Cousin: Eryxias 393a-395e — A Sabedoria é a única riqueza autêntica

M’apercevant qu’il mettait la conversation sur un sujet qui n’était pas de médiocre importance, puisqu’il s’agissait des questions qui passent pour les plus graves, c’est-à-dire la vertu et la richesse, je lui demandai lequel des deux hommes lui semblait le plus riche, celui qui se trouve avoir des talents d’argent, ou celui qui possède un champ d’une valeur de deux talents.

— « C’est, je pense, répondit-il, celui qui possède le champ.

— « Donc, repris-je, d’après ce même raisonnement, si quelqu’un avait des vêtements, des tapis, ou d’autres objets de plus de valeur encore que tout ce que possède cet étranger, il serait plus riche que lui ». — Il en convint également. — « Mais si on te donnait le choix entre les deux, que prendrais-tu? »

— « Moi, répondit-il, ce qui a le plus de valeur ».

— Et tu croirais ainsi être plus riche? »

— « Précisément ».

— « Donc, celui-là nous paraît être le plus riche qui possède des objets de la plus grande valeur? »

— « Oui », dit-il.

— « Par conséquent, continuai-je, les gens bien portants seraient plus riches que les malades, si la santé est un trésor beaucoup plus précieux que les biens possédés par le malade. Il n’est, en effet, personne qui ne préfère la santé, avec une petite fortune, à la maladie, jointe à toutes les richesses du grand roi, parce qu’on estime évidemment la santé comme de bien plus grande valeur. Or, on ne la préférerait certes pas, si on ne la jugeait supérieure à la fortune ».

— « Evidemment non ».

— « Et si on pouvait trouver quelque autre chose de plus précieux que la santé, c’est celui qui la posséderait qui serait le plus riche ».

— « Oui ».

— « Eh bien ! si quelqu’un à présent nous abordait et nous demandait : ? vous, Socrate, Eryxias, Erasistratos, pourriez-vous me dire quel est pour l’homme le bien le plus précieux?

N’est-ce pas celui dont la possession lui permettra de prendre les décisions les plus utiles sur la manière de conduire le mieux possible ses propres affaires et celles de ses amis. Qu’est-ce donc à notre avis? »

— « Il me semble, Socrate, que le bonheur est ce qu’il y a de plus précieux pour l’homme ». — « Et tu n’as pas tort, répliquai-je. Mais estimerons-nous que les plus heureux parmi les hommes sont ceux qui réussissent le mieux 3? »

— « Il me le parait bien ».

— « Or, ceux qui réussissent le mieux, ne sont-ils pas ceux qui se trompent le plus rarement sur ce qui les concerne eux et les autres, et qui généralement obtiennent les plus grands succès? »

— « Tout à fait ». — « Et ce sont, n’est-ce pas, ceux qui savent ce qui est bien ou mal, ce qu’il faut faire ou non, qui réussissent le mieux et se trompent le moins? » — Là-dessus, il fut aussi de mon avis.

— « Donc ce sont les mêmes hommes qui nous paraissent à la fois les plus sages, les plus avisés dans leurs affaires, les plus heureux et les plus riches, si toutefois c’est la sagesse qui, de tous les biens, nous semble être le plus précieux ».

— « Oui ».

— « Mais, Socrate, reprit Eryxias, à quoi servirait à l’homme d’être plus sage que Nestor, s’il n’avait même pas le nécessaire pour vivre, en fait de nourriture, de boisson, de vêtements et de toute autre chose du même genre ? De quelle utilité lui serait la sagesse ? Comment pourrait-il être le plus riche, celui qui en serait presque réduit à mendier, puisqu’il manquerait des objets de première nécessité? »

Il me sembla tout à fait que son objection était sérieuse. « Mais, répondis-je, celui qui possède la sagesse subira-t-il une telle infortune, s’il vient à manquer de ces biens ; et, au contraire, qui aurait la maison de Poulytion[1307], même pleine d’or et d’argent, ne manquerait-il de rien? »

