Cousin: Lois I 625c-632d — O problema da guerra

L’ATHÉNIEN.

Soit ; eh bien, dis-moi, je te prie, pourquoi la loi a-t-elle établi chez vous les repas en commun, les gymnases et l’espèce d’armes dont vous vous servez ?

CLINIAS.

Étranger, il est aisé, ce me semble, à tout homme d’apercevoir quelle a été chez nous la raison de ces institutions. Vous voyez quelle est dans toute la Crète la nature du terrain ; ce n’est point un pays de plaines comme la Thessalie. Aussi la course à cheval est-elle beaucoup plus en usage en Thessalie, et ici la course à pied : le terrain en effet, à raison de son inégalité, y est bien plus propre à ce genre d’exercice[667]. En ce cas il est nécessaire d’avoir des armes légères, qui ne nuisent point à la vitesse par leur pesanteur ; et on ne pouvait en imaginer de plus convenables à cet égard que l’arc et la flèche. Ces institutions au reste ont été faites en vue de la guerre ; il me paraît même que dans toutes les autres, notre législateur ne s’est point proposé d’autre fin que celle là. Car il semble que ce qui l’a déterminé à établir les repas en commun, c’est qu’il a remarqué que chez tous les peuples, lorsque les troupes sont en campagne, le soin de leur propre sûreté les oblige à prendre leurs repas en commun tout le temps que la guerre dure. Et en cela il a voulu condamner l’erreur de la plupart des hommes, qui ne voient pas qu’il y a entre tous les États une guerre toujours subsistante ; et qu’ainsi, puisqu’il est nécessaire pour la sûreté publique, en temps de guerre, que les citoyens prennent leur nourriture ensemble, et qu’il y ait des chefs et des soldats toujours occupés à veiller à la défense de la patrie, cela n’est pas moins indispensable durant la paix : qu’en effet ce qu’on appelle ordinairement paix n’est tel que de nom, et que, dans le fait, sans qu’il y ait aucune déclaration de guerre, chaque État est naturellement toujours armé contre tous ceux qui l’environnent. En considérant la chose sous ce point de vue, tu trouveras que le plan du législateur des Crétois, dans toutes ses institutions publiques et particulières, porte sur la supposition d’un état de guerre continuelle, et qu’en nous recommandant l’observation de ses lois, il a voulu nous faire sentir que ni les richesses, ni la culture des arts, ni aucun autre bien, ne nous serviraient de rien, si nous n’étions les plus forts à la guerre, la victoire transportant aux vainqueurs tous les avantages des vaincus.

L’ATHÉNIEN.

Je vois, étranger, que tu as fait une étude profonde des lois de ton pays. Mais explique-moi ceci encore plus clairement. Autant que j’en puis juger, tu ne regardes un État comme parfaitement bien policé, que quand sa constitution lui donne une supériorité marquée, à la guerre, sur les autres États. N’est-ce pas ?

CLINIAS.

Oui : et je pense que Mégille est en cela de mon avis.

MÉGILLE.

Comment, mon cher, un Lacédémonien pourrait-il être d’un autre avis ?

L’ATHÉNIEN.

Mais cette maxime, qui est bonne pour les États à l’égard des autres États, ne serait-elle pas mauvaise pour une bourgade à l’égard d’une autre bourgade?

CLINIAS.

Point du tout.

L’ATHÉNIEN.

C’est donc la même chose ?

CLINIAS.

Oui.

L’ATHÉNIEN.

Mais quoi ? est-ce aussi la même chose pour chaque famille d’une bourgade par rapport aux autres familles, et pour chaque particulier à l’égard des autres particuliers ?

CLINIAS.

Oui.

L’ATHÉNIEN.

Et le particulier lui-même, faut-il qu’il se regarde comme son propre ennemi ? Que dirons-nous à cela ?

CLINIAS.

Étranger athénien (car je ne voudrais pas t’appeler habitant de l’Attique, et tu me parais mériter plutôt d’être appelé du nom même de la déesse[668]), tu as jeté sur notre discours une nouvelle clarté, en le ramenant à son principe : aussi te sera-t-il plus aisé maintenant de reconnaître si nous avons raison de dire que tous sont ennemis de tous, tant les États que les particuliers, et que chaque individu est en guerre avec lui-même.

