal.

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