— « Qui l’empêche, reprit-il, de disposer de ces ressources et d’avoir aussitôt en échange tout ce dont il a besoin pour vivre, ou de l’argent qui lui permettra de se le procurer, et sur le champ de se munir de toutes choses en abondance? »

— « Oui, répliquai-je, à condition de tomber sur des hommes qui préfèrent une semblable maison à la sagesse de Nestor, car s’ils étaient capables d’apprécier davantage la sagesse humaine et ce qu’elle produit, le sage aurait un bien plus riche objet d’échange si, en cas de besoin, il voulait disposer de sa sagesse et de ses œuvres. L’utilité de la maison est-elle si grande et si impérieuse, importe-t-il tellement à la vie de l’homme d’habiter une demeure de cette richesse plutôt qu’une étroite et pauvre maisonnette, et l’utilité de la sagesse, au contraire, est-elle si insignifiante, importe-t-il si peu d’être un sage ou un sot en ce qui concerne les problèmes les plus graves ? Est-ce une chose méprisable pour les hommes et qui ne trouve point d’acheteurs, tandis que le cyprès ornant la maison de Poulytion et les marbres penléliques[1308], tant de gens en éprouvent le besoin et veulent les acheter ? S’agit-il d’un habile pilote, d’un médecin compétent ou de tout homme capable d’exercer avec adresse un art de ce genre, il n’est pas un d’entre eux qui ne soit plus estimé que les plus précieux des biens, et quiconque est capable de délibérer avec sagesse sur la meilleure conduite à tenir concernant ses propres affaires et celles des autres, ne (395a) trouverait donc pas acheteur, s’il voulait vendre? »

Là-dessus, Eryxias me regarda de l’air d’un homme froissé :

— « Mais alors, toi, Socrate, si tu dois dire la vérité, tu te prétendrais plus riche que Callias le fds d’Hipponicos[1309] ? Car, évidemment, tu ne t’avouerais inférieur à lui sur aucune des questions les plus graves, mais tu t’estimes plus sage. Et cependant, tu n’en es pas plus riche ».

— « Tu crois peut-être, Eryxias, répondis-je, que nos discours présents sont un pur jeu et n’ont aucune vérité, mais que nous faisons comme au jeu de trictrac, où, si l’on enlève une pièce, on peut à tel point dominer l’adversaire qu’il est incapable de riposter. Tu supposes, sans doute, que, dans cette question des richesses, une thèse n’est pas plus vraie que l’autre et qu’il y a certains raisonnements qui ne sont pas plus vrais que faux : en les employant, on vient à bout des contradicteurs, qui disent, par exemple, que les plus sages sont aussi les plus riches, et, ce disant, on soutient le faux contre ceux qui affirment la vérité. A cela, rien peut-être de bien étonnant. C’est comme si deux hommes discutaient à propos des lettres, l’un prétendant que Socrate commence par une S, l’autre, par un A. Il se pourrait que le raisonnement de celui qui dit qu’il commence par un A fût plus fort que le raisonnement de celui qui dit qu’il commence par une S ». —

Eryxias jeta ses regards sur les assistants, moitié souriant moitié rougissant, comme s’il avait été absent jusque-là de notre conversation :

— Pour moi, Socrate, dit-il, je ne pensais pas qu’on dût tenir des discours dont on n’arrivera à persuader aucun de ceux qui les entendent et auxquels on ne peut rien gagner,— quel homme sensé se laisserait, en effet, jamais convaincre que les plus sages sont aussi les plus riches ? Mais plutôt, puisqu’il s’agit de richesses, il faudrait discuter comment il est beau ou comment il est honteux de s’enrichir, et voir si le fait même d’être riche est un bien ou un mal ».

— « Soit, répondis-je, nous allons donc désormais nous tenir sur nos gardes, et tu fais bien de nous avertir. Mais puisque tu introduis la discussion, pourquoi n’essaierais-tu pas toi-même de dire si cela te paraît à toi un bien ou un mal de s’enrichir, étant donné, d’après toi, que nos discours précédents n’ont pas touché ce sujet? »

,