L’ATHÉNIEN.

Comment cela, je te prie ?

CLINIAS.

Par rapport à chaque individu aussi, la première et la plus excellente des victoires est celle qu’on remporte sur soi-même ; comme aussi de toutes les défaites la plus honteuse et la plus funeste est d’être vaincu par soi-même ; ce qui suppose que chacun de nous éprouve une guerre intestine.

L’ATHÉNIEN.

Renversons donc l’ordre de notre discours. Puisque chacun de nous est supérieur ou inférieur à soi-même, dirons-nous que cela a également lieu à l’égard des familles, des bourgs et des États, ou ne le dirons-nous pas ?

CLINIAS.

Quoi ? que les uns sont supérieurs à eux-mêmes, les autres inférieurs ?

L’ATHÉNIEN.

Oui.

CLINIAS.

C’est encore avec beaucoup de raison que tu me fais cette demande ; oui, les États sont absolument à cet égard dans le même cas que les particuliers. En effet, partout où les bons citoyens ont l’avantage sur les méchants, qui font le grand nombre, on peut dire d’un tel État qu’il est supérieur à lui-même, et une pareille victoire mérite à juste titre les plus grands éloges : c’est le contraire partout où le contraire arrive.

L’ATHÉNIEN.

N’examinons pas, pour le présent, s’il se peut faire quelquefois que le mal soit supérieur au bien, cela nous mènerait trop loin. Je comprends ta pensée : tu veux dire que dans un État composé de citoyens formant entre eux une espèce de famille, il arrive quelquefois que la multitude des méchants, venant à se réunir, met la force en usage pour subjuguer le petit nombre des bons ; que, quand les méchants ont le dessus, on peut dire avec raison que l’État est inférieur à lui-même et mauvais ; qu’au contraire, lorsqu’ils ont le dessous, il est bon, et supérieur à lui-même.

CLΙNIAS.

Il est vrai qu’au premier abord cela paraît étrange à concevoir ; cependant il faut de toute nécessité convenir que la chose est ainsi.

L’ATHÉNIEN.

Soit ; maintenant examinons ceci. Supposons plusieurs frères nés du même père et de la même mère. Ce ne serait pas une chose extraordinaire que la plupart fussent méchants, et que le petit nombre fut celui des bons.

CLINIAS.

Non.

L’ATHÉNIEN.

Il ne serait pas séant, ni à vous, ni à moi, de rechercher si, les méchants étant les plus forts, toute la maison et la famille serait dite avec raison inférieure à elle-même, et supérieure, s’ils étaient les plus faibles ; car il ne s’agit point ici des mots, et nous n’examinons pas quelle expression convient ou non selon l’usage, mais ce qui est bien ou mal en matière de lois, selon la nature des choses.

CLINIAS.

Rien de plus vrai que ce que tu dis, étranger.

MÉGILLE.

Pour mon compte, je suis content jusqu’à présent de ce que je viens d’entendre.

L’ATHÉNIEN.

Considérons encore ce qui suit. Ne peut-on pas supposer que ces frères dont j’ai parlé tout à l’heure ont un juge?

CLIΝΙAS.

Sans doute.

L’ATHÉNIEN.

Quel serait le meilleur juge, celui qui ferait mourir tous ceux d’entre eux qui sont méchants, et ordonnerait aux bons de se gouverner eux-mêmes, ou celui qui, remettant toute l’autorité aux bons, laisserait la vie aux méchants, après les avoir engagés à se soumettre volontairement aux autres ? Et s’il s’en trouvait un troisième qui, se chargeant de remédier aux divisions d’une telle famille sans faire mourir personne, imaginât un moyen de réconcilier les esprits et de les rendre tous amis pour la suite, en leur faisant observer de certaines lois, ce dernier l’emporterait sans doute sur les deux autres.

CLINIAS.

Ce juge, ce législateur serait le meilleur sans comparaison.

L’ATHÉNIEN.

Cependant, dans les lois qu’il leur proposerait, il aurait en vue un objet directement opposé à celui de la guerre.

CLINIAS.

Cela est vrai.

L’ATHÉNIEN.

Mais quoi ? lorsqu’il s’agit d’un État, le législateur doit-il avoir en vue dans ses institutions la guerre du dehors, plutôt que cette guerre intestine, appelée sédition, qui se forme de temps en temps dans le sein d’un État, et que tout bon citoyen souhaiterait de ne voir jamais naître dans sa patrie, ou de la voir étouffée aussitôt après sa naissance ?

CLINIAS.

Il est évident qu’il doit avoir en vue cette seconde espèce de guerre.

L’ATHÉNIEN.

Et dans le cas d’une sédition, est-il quelqu’un qui préférât voir la paix achetée par la ruine d’un des partis et la victoire de l’autre, plutôt que l’union et l’amitié rétablies entre eux par un bon accord, et toute leur attention tournée vers les ennemis du dehors ?

CLINIAS.

Il n’est personne qui n’aimât mieux pour sa patrie cette seconde situation que la première.

L’ATHÉNIEN.

Le législateur ne doit-il pas souhaiter la même chose?

CLΙNIAS.

Certainement.

L’ATHÉNIEN.

N’est-ce pas en vue du plus grand bien que tout législateur doit porter ses lois ?

CLINIAS.

Sans contredit.

L’ATHÉNIEN.

Or, le plus grand bien d’un État n’est ni la guerre ni la sédition ; au contraire, on doit faire des vœux pour n’en avoir jamais besoin, mais la paix et la bienveillance entre les citoyens. La victoire qu’un État remporte pour ainsi dire sur lui-même peut passer pour un remède nécessaire, mais non pas pour un bien. Ce serait comme si l’on croyait qu’un corps malade et purgé avec soin par le médecin est alors dans la meilleure situation possible, et qu’on ne fît nulle attention à cette autre situation où il n’aurait aucun besoin de remèdes. Quiconque sera dans les mêmes principes par rapport au bonheur des États et des particuliers, et aura pour objet unique et principal les guerres du dehors, ne sera jamais un bon politique ni un sage législateur ; mais il faut qu’il règle tout ce qui concerne la guerre en vue de la paix, plutôt que de subordonner la paix à la guerre.

CLINIAS.

Étranger, ce que tu viens de dire est fort sage ; cependant je m’étonne bien si nos lois, aussi bien que celles de Lacédémone, ne sont pas entièrement occupées de ce qui appartient à la guerre[669].

L’ATHÉNIEN.

Peut-être la chose est-elle ainsi ; mais ce n’est pas ici le lieu de chercher querelle à vos deux législateurs : interrogeons-nous plutôt paisiblement, comme si leur but et le nôtre étaient le même ; et poursuivons notre entretien. Faisons paraître ici le poète Tyrtée, né à Athènes, et reçu citoyen à Lacédémone, l’homme du monde qui a fait le plus d’estime des vertus guerrières, comme il paraît par les vers où il dit :

Je croirais indigne d’éloge et compterais pour rien

celui qui, fût-il d’ailleurs le plus riche, et possédât-il tous les avantages (et ici le poète les énumère presque tous), ne sait pas très bien faire la guerre toutes les fois qu’il le faut[670]. Sans doute, Clinias, tu as entendu réciter les poésies de Tyrtée ; pour Mégille, il en a, je pense, les oreilles rebattues.

MÉGILLE.

Tu dis vrai.

CLINIAS.

Elles ont aussi passé de Lacédémone chez nous.

L’ATHÉNIEN.

Interrogeons donc ce poète tous trois en commun, et disons-lui : Tyrtée, divin poète, tu as bien fait voir ton talent et ta vertu en comblant d’éloges ceux qui se sont distingués à la guerre. Nous convenons avec toi, Mégille, Clinias et moi, que ces éloges sont justes ; mais nous voudrions savoir si tes louanges et les nôtres tombent sur les mêmes personnes. Dis-nous donc : reconnais-tu comme nous qu’il y a deux sortes de guerre ? Je pense qu’il n’est pas besoin d’avoir l’esprit de Tyrtée pour répondre, ce qui est vrai, qu’il y en a deux, l’une que nous appelons tous sédition, et qui, comme nous le disions tout à l’heure, est de toutes les guerres la plus cruelle. Nous mettrons tous, je crois, pour la seconde espèce de guerre, celle que l’on fait aux ennemis du dehors et aux nations étrangères, laquelle est beaucoup plus douce que la première.

CLINIAS.

Sans contredit.

L’ATHÉNIEN.

De quelle guerre parlais-tu donc, Tyrtée, et quels hommes voulais-tu louer ou flétrir ? Tu parlais, ce semble, des guerres du dehors ; car tu dis dans tes poèmes que tu ne peux supporter ceux qui n’oseraient

Regarder en face la mort sanglante,

Et en venir aux mains avec l’ennemi[671].

Sur ces vers nous sommes autorisés à dire que tes louanges s’adressent à ceux qui se signalent dans les guerres du dehors et de nation à nation. Tyrtée ne sera-t-il pas obligé d’en convenir ?

CLINIAS.

Sans doute.

L’ATHÉNIEN.

Nous, au contraire, en rendant justice aux guerriers de Tyrtée, nous prétendons qu’on doit leur préférer, et de beaucoup, ceux qui se font honneur dans l’autre espèce de guerre, qui est la plus violente. Et nous en avons pour garant le poète Théognis, citoyen de Mégare, en Sicile, qui dit :

Il est plus précieux que l’argent et l’or

Celui qui est fidèle, Cyrnus, au jour de la sédition[672].

Nous soutenons que celui qui se distingue dans cette guerre, beaucoup plus périlleuse que l’autre, l’emporte autant sur le guerrier de Tyrtée, que la justice, la tempérance et la prudence jointes à la force l’emportent sur la force seule. Car, pour être fidèle et incorruptible dans la sédition, il faut réunir en soi toutes les vertus : au lieu que parmi des soldats mercenaires, presque tous, et à un très petit nombre près, insolents, injustes, sans mœurs, et les plus insensés de tous les hommes, il s’en trouve beaucoup qui, selon l’expression de Tyrtée, se présenteront au combat avec une contenance fière, et iront au devant de la mort.

À quoi aboutit tout ce discours, et quelle autre chose voulons-nous prouver par là, sinon que tout législateur un peu habile, et surtout celui de Crète, instruit qu’il était par Jupiter lui-même, ne se propose dans ses lois d’autre but que la plus excellente vertu, laquelle, selon Théognis, n’est autre qu’une fidélité à toute épreuve dans les circonstances difficiles ; fidélité qu’on peut nommer à bon droit justice parfaite. Pour la vertu que Tyrtée a tant vantée, elle a son prix, et ce poète a fort bien choisi son temps pour la chanter ; mais, après tout, elle ne doit être mise que la quatrième en ordre et en dignité.

CLINIAS.

Ainsi donc, étranger, nous rejetons Minos parmi les législateurs du dernier ordre ?

L’ATHÉNIEN.

Ce n’est pas lui, mon cher Clinias, que nous traitons de la sorte, mais nous-mêmes, quand nous croyons que Lycurgue et Minos ont eu principalement la guerre pour objet dans les lois qu’ils ont données, l’un à la Crète, l’autre à Lacédémone.

CLINIAS.

Eh bien, que fallait-il donc dire au sujet de Minos ?

L’ATHÉNIEN.

Ce que je crois conforme à la vérité, et ce qu’il est juste que nous disions d’une législation faite par un dieu, savoir, que Minos, en dressant le plan de ses lois, n’a point jeté les yeux sur une seule partie de la vertu, et encore la moins estimable ; mais qu’il a envisagé la vertu tout entière, et qu’il a puisé le détail de ses lois dans chacune des espèces qui la composent, en suivant néanmoins une route bien différente de celle des législateurs de nos jours, qui s’occupent uniquement du point qu’ils ont besoin de régler et de proposer pour le moment : celui-ci, des héritages et des héritières ; celui-là, des violences ; d’autres enfin d’une foule de choses de cette nature ; au lieu que, selon nous, la vraie manière de procéder en fait de lois, est de débuter par où nous avons débuté. Car je suis charmé de la façon dont tu es entré dans l’exposition des lois de ton pays. Il est juste en effet de commencer par la vertu, et de dire, comme tu as fait, que Minos ne s’est proposé qu’elle dans ses lois. Mais ce qui ne m’a plus paru juste, c’est que tu as borné ses vues à une seule partie de la vertu, et encore à la moins considérable ; et voilà ce qui m’a jeté dans la discussion où nous venons d’entrer. Veux-tu que je te dise comment j’aurais souhaité que tu m’eusses expliqué la chose, et ce que j’attendais de ta part ?

CLINIAS.

Je le veux bien.

L’ATHÉNIEN.

Étranger, m’aurais-tu dit, ce n’est pas sans raison que les lois de Crète sont singulièrement estimées dans toute la Grèce : elles ont l’avantage de rendre heureux ceux qui les observent, en leur procurant tous les biens. Or, il y a des biens de deux espèces, les uns humains, les autres divins. Les premiers sont attachés aux seconds ; de sorte qu’un État qui reçoit les plus grands, acquiert en même temps les moindres, et que ne les recevant pas, il est privé des uns et des autres. À la tête des biens de moindre valeur, est la santé ; après elle marche la beauté, ensuite la vigueur, soit à la course, soit dans tous les autres mouvements du corps. La richesse vient en quatrième lieu, mais non pas Plutus aveugle, mais Plutus clairvoyant et marchant à la suite de la prudence.

Dans l’ordre des biens divins, le premier est la prudence ; après vient la tempérance ; et du mélange de ces deux vertus et de la force naît la justice, qui occupe la troisième place ; la force est à la quatrième. Ces derniers biens méritent par leur nature la préférence sur les premiers ; et il est du devoir du législateur de la leur conserver. Il faut enfin qu’il enseigne aux citoyens que toutes les dispositions des lois se rapportent à ces deux sortes de biens, parmi lesquels les biens humains se rapportent aux divins, et ceux-ci à la prudence, qui tient le premier rang. Sur ce plan, il réglera d’abord ce qui concerne les mariages, puis la naissance et l’éducation des enfants de l’un et l’autre sexe ; il les suivra depuis la jeunesse jusqu’à la vieillesse, marquant ce qui est digne d’estime ou de blâme dans toutes leurs relations, observant et étudiant soigneusement leurs peines, leurs plaisirs, leurs désirs et tous leurs penchants, les approuvant ou les condamnant dans ses lois, suivant la droite raison ; et de même, à l’égard de leurs colères, de leurs craintes, des troubles que l’adversité excite dans l’âme, et de l’ivresse que la prospérité y fait naître, et encore de tous les accidents auxquels les hommes sont sujets dans les maladies, les guerres, la pauvreté, et dans les situations contraires : il faut qu’il leur apprenne et qu’il détermine ce qu’il y a d’honnête ou de honteux dans la manière dont on se conduit en toutes ces rencontres. Après quoi, il est nécessaire qu’il porte son attention sur les fortunes, pour en régler l’acquisition et l’usage ; que dans toutes les sociétés et les pactes, soit libres soit involontaires, que le commerce mutuel occasionnera, il démêle le juste de l’injuste, et les conventions équitables de celles qui ne le sont pas ; qu’il décerne des récompenses aux fidèles observateurs des lois, et qu’il établisse des peines pour ceux qui les violeront.

Après avoir ainsi réglé successivement toutes les parties de la législation, il finira par ordonner ce qui appartient à la sépulture des morts, et quels honneurs il convient de leur rendre. Ces lois une fois établies, il préposera, pour veiller à leur maintien, des magistrats, les uns qui en posséderont l’esprit et la pleine intelligence, et les autres qui n’iront pas au-delà de l’opinion vraie[673] : en sorte que ce corps d’institutions, lié et assorti dans toutes ses parties par la raison, paraisse marcher à la suite de la tempérance et de la justice, et non de la richesse et de l’ambition.

Telle est, étrangers, la manière dont je souhaitais, et dont je souhaite encore que vous vous y preniez pour me montrer comment tout cela se trouve dans les lois de Minos et de Lycurgue, attribuées à Jupiter et à Apollon Pythien ; et comment l’ordre même que je viens d’indiquer s’y découvre aux yeux d’un homme que l’étude ou la pratique ont rendu habile dans la législation, tandis qu’il échappe aux yeux de tous les autres.

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